par Pierre Hillard*
Publication originale du 14/11/06
Les divergences qui opposent les communautés flamande et wallonne sont nombreuses. Sans les citer toutes, on peut relever trois phénomènes récents majeurs :
1) Le groupe de Warande réunissant des économistes, industriels et universitaires flamands fin 2005 soulignant le fardeau financier que représente la Wallonie sur l'économie flamande. Ces représentants demandent l'indépendance de la Flandre. (suite ci-apres)
2) Fin janvier 2006, au Parlement régional flamand, lancement par les partis traditionnels d'une constitution flamande reconnaissant la « nation flamande ».
3) 1er juin 2006, lancement d'une résolution par le Vlams Belang au Parlement belge demandant le démembrement de la Belgique et la souveraineté politique flamande et wallonne. Cette résolution a été adoptée par tous les partis flamands (moins une abstention) qui se sont donc rangés sur la même ligne que le Vlams Belang. Ceci révèle la communion de pensée de tous ces partis flamands peu importe l'étiquette politique. En revanche, tous les partis francophones ont voté contre. Nous avons une parfaite fracture entre les deux communautés.
En raison du démantèlement prévisible de la Belgique, une question se pose : Quel avenir politique pour la Wallonie et Bruxelles (territoire majoritairement francophone en territoire flamand) ? Il est possible – sans être une certitude – que de nombreux Wallons souhaitent un rattachement à la France. La réponse à donner doit être politique. C'est-à-dire résultant d'un calcul reposant sur la connaissance des points clefs du contexte politique européen et américain dans lequel la France baigne (en particulier en raison de la création d'un marché transatlantique sans frontières).
D'abord, il faut rappeler cette vérité de la Palice. La France est membre de l'Union européenne. Cela signifie que les ordres viennent des instances bruxelloises. En France, le Parlement dit « national » est une caisse enregistreuse. La France comme tous les pays de l'UE doit se plier aux normes européistes et, plus exactement, aux normes de l'organisation politique européenne qui sont : la régionalisation, la coopération transfrontalière destructrice des frontières nationales, la reconnaissance du principe ethniciste, l'aménagement du territoire ou encore le code civil européen (pour ne citer que quelques éléments). Le lecteur intéressé peut lire « Minorités et régionalismes » et « La décomposition des nations européennes » aux Editions François-Xavier de Guibert pour connaître le cadre général et les dessous de l'affaire.
Tout d'abord, il faut rappeler les points clefs de la construction européenne.
1) Les régions (ethniques ou pas) sont appelées à devenir indépendantes politiquement et économiquement en particulier avec l'octroi de la gestion des Fonds structurels en liaison directe avec Bruxelles sans passer par la voie nationale. En avril 2006, les représentants de l'Association des régions françaises (l'ARF), en particulier Ségolène Royal, se sont rendus à Bruxelles pour obtenir cette facilité. Le président de la Commission, José Barroso, est pour la satisfaction de cette demande. Il n'a pas encore le pouvoir de l'imposer. Pour le moment, le gouvernement français a refusé de souscrire à cette exigence venant des présidents des régions … mais pour combien de temps ? En fait, tôt ou tard, les présidents de régions obtiendront ce privilège majeur correspondant au principe de la féodalité.
2) L'Union européenne (l'UE) acquiert une autorité politique croissante. Entre les régions et l'Union européenne, l'Etat-nation est pris dans un étau et vidé de ses prérogatives régaliennes.
3) Avec la coopération transfrontalière, les frontières nationales deviennent administratives et amovibles.
4) Les textes de l'UE officialisent la reconnaissance ethniciste.
5) La désarticulation complète des Etats autorise le regroupement de régions pour des raisons économiques et/ou ethnicistes – dans le cadre des eurorégions - en particulier avec celles se trouvant de part et d'autre des frontières nationales devenues défuntes.
Quand la Belgique éclatera et si la Wallonie demande son rattachement à la France, il faudra refuser en raison des divers faits cités ci-dessus mais aussi en raison d'autres facteurs.
1) D'abord, c'est nous, Français, qui devons avoir le dernier mot. On ne rentre pas en France sans notre accord. Nos intérêts priment sur tout le reste.
2) La Wallonie est une petite « république démocratique allemande » de langue française. En termes clairs, la Wallonie traverse une grave crise économique et son rattachement à la France serait un véritable handicap. Notre pays croulant sous le poids de la dette, du chômage et des problèmes en tout genre n'a vraiment pas besoin d'une surcharge supplémentaire.
3) Quand bien même, l'économie wallonne serait florissante, l'intégration à la France serait prématurée car elle entraînerait un effet domino partout en Europe. En effet, en raison des 5 point évoqués (construction européenne) et qui concernent tous les Etats européens, nous assisterions à une multiplication des revendications territoriales, économiques et ethnicistes. Il faut être logique, si la Wallonie est rattachée à la France, comment cette dernière pourrait refuser le rattachement de la Flandre française (la région de Dunkerque) à la Flandre « belge » ou les exigences des Basques espagnols envers les Basques français. Ce phénomène se répétera partout en Europe comme avec les Hongrois de Roumanie vers Budapest etc… Finalement, la France aura donné le mauvais exemple en ouvrant la boîte de Pandore. Compte tenu que tous les documents européens autorisent la satisfaction de ses demandes en raison des textes susmentionnés, nous assisterions à un véritable chambardement en Europe. On ouvrirait la voie à des guerres comme cela a été le cas avec la Yougoslavie dans les années 1990. Pour l'acquisition d'un petit territoire d'environ 15 000 km², nous paierions dans le sang partout en Europe cette annexion de la Wallonie à la France.
4) En fait, parler d'un rattachement de la Wallonie à la France n'a pour l'instant pas de sens car l'indépendance programmée politique et économique des régions fait qu'il n'y a plus de France politiquement souveraine. En fait, la Wallonie serait rattachée à une eurorégion, c'est-à-dire à un groupe de régions ex-françaises et ex-allemandes traitant directement avec Bruxelles. En effet, des mesures ont été lancées afin de créer une eurorégion regroupant la Wallonie, le Luxembourg, la Rhénanie-Palatinat, la Sarre et la Lorraine.
Conclusion
« La vraie force est de savoir se limiter » comme le disait Charles-Maurice de Talleyrand. Dans le contexte actuel de la destruction des Etats-nations par l'UE, il ne faut pas se faire avoir en entrant dans le jeu de nos ennemis qui cherchent à démanteler les Etats par tous les moyens. Qu'on ne se méprenne pas des propos que je vais tenir. La défense de la langue française ou des intérêts stratégiques de la France sont « secondaires ». Non pas dans le sens quantité négligeable, en fait ce sont des sujets importants, mais dans le sens qu'on ne peut vraiment les défendre qu'à la condition d'obtenir d'abord et avant tout le retour de la souveraineté politique de la France.
Donc, pas de romantisme, pas d'exaltation à l'égard de la Wallonie. Ce qui compte, c'est ce qui est utile à la France à court et à long terme. Bien évidemment, quand le système européiste que l'on cherche à nous imposer aura été mis à terre, la France et la Wallonie pourraient légitimement unir leurs destins. En attendant, la raison impose d'établir des liens privilégiés avec le futur Etat wallon pour l'aider à surmonter les conséquences de sa scission avec la Flandre.
Divorçons de l'Union européenne. Politique d'abord ! et le reste suivra.
Pierre Hillard
Historien
Docteur en Sciences politiques