L'OBSERVATOIRE DE L'EUROPE
Forum d'analyse et d'opinions pour un débat libre sur la construction européenne
Vendredi 11 Octobre 2013

Critique de la construction européenne, par Charles Zorgbibe



Au regard du fédéralisme classique, l'Europe de Bruxelles a la tête en bas et les pieds en l'air... L'Union ne cesse de s'ingérer dans la vie interne des États membres, dans les compétences qui, dans le fédéralisme classique, relèvent naturellement et exclusivement des États fédérés : on sait les plaisanteries des chansonniers sur le modèle de bicyclette européenne ou sur le volume d'eau dont doit disposer la chasse d'eau européenne, réglés dans le détail par les institutions de Bruxelles - plus sérieusement, le gouvernement français de Jean-Marc Ayrault découvre, avec émotion, le 29 mai 2013, la liste détaillée des réformes qui lui sont assignées par la Commission européenne pour lutter contre son "déficit budgétaire excessif" et le "déclin de sa compétitivité". Par contre, l'Union est incapable d'assumer les compétences diplomatiques et stratégiques qui sont le propre de toute instance fédérale : la politique étrangère de l'Union reste, le plus souvent, le mutisme d'une seule voix ; on ne peut que constater avec surprise que l'Union n'a même pas exigé des États candidats qui se drapaient dans un statut de neutralité ou de non-alliance une renonciation à ce statut afin qu'ils puissent vraiment prendre part à une politique étrangère ou de défense commune.

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photo : L'ObsE

Charles Zorgbibe est Agrégé de droit public, Professeur émérite à la Sorbonne, ancien recteur - Revue politique et parlementaire n°1067, 2013

Dans les années 1950-1957, la création des Communautés européennes répondait à un triple dessein :
- l'ambition d'un "rassemblement des nations européennes" et de "l'élimination de l'opposition séculaire de la France et de l'Allemagne" à la mesure des rêves de réconciliation du Lorrain Robert Schuman, associé à deux autres hommes-frontières, le Rhénan Adenauer et l'Italien du Trentin De Gasperi ;
- la réalisation des "premières  assises concrètes d'une fédération européenne", la réalisation concrète consistant ici dans la mise en commun des industries lourdes puis dans le développement en commun d'une industrie atomique civile et dans la mise en place d'un marché commun général, prélude à l'unité européenne comme le Zollverein, place d'un marché commun général, prélude à l'unité européenne comme le Zollverein, l'union douanière des États allemands, avait précédé l'unité allemande ;
- le recours des conseillers de Robert Schuman - Jean Monnet et l'équipe du Commissariat au Plan - à une méthode originale, empirique, "fonctionnaliste", éloignée de la démarche fédéraliste classique.
Une nouvelle ère commençait, traversée de succès, de controverse et, aujourd'hui, de doutes. Les opinions publiques européennes s'interrogent sur la légitimité des institutions de l'Union et sur l'identité de l'Europe. Le triple dessein européen des années 1950 semble ébranlé : le Marché commun s'est délité en une zone de libre-échange, l'approche "fonctionnaliste" a eu un effet pervers sur la conception et le fonctionnement de l'Union, la "paix européenne" elle-même ne semble pas liée à un certain type de structures européennes.        
                                                                                                                                                                                                                                                                   
 

1) Que reste-t-il du projet européen originaire ?

Le marché commun ?

La querelle du marché commun et du libre-échange a pris forme dès les années 1957-1958 avec les négociations menées par le ministre anglais Reginald Maudling. Les deux traités de Rome sur le marché commun et sur Euratom avaient été ratifiés, les institutions communautaires étaient progressivement mises en place... mais les États non membres du Marché commun souhaitaient établir avec ce dernier une vaste zone de libre-échange. En fait, ils demandaient l'extension à l'ensemble de l'Europe des avantages que les États membres venaient de se consentir, particulièrement en matière de désarmement douanier.
Un débat fondamental s'ouvrait donc entre deux conceptions :
→ du côté des six États fondateurs des Communautés (la France, l'Allemagne, l'Italie et les trois États du Bénélux), la manifestation d'un volontarisme politique, la volonté de donner naissance à un processus politique au sein d'un marché commun et transcendé par l'élaboration de politiques communes ;
→ du côté britannique, scandinave et autres, l'attachement à une formule libre-échangiste, à finalité purement économique, excluant l'existence d'un mur douanier commun aux frontières des Communautés.
En 1958, la thèse du libre-échange a été repoussée par l'Europe des Six. Cinquante-cinq ans plus tard, il est manifeste qu'elle a triomphée au sein d'une Union élargie à l'ensemble du continent - élargie à un point tel que le Premier ministre norvégien estime qu'elle est devenue l'organisation régionale européenne des Nations unies. Ce qui faisait la définition et la substance du Marché commun a disparu : les termes-mêmes de tarif extérieur commun et de politiques communes ont été gommés des traités de base européens depuis Maastricht. Il n'existe plus de protection de l'espace européen et la principale politique commune qui subsiste est celle de la concurrence - de l'incitation maximale à la libre-concurrence, transformant l'Europe en un continent passivement ouvert à tous les courants de la mondialisation et l'Union européenne en un accélérateur de la mondialisation (d'autant que les intérêts des divers États européens ne sont pas homogènes : c'est le réflexe du commissaire britannique Mendelson, sacrifiant dans ses négociations avec la Chine, le textile français et italien)... le souci, quasi obsessionnel de la non-discrimination entre citoyens européens et ressortissants de États extérieurs à l'Union exaspérant, par ailleurs, les opinions publiques européennes.

L'approche fonctionnaliste ?

Dans sa déclaration du 9 mai 1950, annonciatrice de la création de la première des communautés, celle du charbon et de l'acier, Robert Schuman dit son scepticisme pour les constructions d'ensemble, sa préférence pour les "réalisations concrètes créant une solidarité de fait". L'Europe "ne se fera pas d'un coup" par un acte purement politique, par quelque constitution des Etats-Unis d'Europe, mais par une intégration progressive de la vie des peuples - avec, pour première étape, l'intégration des industries lourdes, laquelle, par son dynamisme, devra être "le ferment d'une communauté plus large et plus profonde". Dépérissement progressif de l'Etat national, lente érosion des souverainetés. La démarche politique sous-jacente de Robert Schuman est dans le droit fil de l'approche "fonctionnaliste".

Ouvrons ici une parenthèse: des concepts internationaux fondamentaux, tels qu'ils ont été forgés au cours de l'Histoire, ont donnée forme à la société des États européens, des traités de Westphalie au Congrès de Vienne et au Concert européen du XIXème siècle. Certains ont été élaborés à l'intérieur des chancelleries, par des " légistes " proches des pouvoirs européens ou des praticiens de la diplomatie - les concepts de souveraineté, d'équilibre des puissances, de " cercle des nations civilisées ". D'autres ont été conçus à l'extérieur des appareils diplomatiques par les théologiens de Salamanque ou les philosophes des Lumières avant d'imprégner le subconscient collectif européen : l'idée même de communauté internationale, œcuménique, ou l'intuition de l'existence d'une Société des nations, d'une "plus grande société civile", d'une "civitas gentium maxima" au-delà des souverainetés. En mai 1950, nous sommes en présence d'un exemple unique dans l'histoire des relations internationales d'influence directe d'une théorie d'origine universitaire sur les modalités de création d'une organisation internationale.
La réflexion développée à partir de 1933 par l'école fonctionnaliste procédait à l'échec de la Société des Nations. Elle a directement influencé le co-fondateur des Communautés, Jean Monnet, qui a rencontré l'initiateur du fonctionnalisme, le Britannique David Mitrany, à Londres pendant la deuxième Guerre mondiale. Selon Mitrany, la SDN avait échoué parce qu'elle avait attaqué de front les souverainetés. Or la création d'une organisation internationale dans les domaines d'intérêt commun - techniques, économiques, sociaux.

Le fonctionnalisme n'est pourtant pas une théorie de la coopération technique, mais une théorie essentiellement politique. Il considère l'État-nation comme trop étriqué pour résoudre les problèmes techniques, économiques, sociaux. Il préconise la restructuration au cloisonnement territorial "vertical" entre États de structures d'action "horizontales", d'administrations internationales "fonctionnelles". Ainsi seront progressivement et "sans douleur" dépassées les souverainetés. L'État sera peu à peu dépouillé de ses compétences. Au terme d'une évolution longtemps considérée comme anodine, le point de non-retour sera atteint :  le domaine de la coopération sera devenu si dense que les soldats et les diplomates auront laissé place aux administrateurs et aux techniciens, les rapports entre chancelleries aux contacts directs entre administrations techniques, la défense des souverainetés à la solution pragmatique des problèmes concrets.

En fait, dès les premières années de la construction communautaire européenne, la vision politique du fonctionnalisme a été démentie. Il n'est pas vrai qu'une série de délégation de compétences finisse par vider l'État de sa substance et par créer une politique supranationale. Il n'y a pas érosion à l'infini de la souveraineté : arrive un moment où la délégation de compétences est directement politique ou politico-militaire, où le bloc monolithique de la souveraineté est en jeu : alors s'affrontent partisans et adversaires de la délégation de souveraineté, comme en 1954, dans l'affaire de la Communauté européenne de Défense.

Par la suite, la réalité de la construction européenne n'a cessé de se réfléchir sur la théorie fonctionnaliste comme dans un jeu de miroirs : les héritiers de David Mitrany ont voulu tirer la leçon des vicissitudes de l'intégration européenne, des crises traversées par les Communautés ; ils ont reconsidéré leur démarche initiale, trop optimiste par la progression automatique, la "spirale ascendante" qu'elle établissait de l'économique au politique. Un "coup de pouce" politique était décidément nécessaire pour accéder à l'union politique ; il n'existe pas de processus fédératif sans douleur et par automatisme. La théorie fonctionnaliste se rapprochait finalement de l'approche juridico-politique classique fondée sur le volontarisme des acteurs, des décideurs - comme le montre le grand dessein européen de la chancelière Angela Merkel, dévoilé le 25 janvier 2012, qui répond au schéma fédéraliste classique ou plutôt à l'une des options relevant de ce schéma, avec un gouvernement européen, la Commission de l'Union, et deux chambres, le parlement européen et le conseil des États, formé des chefs de gouvernement nationaux.

L'approche fonctionnaliste a provoqué un profond effet pervers dans la distribution des compétences entre l'Union européenne et les États membres. Au lendemain des victoires successives de la Prusse devenue Empire allemand, Bismarck s'écriait : "Quel univers magnifique ! Tout est maintenant la tête en bas et les pieds en l'air !". Au regard du fédéralisme classique, l'Europe de Bruxelles a la tête en bas et les pieds en l'air... L'Union ne cesse de s'ingérer dans la vie interne des États membres, dans les compétences qui, dans le fédéralisme classique, relèvent naturellement et exclusivement des États fédérés : on sait les plaisanteries des chansonniers sur le modèle de bicyclette européenne ou sur le volume d'eau dont doit disposer la chasse d'eau européenne, réglés dans le détail par les institutions de Bruxelles - plus sérieusement, le gouvernement français de Jean-Marc Ayrault découvre, avec émotion, le 29 mai 2013, la liste détaillée des réformes qui lui sont assignées par la Commission européenne pour lutter contre son "déficit budgétaire excessif" et le "déclin de sa compétitivité". Par contre, l'Union est incapable d'assumer les compétences diplomatiques et stratégiques qui sont le propre de toute instance fédérale : la politique étrangère de l'Union reste, le plus souvent, le mutisme d'une seule voix ; on ne peut que constater avec surprise que l'Union n'a même pas exigé des États candidats qui se drapaient dans un statut de neutralité ou de non-alliance une renonciation à ce statut afin qu'ils puissent vraiment prendre part à une politique étrangère ou de défense commune.

Du triple dessein européen de mai 1950, ne semble parfois subsister que le slogan "l'Europe c'est la paix !", paresseusement brandi à chaque consultation référendaire ou élection européenne par des chefs d'État en mal d'arguments - de François Mitterrand à Jacques Chirac et à Nicolas Sarkozy. Un slogan trompeur : la paix en Europe n'est pas liée à la survie de l'Union européenne et l'implosion de l'Union ne signifierait pas la montée des tensions en Europe. La famille des nations européennes, telle qu'elle s'est constituée à partir de 1950 à l'ouest du continent (puis a tenté de s'étendre à l'est après la chute du Mur de Berlin) est une réalité incontournable. Imaginons un exercice de rétro-politique fiction : si le général de Gaulle n'avait pas quitté le pouvoir en 1946, les nations européennes de l'ouest se seraient tout de même constituées en une communauté pacifique à partir de la réconciliation franco-allemande. Mais cette marche vers l'unité européenne aurait pris une tout autre forme : non celle de la supranationalité à la Jean Monnet, mais celle d'un nouveau concert européen, entrevu dans les négociations sur le plan Fouchet.

2) Scénarios pour l'avenir de l'Union

Quel avenir institutionnel concevoir pour une Union européenne qui renonce à créer de la puissance, à constituer un pôle de puissance, une Union qui sort de l'Histoire, une Europe post-historique selon les schémas néo-hégéliens de Francis Fukuyama, une Europe au "pouvoir doux" selon l'expression de Joseph Nye, doyen de l'École d'administration de Harvard ? Cette Europe s'insère différemment sur la scène internationale, comme "puissance civile" - dans l'arène commerciale, dans celle des droits de l'Homme et comme modèle d'intégration proposé aux autres continents. Elle pourrait connaître trois destins, selon qu'elle parviendrait à une certaine stabilité institutionnelle - c'est le scénario de "l'Europe helvétique", qu'elle connaîtrait une lente déliquescence - c'est le scénario du "nouveau Saint-Empire", ou que le consensus sur lequel elle repose serait brisé - c'est le scénario de la rupture interne, de l'implosion.

- Une "Europe helvétique": l'expression n'a rien de péjoratif. Elle signifie le respect de la dignité et du bien-être des personnes. Déjà Max Weber opposait la difficulté de vivre au sein du Deuxième Reich, qui payait au prix fort la qualité de sujet de l'Empire et les ambitions de l'Empereur, à la félicité des petites communautés . . . suisses alémaniques ! Le "modèle helvétique ", c'est une Union fondée sur les principes du pluralisme culturel et linguistique, du gouvernement collégial et de la subsidiarité. Un triangle institutionnel équilibré, Conseil européen-Commission-Parlement, serait porteur d'une certaine efficacité et d'une certaine légitimité. L'Union est présente dans la vie des citoyens européens par le biais de la défense de leurs droits fondamentaux, dans celle des entreprises et des acteurs économiques par l'élaboration de règles économiques communes, avec recours possible devant la Cour des Communautés, voire auprès des États en conflit, à la périphérie de l'Union, par l'élaboration d'un ensemble de normes pour la sécurité en Europe. C'est le temps de l'"espace public européen" et du "patriotisme constitutionnel européen", patriotisme abstrait, pure allégeance à l'état de droit, vantés par les chantres d'une Allemagne-démocratie de laboratoire, post-historique, à la Habermas.
 
- Une lente déliquescence de l'Union, menant à la formation d'un "montre institutionnel", d'un nouveau Saint-Empire - le "monstre institutionnel" étant le qualificatif que Samuel Puffendorf appliquait au Saint-Empire romain germanique. Le triangle parfait du modèle helvétique se délite : il n'y a pas d'identité européenne ; les replâtrages institutionnels ne peuvent masquer les contradictions entre Europe fédérale et inter-étatique... car les dirigeants européens n'ont jamais fait le choix élémentaire entre les modèles intergouvernemental et supranational, la "fédération des États-nations" chère à Jacques Delors n'étant qu'un oxymore comme le soulignait Jean-Pierre Chevènement. (Un peu comme Aristide Briand qui, dans son projet d'Union fédérale européenne présenté le 1er mai 1930 préconisait "un lien fédéral qui ne toucherait pas à la souveraineté d'aucune des nations membres" !). Depuis la constitution européenne manquée de 2005, l'Union a même procédé à un empilement des conseils et des présidences, comme dans le palais du facteur Cheval, une présidence du Conseil européen à plein temps se superposant à la présidence tournante, semestrielles, et à celle de la Commission. Dans ce deuxième scénario, l'Union continue à fonctionner mais sans légitimité ; elle n'a plus de poids réel sur la scène internationale ; elle ne présente pas de réponde crédible aux défis qui l'assaillent ; elle s'enfonce dans un débat sans fin... sur sa réforme.  

L'Union retrouve donc le destin du Saint-Empire aux XVIIème et XVIIIème siècle. Le "Saint-Empire de nation allemande" dérive de l'imperium romanum, mais limité à l'espace allemand, avec quelques annexes non-allemandes, telle la Bohème, les influences extérieures, celle de la France et de l'Angleterre, étant prépondérantes. La complexité institutionnelle est telle qu'une scission s'est produite dans les organes de l'Empire, entre ceux procédant de l'Empereur et de son entourage immédiat et ceux constitués par les princes quasi-souverains de l'Empire, réunis dans les Diètes impériales et se considérant comme le Reich, l'Empire face au Kaiser, l'Empereur. Dédoublement des organes d'administration : la chancellerie du Reich est confiée à l'électeur de Mayence face au Conseil privé du Kaiser. Dualisme des organes judiciaires : la cour suprême de l'Empire siège à Spire puis à Wetzlar, et s'appuie sur les entités composant le Reich, face à un tribunal concurrent, le conseil aulique, qui dépend totalement du Kaiser.

Pourtant, l'Empire n'a pas perdu toute signification : selon Georges Duby, il est "le mythe où l'Occident retrouve l'unité foncière dont il rêve" ; même réduit à la nation allemande, il reste l'aspiration commune des Européens - le "monstre institutionnel" reste un bloc non négligeable, inoffensif à l'extérieur mais admiré pour son étendue, son poids démographique, ses ressources économiques. Avec un aspect négatif : les États de l'Occident de l'Europe s'engagent dans l'expansion sur les mers et dans la modernité, alors que le Saint-Empire est tourné vers le passé et entraîne le déclin des terres et du peuple allemands. L'Union déclinante pourrait donc, à la manière du Saint-Empire, rester en scène pendant des décennies, avec un prestige presque inentamé, continuant à susciter des candidatures pour entrer dans son sein parmi les États extérieurs.  

- Le troisième scénario est celui de la rupture interne, de l'implosion de l'Union. Le consensus européen est brisé, les refontes institutionnelles sont rejetées par certains des États membres, chacune des institutions de l'Union tente d'affirmer son pouvoir, les chantages au maintien de l'Union se succèdent, l'Union continue de s'élargir avec, parfois, des statuts dérogatoires qui ajoutent à sa complexité, les conflits d'intérêts s'accusent au sein de la zone euro, certains des principaux États-membres tentent de passer en force... Une Union sans identité commune et à l'influence internationale abaissée pourrait s'effondrer dans le séisme que provoquerait le décrochage des opinions publiques.

Reste un ultime scénario, en dehors de la perspective générale commune aux trois simulations précédentes, celui de la refondation de l'Union : face à une Europe-espace passif ouvert au libre-échange par un ensemble de normes contraignantes, un groupe d'États, nouveau "noyau cristallisateur" du continent, peut avoir l'ambition de redécouvrir la protection que conférait aux Européens de 1950 le tarif extérieur commun et surtout d'organiser l'Europe en une puissance politique et militaire, de l'ériger en un acteur de poids sur la scène internationale. D'autant que la chute du Mur de Berlin et la fin de la guerre froide ont modifié la nature du système international : non plus le face-à-face de deux alliances à vocation mondiale mais le retour de l'État-nation sur le fond, souvent tragique, des guerres et guerres civiles au sein du huis-clos planétaire.

Une ambitieuse relance politique européenne, avec deux variantes institutionnelles à envisager : le groupe d'États refondateurs pourrait utiliser la procédure des "coopération renforcées" au sein de l'ensemble communautaire : plus probablement il devra naître d'un acte de volonté desdits États, se développer en dehors du cadre juridique et constitutionnel de l'Union et promouvoir une Europe politique des États, dont l'architecture n'a jamais été réellement dessinée.


Source :  Revue politique et parlementaire , Nº1067, 2013 ,  La France à l'épreuve de l'Union européenne, pages 129-134

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