La loi française peut-elle contribuer au renversement du consensus européen ? par Christophe Beaudouin, docteur en droit
L’entrée en vigueur de la loi française ouvrant le mariage et l’adoption aux couples de même sexe ne bouleverse pas le paysage européen actuel du modèle familial. À ce jour, seule une poignée d’États, tous à l’Ouest, a franchi le Rubicon d’une redéfinition du mariage, représentant à peine 15 % des quarante-sept nations du Conseil de l'Europe, un quart des membres de l’Union européenne[1]. Parmi l’immense majorité des États de la grande Europe, il en est même vingt-cinq qui ne reconnaissent aucun statut légal ou droits patrimoniaux aux couples de même sexe : ni mariage, ni partenariat enregistré, ni droits de cohabitation.[2] Pire, la législation de plusieurs d'entre eux pose explicitement l'altérité sexuelle comme condition du mariage[3] et certains s’autorisent, le cas échéant, à refuser la reconnaissance juridique sur leur territoire de partenariats homosexuels conclus à l'étranger. Ainsi, en s’en tenant au « consensus » compris comme le « consentement du plus grand nombre, de l’opinion publique » (Larousse), c’est peu dire que le consensus européen n’est pas au mariage homosexuel mais très massivement au statu quo, c’est-à-dire à la définition traditionnelle assise sur le modèle biologique homme-femme. La loi française contribuerait donc plutôt à creuser la division avec l’immense majorité de ses partenaires, en particulier ceux de l’Est européen.
Une telle arithmétique pourrait-elle cependant évoluer à la faveur du ralliement de la France à la dynamique actuelle du droit transnational européen des minorités sexuelles ? Il ne faut pas sous-estimer la portée symbolique qu’une telle réforme peut avoir dans le regard de ceux qui, en Europe et dans le monde, voient encore la France comme un modèle, un phare du "progrès". Lorsque c’est la nation de l’humanisme chrétien et des Lumières qui décide d’une telle rupture anthropologique, elle sert un puissant argument à tous les groupes de pression qui, dans les pays réticents, militent encore avec peine en faveur des droits LGBT[4]. La France ne fait pas que s’incliner devant la libéralisation juridique impulsée par le Conseil de l’Europe et l’Union européenne (1re partie), elle entend anticiper et soutenir les organes de Strasbourg, Bruxelles et Luxembourg dans leurs efforts pour bâtir une coalition d’États pionniers du mariage homosexuel afin de renverser l’actuel consensus qui s’y oppose (2e partie).
Les deux organisations européennes – Conseil de l’Europe et Union - ont posé de nombreux cliquets juridiques en matière de droits fondamentaux liés à l’orientation sexuelle. D’abord la Cour de Strasbourg à travers ses arrêts erga omnes exerçant leur autorité sur une aire continentale de quarante-sept pays présentant des cultures, des pratiques religieuses et donc des réponses philosophiques et juridiques très contrastées. À défaut de compétence en droit de la famille, l'Union a emprunté des chemins de traverse, s'appuyant sur le principe de libre circulation et celui de non-discrimination. C’est à partir d’une interprétation extensive de ces deux principes constitutifs de l'ADN communautaire, que la Cour de justice a, dès l’origine, abordé la question des droits fondamentaux pour étendre la sphère des droits individuels[5].
Voici quarante ans que la juridiction du Conseil de l'Europe condamne les différences de traitement qui subsistent dans les législations de certains États au détriment des homosexuels : répression pénale[6], majorité sexuelle[7], discrimination dans l'armée[8], droits sociaux et patrimoniaux[9]. Elle a ainsi jugé, en 2003, que le refus d’inscrire un partenaire homosexuel d’un défunt dans son ordre successoral constituait une violation conjointe des art. 8 (vie privée et familiale) et 14 (discrimination) Conv. EDH[10]. À cette fin et comme pour d'autres sujets, elle instrumentalise en effet l'art. 14 de la Convention sur l'interdiction de toute discrimination en procédant à sa combinaison avec d'autres articles.
Un « droit à une vie familiale » pour les couples homosexuels - Mais depuis quelques années, la Cour européenne de Strasbourg a dépassé les questions liées à la protection des minorités sexuelles, pour franchir une nouvelle étape. Saisie de requêtes réclamant une déréglementation de l'état des personnes et du droit de la famille, elle a choisi d'y donner suite en adoptant l’approche libérale du « statut » homosexuel. Sans pouvoir encore en tirer, faute de « consensus européen », une base juridique en faveur de la reconnaissance d’un droit conventionnel au mariage et à la parentalité homosexuels, elle parachève néanmoins touche par touche, sujet par sujet, arrêt après arrêt, une jurisprudence audacieuse en faveur du modèle familial homosexuel. Dans un fameux arrêt « E. B. c/ France » rendu en 2008, elle a condamné la France pour avoir refusé d’octroyer à une femme célibataire l’agrément d’adoption, ce refus ayant probablement été motivé par le fait que la candidate entretenait une relation avec une autre femme[11]. En 2010, elle a franchi un nouveau pas considérable en estimant que le couple homosexuel est désormais inclus dans la protection offerte par l’art. 8 sur le droit à une vie familiale[12]. Bien que moins de la moitié des États du Conseil de l'Europe se soient dotés à ce jour de dispositions relatives aux couples homosexuels[13], la Cour y invoque néanmoins les progrès du « consensus européen » en faveur d'un statut formel du couple homosexuel, avant d'avertir que son absence, dans le futur, sera probablement jugée comme une violation des art. 8 et 14 Conv. EDH. À bon entendeur…
Dans une affaire encore rendue contre la France en 2012, la Cour avait suivi cette ligne pour juger que l'interdiction pour une femme d'adopter l'enfant de son amie ne pouvait être discriminatoire tant que cette interdiction s'impose aussi aux couples hétérosexuels non mariés[14]. Enfin, en 2013, dans une nouvelle affaire d'adoption, elle a imposé cette égalité de traitement en censurant le refus du juge autrichien de faire droit à la demande d'adoption par une femme de l'enfant mineur de sa compagne, alors que le père entretenait avec son fils des contacts réguliers, que ce dernier portait son nom et en recevait une pension[15].
Un accès égal et automatique à tous les moyens de la filiation - Il reste que la Cour suit ici sa logique implacable en exigeant l'égalité de traitement pour des situations semblables et n'admet certaines prérogatives que pour des situations différentes[16]. Ainsi, s'agissant du droit à la non-discrimination fondée sur l'orientation sexuelle, les États n'ont plus qu'une marge d'appréciation extrêmement étroite. Celui qui prétendrait maintenir une différence de traitement entre couples de même sexe et couples de sexe différent devrait exciper d'un motif particulièrement grave et convaincant. Dans une recommandation de 2010, le Comité des ministres réaffirme ainsi la jurisprudence de la Cour : « Lorsque les États confèrent des droits et des obligations aux couples non mariés, ces droits et obligations devraient s'appliquer de manière égale aux couples de même sexe et à ceux de sexe différent (...) » ; et, en tout état de cause, ils « sont invités à considérer la possibilité de fournir aux couples de même sexe des moyens juridiques ou autres pour répondre aux problèmes pratiques liés à la réalité sociale dans laquelle ils vivent. [17]» On comprend, dès lors, que la loi Taubira, outre l'adoption plénière, ouvrirait automatiquement l'accès des couples de même sexe à la procréation médicalement assistée[18] sauf à risquer la censure par la CEDH.
Longtemps, les juges de l’Union ont œuvré dans la même direction que ceux du Conseil de l’Europe, mais avec des occasions et des instruments juridiques plus limités jusqu’au traité d’Amsterdam. L’Union a d’abord procédé en la matière par encouragements, en adoptant plusieurs résolutions qui invitent les États membres à se doter d’une législation autorisant le mariage et l’adoption homosexuels. Après l’entrée en vigueur du traité d’Amsterdam, c’est à une directive de 2000 que l’on doit l’interdiction expresse, pour la première fois au niveau de l’Union, de la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle sur le lieu de travail. Le traité et la directive ayant ainsi introduit ce concept nouveau de discrimination liée à l’orientation sexuelle, la Cour de Luxembourg a trouvé le fondement juridique qui lui manquait. Dans son arrêt « Maruko » qui portait sur l’application de la directive, elle a ainsi jugé que les couples homosexuels reconnus par un statut légal de partenariat, quels qu’en soient le contenu, la forme ou l’appellation et à condition que le juge national considère le statut équivalent à celui du mariage, devaient naturellement être traités sur un pied d’égalité dans le cadre du travail. L’assimilation des couples homosexuels unis civilement aux personnes mariées s’opère ainsi progressivement. Au titre de la lutte contre les discriminations fondées sur l'orientation sexuelle, la CJUE s’est encore prononcée dans une affaire « Römer » au sujet d'une pension de retraite perçue par un partenaire enregistré qui était inférieure à celle perçue par une personne mariée.
Entrée, séjour et regroupement familial pour tous - Sur le plan législatif, l'Union s'est montrée également très active. En 2003, la directive sur le regroupement familial et en 2004 celle sur la liberté de circulation des citoyens de l’Union ont été l’occasion de favoriser l’intégration du partenaire homosexuel parmi les membres de la « famille » du citoyen européen et d’y attacher tous les droits prévus par ces textes. Pour les ressortissants des pays tiers, le regroupement familial, quant à lui, ne vise encore que les conjoints mariés. En 2004, la directive sur la libre circulation des citoyens de l’Union traite la question sous l’angle de la reconnaissance mutuelle entre les États membres des partenariats et mariages conclus entre personnes de même sexe. Elle prescrit notamment que le partenaire enregistré d’un citoyen de l’Union exerçant sa liberté de circulation, jouit du droit de résider dans l’État d’accueil à deux conditions : si le partenariat est bien enregistré sur la base de la loi d’un État membre et si dans l’État d’accueil les effets du partenariat sont équivalents à ceux du mariage. Il n’est cependant pas encore clairement affirmé que les mariages conclus entre personnes de même sexe seraient, dès lors, reconnus au sein de l’Union au titre de l’exercice des droits de libre circulation. On observe qu’ici le législateur européen respecte les législations nationales des États tout en déduisant de l’existence de tels statuts dans les pays d’origine et d’accueil des effets de droit pour le partenaire homosexuel du citoyen européen. Mais il semble disposé à s’en affranchir lorsqu’il stipule que les États doivent favoriser « l’entrée et le séjour du partenaire avec lequel le citoyen de l’Union a une relation durable, dûment attestée.
Les textes sont plus clairs s’agissant des enfants élevés par le couple homosexuel. La directive n° 2003/86 relative au droit au regroupement familial et le droit de non-discrimination exige que les enfants puissent jouir du droit d’entrée et de séjour indépendamment du statut juridique et de l’orientation sexuelle de leurs parents. Dans le cas des États membres dont la législation n’admet pas le mariage ou le partenariat entre personnes du même sexe, cette asymétrie juridique pourrait en effet empêcher l’enfant de vivre avec ses deux « parents » homosexuels
La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, relayée par le droit de l’Union, a accompagné et soutenu, au cours des dernières années, l'émergence des questions relatives aux minorités sexuelles dans le débat public. Il s’agit de faire émerger un nouveau « consensus » au sein des nombreux pays réticents, au nom duquel les organes européens pourraient ensuite imposer, pour lutter contre les discriminations liées à l’orientation sexuelle et à une vie familiale normale, l’accès des homosexuels au mariage et à la parentalité à l’échelle de l’Europe.
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Une telle arithmétique pourrait-elle cependant évoluer à la faveur du ralliement de la France à la dynamique actuelle du droit transnational européen des minorités sexuelles ? Il ne faut pas sous-estimer la portée symbolique qu’une telle réforme peut avoir dans le regard de ceux qui, en Europe et dans le monde, voient encore la France comme un modèle, un phare du "progrès". Lorsque c’est la nation de l’humanisme chrétien et des Lumières qui décide d’une telle rupture anthropologique, elle sert un puissant argument à tous les groupes de pression qui, dans les pays réticents, militent encore avec peine en faveur des droits LGBT[4]. La France ne fait pas que s’incliner devant la libéralisation juridique impulsée par le Conseil de l’Europe et l’Union européenne (1re partie), elle entend anticiper et soutenir les organes de Strasbourg, Bruxelles et Luxembourg dans leurs efforts pour bâtir une coalition d’États pionniers du mariage homosexuel afin de renverser l’actuel consensus qui s’y oppose (2e partie).
I - Libéralisation du droit de la famille : l'activisme intense des institutions européennes
Les deux organisations européennes – Conseil de l’Europe et Union - ont posé de nombreux cliquets juridiques en matière de droits fondamentaux liés à l’orientation sexuelle. D’abord la Cour de Strasbourg à travers ses arrêts erga omnes exerçant leur autorité sur une aire continentale de quarante-sept pays présentant des cultures, des pratiques religieuses et donc des réponses philosophiques et juridiques très contrastées. À défaut de compétence en droit de la famille, l'Union a emprunté des chemins de traverse, s'appuyant sur le principe de libre circulation et celui de non-discrimination. C’est à partir d’une interprétation extensive de ces deux principes constitutifs de l'ADN communautaire, que la Cour de justice a, dès l’origine, abordé la question des droits fondamentaux pour étendre la sphère des droits individuels[5].
1) Conseil de l’Europe : du souci de l'égalité de traitement au bouleversement du modèle familial
Voici quarante ans que la juridiction du Conseil de l'Europe condamne les différences de traitement qui subsistent dans les législations de certains États au détriment des homosexuels : répression pénale[6], majorité sexuelle[7], discrimination dans l'armée[8], droits sociaux et patrimoniaux[9]. Elle a ainsi jugé, en 2003, que le refus d’inscrire un partenaire homosexuel d’un défunt dans son ordre successoral constituait une violation conjointe des art. 8 (vie privée et familiale) et 14 (discrimination) Conv. EDH[10]. À cette fin et comme pour d'autres sujets, elle instrumentalise en effet l'art. 14 de la Convention sur l'interdiction de toute discrimination en procédant à sa combinaison avec d'autres articles.
Un « droit à une vie familiale » pour les couples homosexuels - Mais depuis quelques années, la Cour européenne de Strasbourg a dépassé les questions liées à la protection des minorités sexuelles, pour franchir une nouvelle étape. Saisie de requêtes réclamant une déréglementation de l'état des personnes et du droit de la famille, elle a choisi d'y donner suite en adoptant l’approche libérale du « statut » homosexuel. Sans pouvoir encore en tirer, faute de « consensus européen », une base juridique en faveur de la reconnaissance d’un droit conventionnel au mariage et à la parentalité homosexuels, elle parachève néanmoins touche par touche, sujet par sujet, arrêt après arrêt, une jurisprudence audacieuse en faveur du modèle familial homosexuel. Dans un fameux arrêt « E. B. c/ France » rendu en 2008, elle a condamné la France pour avoir refusé d’octroyer à une femme célibataire l’agrément d’adoption, ce refus ayant probablement été motivé par le fait que la candidate entretenait une relation avec une autre femme[11]. En 2010, elle a franchi un nouveau pas considérable en estimant que le couple homosexuel est désormais inclus dans la protection offerte par l’art. 8 sur le droit à une vie familiale[12]. Bien que moins de la moitié des États du Conseil de l'Europe se soient dotés à ce jour de dispositions relatives aux couples homosexuels[13], la Cour y invoque néanmoins les progrès du « consensus européen » en faveur d'un statut formel du couple homosexuel, avant d'avertir que son absence, dans le futur, sera probablement jugée comme une violation des art. 8 et 14 Conv. EDH. À bon entendeur…
Dans une affaire encore rendue contre la France en 2012, la Cour avait suivi cette ligne pour juger que l'interdiction pour une femme d'adopter l'enfant de son amie ne pouvait être discriminatoire tant que cette interdiction s'impose aussi aux couples hétérosexuels non mariés[14]. Enfin, en 2013, dans une nouvelle affaire d'adoption, elle a imposé cette égalité de traitement en censurant le refus du juge autrichien de faire droit à la demande d'adoption par une femme de l'enfant mineur de sa compagne, alors que le père entretenait avec son fils des contacts réguliers, que ce dernier portait son nom et en recevait une pension[15].
Un accès égal et automatique à tous les moyens de la filiation - Il reste que la Cour suit ici sa logique implacable en exigeant l'égalité de traitement pour des situations semblables et n'admet certaines prérogatives que pour des situations différentes[16]. Ainsi, s'agissant du droit à la non-discrimination fondée sur l'orientation sexuelle, les États n'ont plus qu'une marge d'appréciation extrêmement étroite. Celui qui prétendrait maintenir une différence de traitement entre couples de même sexe et couples de sexe différent devrait exciper d'un motif particulièrement grave et convaincant. Dans une recommandation de 2010, le Comité des ministres réaffirme ainsi la jurisprudence de la Cour : « Lorsque les États confèrent des droits et des obligations aux couples non mariés, ces droits et obligations devraient s'appliquer de manière égale aux couples de même sexe et à ceux de sexe différent (...) » ; et, en tout état de cause, ils « sont invités à considérer la possibilité de fournir aux couples de même sexe des moyens juridiques ou autres pour répondre aux problèmes pratiques liés à la réalité sociale dans laquelle ils vivent. [17]» On comprend, dès lors, que la loi Taubira, outre l'adoption plénière, ouvrirait automatiquement l'accès des couples de même sexe à la procréation médicalement assistée[18] sauf à risquer la censure par la CEDH.
2) Union européenne : l’arsenal normatif du marché au secours des revendications homosexuelles
Longtemps, les juges de l’Union ont œuvré dans la même direction que ceux du Conseil de l’Europe, mais avec des occasions et des instruments juridiques plus limités jusqu’au traité d’Amsterdam. L’Union a d’abord procédé en la matière par encouragements, en adoptant plusieurs résolutions qui invitent les États membres à se doter d’une législation autorisant le mariage et l’adoption homosexuels. Après l’entrée en vigueur du traité d’Amsterdam, c’est à une directive de 2000 que l’on doit l’interdiction expresse, pour la première fois au niveau de l’Union, de la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle sur le lieu de travail. Le traité et la directive ayant ainsi introduit ce concept nouveau de discrimination liée à l’orientation sexuelle, la Cour de Luxembourg a trouvé le fondement juridique qui lui manquait. Dans son arrêt « Maruko » qui portait sur l’application de la directive, elle a ainsi jugé que les couples homosexuels reconnus par un statut légal de partenariat, quels qu’en soient le contenu, la forme ou l’appellation et à condition que le juge national considère le statut équivalent à celui du mariage, devaient naturellement être traités sur un pied d’égalité dans le cadre du travail. L’assimilation des couples homosexuels unis civilement aux personnes mariées s’opère ainsi progressivement. Au titre de la lutte contre les discriminations fondées sur l'orientation sexuelle, la CJUE s’est encore prononcée dans une affaire « Römer » au sujet d'une pension de retraite perçue par un partenaire enregistré qui était inférieure à celle perçue par une personne mariée.
Entrée, séjour et regroupement familial pour tous - Sur le plan législatif, l'Union s'est montrée également très active. En 2003, la directive sur le regroupement familial et en 2004 celle sur la liberté de circulation des citoyens de l’Union ont été l’occasion de favoriser l’intégration du partenaire homosexuel parmi les membres de la « famille » du citoyen européen et d’y attacher tous les droits prévus par ces textes. Pour les ressortissants des pays tiers, le regroupement familial, quant à lui, ne vise encore que les conjoints mariés. En 2004, la directive sur la libre circulation des citoyens de l’Union traite la question sous l’angle de la reconnaissance mutuelle entre les États membres des partenariats et mariages conclus entre personnes de même sexe. Elle prescrit notamment que le partenaire enregistré d’un citoyen de l’Union exerçant sa liberté de circulation, jouit du droit de résider dans l’État d’accueil à deux conditions : si le partenariat est bien enregistré sur la base de la loi d’un État membre et si dans l’État d’accueil les effets du partenariat sont équivalents à ceux du mariage. Il n’est cependant pas encore clairement affirmé que les mariages conclus entre personnes de même sexe seraient, dès lors, reconnus au sein de l’Union au titre de l’exercice des droits de libre circulation. On observe qu’ici le législateur européen respecte les législations nationales des États tout en déduisant de l’existence de tels statuts dans les pays d’origine et d’accueil des effets de droit pour le partenaire homosexuel du citoyen européen. Mais il semble disposé à s’en affranchir lorsqu’il stipule que les États doivent favoriser « l’entrée et le séjour du partenaire avec lequel le citoyen de l’Union a une relation durable, dûment attestée.
Les textes sont plus clairs s’agissant des enfants élevés par le couple homosexuel. La directive n° 2003/86 relative au droit au regroupement familial et le droit de non-discrimination exige que les enfants puissent jouir du droit d’entrée et de séjour indépendamment du statut juridique et de l’orientation sexuelle de leurs parents. Dans le cas des États membres dont la législation n’admet pas le mariage ou le partenariat entre personnes du même sexe, cette asymétrie juridique pourrait en effet empêcher l’enfant de vivre avec ses deux « parents » homosexuels
II – Droit européen des Lesbiennes, Gays, Bisexuels et Transgenres : l'arme absolue face aux conservatismes sociaux
La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, relayée par le droit de l’Union, a accompagné et soutenu, au cours des dernières années, l'émergence des questions relatives aux minorités sexuelles dans le débat public. Il s’agit de faire émerger un nouveau « consensus » au sein des nombreux pays réticents, au nom duquel les organes européens pourraient ensuite imposer, pour lutter contre les discriminations liées à l’orientation sexuelle et à une vie familiale normale, l’accès des homosexuels au mariage et à la parentalité à l’échelle de l’Europe.
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Lire la suite : http://www.dalloz.fr/documentation/lien?famille=revues&dochype=AJFAM/CHRON/2013/0070
Article publié au Dalloz AJ Famille 2013 p. 366
Article publié au Dalloz AJ Famille 2013 p. 366
[1] Outre la France, seulement sept États ont en effet étendu le mariage aux couples de même sexe : les Pays-Bas en 2000, la Belgique en 2003, l’Espagne en 2005, la Suède en 2009, le Portugal en 2010 et le Danemark en 2012. Hors de l'Union, il faut y ajouter l'Islande depuis 2010. Le débat est ouvert au Luxembourg et, de manière différente, au Royaume Uni.
[2] Albanie, Arménie, Azerbaïdjan, Bosnie-Herzégovine, Bulgarie, Chypre, Estonie, Macédoine, Russie, Géorgie, Grèce, Italie, Lettonie, Lituanie, Malte, Moldova, Monaco, Monténégro, Pologne, Roumanie, Saint-Marin, Serbie, Slovaquie, Turquie et Ukraine.
[3] Contribution nationale (rapports juridiques) sur les États membres concernés ; Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne (FRA), Homophobia, Transphobia and Discrimination on Grounds of Sexual Orientation and Gender Identity : 2010 Update – Comparative Legal Analysis, 2010, p.46-47.
[4] Lesbiennes, Gays, Bisexuels et Transgenres.
[5] Imitant la Cour suprême des États-Unis, la CJCE a ainsi élargi sa jurisprudence aux questions de société à partir des libertés économiques stricto sensu, rappelle J.-L. Sauron, in Le traité d’Amsterdam : une réforme inachevée, Dalloz, 1998, p. 69.
[6] CEDH 22 oct. 1981, Dudgeon c/ Royaume Uni , n° 7525/76 ; 26 oct. 1988, Norris c/ Irlande, n° 10581/83 et 22 avr. 1993, Modinos c/ Chypre, n° 15070/89.
[7] CEDH, 27 mars 2001, Sutherland c/ Royaume Uni, n° 25186/94 ; 9 avr. 2003, n° 39392/98, L. et V. c/ Autriche et plusieurs autres affaires.
[8] CEDH 27 sept. 1999, Smith et Grady c/ Royaume-Uni, n° 33985/96 ; 27 sept. 1999, Lustig-Prean & Beckett c/ Royaume Uni, n° 31417/96.
[9] CEDH 24 juill. 2003, Karner c/ Autriche, n° 40016/98 ; 2 mars 2010, Kozak c/Pologne, n° 13102/0.
[10] Ibid.
[11] CEDH, gr. ch., 22 janv. 2008, E. B. c/ France, n° 43546/02, AJDA 2008. 117 ; ibid. 978, chron. Flauss ; D. 2008. 2038, obs. Royer, note Hennion-Jacquet ; ibid. 1786, obs. Lemouland et Vigneau ; AJ fam. 2008. 118, obs. Chénedé ; RDSS 2008. 380, obs. Neirinck ; RTD civ. 2008. 249, obs. Marguénaud; ibid. 287, obs. Hauser ; JCP 2008. 10071, note Gouttenoire et Sudre.
[12] CEDH, 24 juin 2010, Schalk & Kopf c/ Autriche, no 30141/04.
[13] Environ la moitié des États membres du Conseil de l’Europe se sont dotés de dispositions législatives pour les couples homosexuels.
[14] CEDH 15 mars 2012, Gas & Dubois c/ France, n° 25951/07.
[15] CEDH, 19 févr. 2013, n° n° 19010/07, X et autres c/ Autriche.
[16] CEDH , gr. ch., 6 avr. 2000, Thlimmenos c/ Grèce, n° 34369/97.
[17] Recommandation CM/Rec(2010)5 du 31 mars 2010, § 23 à 25.
[18] Le Comité des ministres recommande aux États membres qui autorisent la procréation assistée aux femmes célibataires d’en garantir l’accès « sans discrimination fondée sur l’orientation sexuelle » (Recommandation CM/Rec du 31 mars 2010).