Dossier préparé par Myriam Saintignon, pour l'Observatoire de l'Europe
Libre-échangistes et sociétalistes se proclament en choeur "Européens convaincus", alors qu'en réalité, ils rêvent moins des promesses éternelles de l'Europe unie - le mythe salvateur des « 3 p » : Prospérité, Puissance et Paix, mythe dont l'échec n'est plus à démontrer - que de l'Europe de la tabula rasa. Le rêve européen est ainsi instrumentalisé sans vergogne pour, la main sur le coeur et la bannière bleue étoilée en bandoulière, atteindre leurs vrais buts privés, qui supposent la marginalisation rapide des Etats-nations, l'abolition de toutes les frontières y compris et d'abord morales, la déréglementation économique et juridique, en vue de l'abolition à leur seul profit de toutes les limites et distinctions qui "entraveraient" leurs intérêts particuliers et immédiats, marchands et égoïstes.
La fabrication en chaîne du crétin globalisé, consommateur, relativiste et procédurier avance ainsi sur ses deux jambes : l'économie de Marché et la société de Marché. L'extraordinaire unité de l'idéologie du "Marché total" n'a jamais autant sauté aux yeux de ceux qui croyaient encore un peu à la pertinence du clivage droite-gauche. Ce que le Prix Nobel Joseph Stiglitz nomme « le fondamentalisme marchand» a su se servir du principe de liberté pour le dévoyer en licence afin d’encourager l’individu à n’écouter que ses désirs (un droit de tous sur tout), et du principe d’égalité dévoyé en égalitarisme pour créer l’individu interchangeable, prêt-à-consommer (dans les deux sens du terme)... Il ne restait plus qu’à dévoyer la fraternité en cosmopolitisme général et obligatoire, et le subtil équilibre entre ces trois principes constitutifs de notre devise nationale était brisé, avec eux, sur l’autel du "divin marché".
1) Ils veulent la dérèglementation des marchés bancaires et financiers
Les 123 millions annuels dépensés par les banques et sociétés de services financiers ces dernières années s'expliquent aisément : elles ont beaucoup à perdre ou gagner des réformes récentes ou en cours de la réglementation européenne depuis l'effondrement des marchés mondiaux en 2008. Depuis la faillite de Lehman Brothers en septembre 2008 et la feuille de route du G20 l'année suivante, le rythme des directives pondues par l'UE dans le domaine économique et financier s'est accéléré. L’objectif du super-lobby de la finance a été de limiter autant que possible les velléités réglementaires des dirigeants européens. Tout y est passé : banques, cabinets d'audit, agences de notation, Bourses... Pas moins de 60 textes ont dû être adoptés de fin 2008 à mai 2014. Ces textes ont fait l’objet d’une co-rédaction entre les banques et l’administration de la Commission (« Finance Watch »). Ils ont été confiés à des groupes experts, composés pour l'essentiel de représentants du secteur financier. Alors qu'il travaillait sur le projet de directive concernant les hedge funds, le député européen Jean-Paul Gauzes (UMP-PPE) a dû répondre à des demandes de rendez-vous de 198 lobbyistes du secteurs bancaire...
Il apparaît difficile au Politique de reprendre le pouvoir dans un monde où la finance est autant dérégulée : quand un algorithme y est capable d’y prendre 14.000 décisions à la seconde… que peut la décision politique devant cette liquidation totale ?
Il faut rappeler ici l’origine précise de la mondialisation financière, qui, comme l’Europe intégrée, est certes soutenue et encouragée par les Etats-Unis, mais qui fut anticipée et réalisée selon une méthode et un rythme qui sont bien français. La globalisation fut l'oeuvre, avec un zèle tout aussi incroyable que méconnu, de membres des élites économiques, politiques et bancaires françaises, persuadées d’œuvrer au « Progrès », appartenant à la « gauche moderne » arrivée au pouvoir avec François Mitterrand, et sous les yeux fascinés d’une droite tout aussi « moderne » et surtout intellectuellement et moralement indigente. Dans l’ouvrage du grand professeur d’économie à Harvard, Abdelal Rawi (« Le consensus de Paris : la France et les règles de la finance mondiale »), on redécouvre que la globalisation actuelle, a été voulue par les Etats-Unis mais codifiée par la France, au-delà de ce que demandait Washington, sous l’impulsion de trois hauts fonctionnaires, tous proches de François Mitterrand : Jacques Delors à la tête de l’UE comme président de la Commission, Henri Chavranski à la tête de l’OCDE et Michel Camdessus à la tête du FMI. Le Professeur Rawi raconte notamment comment Jacques Delors (avec les lobbies d'affaires transatlantiques) a été, en 1985, à l’initiative de la complète libéralisation des mouvements de capitaux. 70 à 80% des transactions de capitaux étaient "libérées" et la mondialisation financière pouvait progresser à grand pas, non seulement en Europe mais vis-à-vis des pays tiers. A sa suite, le représentant de la France à l’OCDE, M. Chavranski a alors fait prévaloir en 1989 une codification de ces mouvements libres de capitaux : « Jacques Delors a su imposer à travers l’Acte Unique des règles les plus libérales qu’on puisse imaginer (…) Entre 1983 et 1986, ils [les Français] ont choisi l’intégration de leur pays dans les marchés financiers internationaux. Après 1986, des personnalités françaises vont figurer au premier rang de ceux qui vont rendre possible la mondialisation aujourd’hui. » rappelle le Professeur Rawi.
2) Ils veulent une libéralisation généralisée des marchés et du droit
La dernière "stratégie économique" de la Commission "UE 2020" « pour sortir de la crise et préparer l'économie de l'UE pour la décennie à venir » (succédant à la « stratégie de Lisbonne » qui a si bien porté ses fruits…) a été inspirée, presque mot pour mot, du texte élaboré par l’autre super-lobby, celui des grandes industries [1] . Comparant la version définitive du document « UE 2020 » avec les propositions de l'ERT – « European Roundtable of Industralists », la conclusion de l’Observatoire du lobbying européen (CEO) est sans appel : « La proposition de la Commission ressemble (…) à une liste de courses établie par les grandes entreprises d’Europe », un quasi « copié/collé » des propositions de l’ERT" [2], déjà inspiratrice ou « corédactrice » des fameuses « 300 directives » de déréglementation de 1985 à 1992 qui ont créé le marché unique européen, sous la Présidence de Jacques Delors.
Tout récemment, pour les négociations en cours sur le marché transatlantique (TTIP), le Corporate Europe Observatory (CEO, Observatoire de l'Europe des affaires, lobby anti-lobbies) a obtenu de la Commission (par un processus légal) la divulgation de son planning de rencontres pour préparer le mandat de négociation, et l'on trouve 110 rencontres avec des représentants de "Business Europe", qui regroupe les "Medef" européens, de la confédération allemande des entreprises, de la fédération bancaire européenne... Et seulement deux rendez-vous de la confédération européenne des syndicats et de l'association européenne des consommateurs par exemple, qui arrivent au bout du processus de décisions. On voit bien le rapport de force.
3) Ils veulent un environnement fiscal ultra-privilégié : l'affaire LuxLeaks emblématique
Le 6 novembre 2014, un collectif de 80 journalistes de plusieurs pays européens (ICIJ) dévoile sa recherche sur des documents fuités du cabinet Pricewaterhouse Coopers. De 2002 à 2010, 340 multinationales ont eu recours à un montage fiscal pour échapper à l’impôt avec la complicité des autorités fiscales grand-ducales. Il s'agissait de rescrits fiscaux avantageux - une pratique par laquelle une administration garantit à un contribuable, en l'espèce une multinationale, son taux d'imposition - du Luxembourg. Derrière cette immense scandale, le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, ancien premier ministre du Grand-duché.
4) Ils veulent éviter l’immixtion de la loi dans leur « business » : l'exemple des perturbateurs endocriniens
C'est l'une des plus graves questions de santé publique actuelles. Les perturbateurs endocriniens (PE) sont des substances de synthèse, omniprésentes dans l'environnement domestique et la chaîne alimentaire - à travers une variété d'additifs, de pesticides, de matériaux au contact des aliments, etc. -, capables de perturber le fonctionnement du système hormonal humain. Cette caractéristique leur permet d'agir sur l'organisme à très faibles doses. Une abondante littérature scientifique les met en cause dans l'augmentation rapide de certaines maladies : cancers hormono-dépendants, infertilité, troubles neuro-comportementaux, diabète de type 2 et obésité, etc. Cette faculté des PE à agir au-dessous des seuils réputés sans risques, notamment dans les périodes-clés du développement (stade fœtal, période périnatale, adolescence), a poussé l'UE à se préoccuper de la question depuis plus d'une décennie. Bruxelles s'est ainsi engagée à publier avant décembre 2013 une définition réglementaire de ces PE afin de les réglementer. Mais rien n'est venu. La Commission a remis sine die la publication de tout préalable à une réglementation. Dans un documentaire (réalisé par Stéphane Horel) on observe le jeu trouble entre deux directions générales de la Commission, la DG Santé et Consommation (Sanco) face à la DG Environnement. Le discours, le personnel et les principes mêmes de la recherche scientifique (doute méthodique, prudence, prise en compte de la contradiction) sont instrumentalisés par les lobbies industriels. On entend les entretiens menés avec les responsables des industries européennes des pesticides ou de la chimie qui sont glaçants. L'un des scoops est le démontage d'une opération conduite par dix-huit scientifiques - tous présentés sous leurs titres universitaires et académiques -, auteurs d'une lettre ouverte à la Commission, publiée dans une dizaine de revues demandant expressément aux autorités européennes de ne pas réglementer les PE. Or, sur les dix-huit conjurés, dix-sept étaient justement en étroite dépendance financière avec des industriels qui auraient beaucoup à perdre à voir les PE interdits.
5) Ils veulent se fournir, produire et vendre « sans entrave » : l’exemple du « Chevalgate » et la « viande venue de nulle part »
Nous avons subi les farines animales, nous subissons les OGM, les pesticides, nos animaux d'élevage nourris avec des aliments produits en Amérique du sud dans des conditions effroyables, on craint le bœuf aux hormones, la viande roumaine et les poulets chlorés américains ou le cheval dans les lasagnes. La crise de la viande de cheval [3] a ébranlé l’industrie agroalimentaire, mais celle-ci a vite repris le contrôle via le lobbying européen. La France a beau voter début 2014 la loi de consommation, qui rend obligatoire la mention de l’origine des viandes, c’est dans les couloirs de Bruxelles que se joue l’avenir de l’étiquetage. Face à la menace de voir l’UE suivre l’initiative française, les lobbies ont pesé de tout leur poids pour faire avorter le projet français. Des représentants d’industriels prennent contact avec tel ou tel député à Bruxelles et évoque la hausse des prix de cette mesure pour le consommateur. Car si l'UE ne vote pas une directive pour rendre l’étiquetage obligatoire (ce qu'elle vient de faire récemment), la loi française ne peut pas le leur imposer. L’objectif des industriels est de garder une plus grande liberté dans l’achat des viandes qui composent leurs plats cuisinés. Sans traçabilité, ils peuvent changer au dernier moment de fournisseur en fonction du prix de vente ou des arrivages. L’étiquetage les lierait à leurs revendeurs, ou les obligerait à imprimer de nouvelles étiquettes pour chaque plat, ce qui serait techniquement complexe et coûteux. Seule la viande de boeuf fraîche est donc actuellement soumise à une obligation d'étiquetage d'origine au sein de l'UE. Selon le syndicat des Jeunes agriculteurs, 70% au moins de la viande "vient de nulle part" et est vendue sans précision d'origine, malgré la communication incitant au "patriotisme alimentaire" pour soutenir les filières en difficulté. "Et dans le hard-discount [sociétés Lidl, Colruit etc] on est près de 0%" de traçabilité. Ils brandissent ainsi un paquet de jambon d'une célèbre marque (Madrange) avec un macaron tricolore et la mention "élaboré en France" (mais produit en Espagne ou en Roumanie sans aucun contrôle.)
6) Au bout du compte, un enrichissement exponentiel de ceux qui ont mis les Etats-nations à genoux
Selon le rapport de l’Oxfam de janvier 2015 sur la base des chiffres du Crédit Suisse, les 1% des plus riches posséderont bientôt en cumulé autant que les 99% restant de la planète. Parmi les secteurs en bonne santé, il cite la finance et la pharmacie : le patrimoine des milliardaires financiers a augmenté de 11% en douze mois, de mars 2013 à mars 2014 ; celui des industriels de la pharmacie a, lui, bondi de 47%. «Les multinationales les plus prospères de ces secteurs dégagent d’énormes bénéfices, écrit Oxfam. Elles gèrent d’importantes ressources qu’elles utilisent pour rétribuer leurs propriétaires et leurs investisseurs, gonflant ainsi leur fortune personnelle.»
Le rapport explique que les multinationales que possèdent les 1% les plus riches sont devenues de plus en plus féroces dans leurs rapports de forces avec les Etats. Ainsi, le lobbying en Europe et aux Etats-Unis a dépassé le milliard de dollars selon Oxfam, pour "établir un environnement réglementaire qui protège et renforce leurs intérêts". La force de lobbying par exemple de la finance ou de la pharmacie, peut être «un obstacle majeur à la réforme du système fiscal international et impose des règles de propriété intellectuelle qui empêchent les plus pauvres d’accéder à des médicaments vitaux.»
La fabrication en chaîne du crétin globalisé, consommateur, relativiste et procédurier avance ainsi sur ses deux jambes : l'économie de Marché et la société de Marché. L'extraordinaire unité de l'idéologie du "Marché total" n'a jamais autant sauté aux yeux de ceux qui croyaient encore un peu à la pertinence du clivage droite-gauche. Ce que le Prix Nobel Joseph Stiglitz nomme « le fondamentalisme marchand» a su se servir du principe de liberté pour le dévoyer en licence afin d’encourager l’individu à n’écouter que ses désirs (un droit de tous sur tout), et du principe d’égalité dévoyé en égalitarisme pour créer l’individu interchangeable, prêt-à-consommer (dans les deux sens du terme)... Il ne restait plus qu’à dévoyer la fraternité en cosmopolitisme général et obligatoire, et le subtil équilibre entre ces trois principes constitutifs de notre devise nationale était brisé, avec eux, sur l’autel du "divin marché".
1) Ils veulent la dérèglementation des marchés bancaires et financiers
Les 123 millions annuels dépensés par les banques et sociétés de services financiers ces dernières années s'expliquent aisément : elles ont beaucoup à perdre ou gagner des réformes récentes ou en cours de la réglementation européenne depuis l'effondrement des marchés mondiaux en 2008. Depuis la faillite de Lehman Brothers en septembre 2008 et la feuille de route du G20 l'année suivante, le rythme des directives pondues par l'UE dans le domaine économique et financier s'est accéléré. L’objectif du super-lobby de la finance a été de limiter autant que possible les velléités réglementaires des dirigeants européens. Tout y est passé : banques, cabinets d'audit, agences de notation, Bourses... Pas moins de 60 textes ont dû être adoptés de fin 2008 à mai 2014. Ces textes ont fait l’objet d’une co-rédaction entre les banques et l’administration de la Commission (« Finance Watch »). Ils ont été confiés à des groupes experts, composés pour l'essentiel de représentants du secteur financier. Alors qu'il travaillait sur le projet de directive concernant les hedge funds, le député européen Jean-Paul Gauzes (UMP-PPE) a dû répondre à des demandes de rendez-vous de 198 lobbyistes du secteurs bancaire...
Il apparaît difficile au Politique de reprendre le pouvoir dans un monde où la finance est autant dérégulée : quand un algorithme y est capable d’y prendre 14.000 décisions à la seconde… que peut la décision politique devant cette liquidation totale ?
Il faut rappeler ici l’origine précise de la mondialisation financière, qui, comme l’Europe intégrée, est certes soutenue et encouragée par les Etats-Unis, mais qui fut anticipée et réalisée selon une méthode et un rythme qui sont bien français. La globalisation fut l'oeuvre, avec un zèle tout aussi incroyable que méconnu, de membres des élites économiques, politiques et bancaires françaises, persuadées d’œuvrer au « Progrès », appartenant à la « gauche moderne » arrivée au pouvoir avec François Mitterrand, et sous les yeux fascinés d’une droite tout aussi « moderne » et surtout intellectuellement et moralement indigente. Dans l’ouvrage du grand professeur d’économie à Harvard, Abdelal Rawi (« Le consensus de Paris : la France et les règles de la finance mondiale »), on redécouvre que la globalisation actuelle, a été voulue par les Etats-Unis mais codifiée par la France, au-delà de ce que demandait Washington, sous l’impulsion de trois hauts fonctionnaires, tous proches de François Mitterrand : Jacques Delors à la tête de l’UE comme président de la Commission, Henri Chavranski à la tête de l’OCDE et Michel Camdessus à la tête du FMI. Le Professeur Rawi raconte notamment comment Jacques Delors (avec les lobbies d'affaires transatlantiques) a été, en 1985, à l’initiative de la complète libéralisation des mouvements de capitaux. 70 à 80% des transactions de capitaux étaient "libérées" et la mondialisation financière pouvait progresser à grand pas, non seulement en Europe mais vis-à-vis des pays tiers. A sa suite, le représentant de la France à l’OCDE, M. Chavranski a alors fait prévaloir en 1989 une codification de ces mouvements libres de capitaux : « Jacques Delors a su imposer à travers l’Acte Unique des règles les plus libérales qu’on puisse imaginer (…) Entre 1983 et 1986, ils [les Français] ont choisi l’intégration de leur pays dans les marchés financiers internationaux. Après 1986, des personnalités françaises vont figurer au premier rang de ceux qui vont rendre possible la mondialisation aujourd’hui. » rappelle le Professeur Rawi.
2) Ils veulent une libéralisation généralisée des marchés et du droit
La dernière "stratégie économique" de la Commission "UE 2020" « pour sortir de la crise et préparer l'économie de l'UE pour la décennie à venir » (succédant à la « stratégie de Lisbonne » qui a si bien porté ses fruits…) a été inspirée, presque mot pour mot, du texte élaboré par l’autre super-lobby, celui des grandes industries [1] . Comparant la version définitive du document « UE 2020 » avec les propositions de l'ERT – « European Roundtable of Industralists », la conclusion de l’Observatoire du lobbying européen (CEO) est sans appel : « La proposition de la Commission ressemble (…) à une liste de courses établie par les grandes entreprises d’Europe », un quasi « copié/collé » des propositions de l’ERT" [2], déjà inspiratrice ou « corédactrice » des fameuses « 300 directives » de déréglementation de 1985 à 1992 qui ont créé le marché unique européen, sous la Présidence de Jacques Delors.
Tout récemment, pour les négociations en cours sur le marché transatlantique (TTIP), le Corporate Europe Observatory (CEO, Observatoire de l'Europe des affaires, lobby anti-lobbies) a obtenu de la Commission (par un processus légal) la divulgation de son planning de rencontres pour préparer le mandat de négociation, et l'on trouve 110 rencontres avec des représentants de "Business Europe", qui regroupe les "Medef" européens, de la confédération allemande des entreprises, de la fédération bancaire européenne... Et seulement deux rendez-vous de la confédération européenne des syndicats et de l'association européenne des consommateurs par exemple, qui arrivent au bout du processus de décisions. On voit bien le rapport de force.
3) Ils veulent un environnement fiscal ultra-privilégié : l'affaire LuxLeaks emblématique
Le 6 novembre 2014, un collectif de 80 journalistes de plusieurs pays européens (ICIJ) dévoile sa recherche sur des documents fuités du cabinet Pricewaterhouse Coopers. De 2002 à 2010, 340 multinationales ont eu recours à un montage fiscal pour échapper à l’impôt avec la complicité des autorités fiscales grand-ducales. Il s'agissait de rescrits fiscaux avantageux - une pratique par laquelle une administration garantit à un contribuable, en l'espèce une multinationale, son taux d'imposition - du Luxembourg. Derrière cette immense scandale, le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, ancien premier ministre du Grand-duché.
4) Ils veulent éviter l’immixtion de la loi dans leur « business » : l'exemple des perturbateurs endocriniens
C'est l'une des plus graves questions de santé publique actuelles. Les perturbateurs endocriniens (PE) sont des substances de synthèse, omniprésentes dans l'environnement domestique et la chaîne alimentaire - à travers une variété d'additifs, de pesticides, de matériaux au contact des aliments, etc. -, capables de perturber le fonctionnement du système hormonal humain. Cette caractéristique leur permet d'agir sur l'organisme à très faibles doses. Une abondante littérature scientifique les met en cause dans l'augmentation rapide de certaines maladies : cancers hormono-dépendants, infertilité, troubles neuro-comportementaux, diabète de type 2 et obésité, etc. Cette faculté des PE à agir au-dessous des seuils réputés sans risques, notamment dans les périodes-clés du développement (stade fœtal, période périnatale, adolescence), a poussé l'UE à se préoccuper de la question depuis plus d'une décennie. Bruxelles s'est ainsi engagée à publier avant décembre 2013 une définition réglementaire de ces PE afin de les réglementer. Mais rien n'est venu. La Commission a remis sine die la publication de tout préalable à une réglementation. Dans un documentaire (réalisé par Stéphane Horel) on observe le jeu trouble entre deux directions générales de la Commission, la DG Santé et Consommation (Sanco) face à la DG Environnement. Le discours, le personnel et les principes mêmes de la recherche scientifique (doute méthodique, prudence, prise en compte de la contradiction) sont instrumentalisés par les lobbies industriels. On entend les entretiens menés avec les responsables des industries européennes des pesticides ou de la chimie qui sont glaçants. L'un des scoops est le démontage d'une opération conduite par dix-huit scientifiques - tous présentés sous leurs titres universitaires et académiques -, auteurs d'une lettre ouverte à la Commission, publiée dans une dizaine de revues demandant expressément aux autorités européennes de ne pas réglementer les PE. Or, sur les dix-huit conjurés, dix-sept étaient justement en étroite dépendance financière avec des industriels qui auraient beaucoup à perdre à voir les PE interdits.
5) Ils veulent se fournir, produire et vendre « sans entrave » : l’exemple du « Chevalgate » et la « viande venue de nulle part »
Nous avons subi les farines animales, nous subissons les OGM, les pesticides, nos animaux d'élevage nourris avec des aliments produits en Amérique du sud dans des conditions effroyables, on craint le bœuf aux hormones, la viande roumaine et les poulets chlorés américains ou le cheval dans les lasagnes. La crise de la viande de cheval [3] a ébranlé l’industrie agroalimentaire, mais celle-ci a vite repris le contrôle via le lobbying européen. La France a beau voter début 2014 la loi de consommation, qui rend obligatoire la mention de l’origine des viandes, c’est dans les couloirs de Bruxelles que se joue l’avenir de l’étiquetage. Face à la menace de voir l’UE suivre l’initiative française, les lobbies ont pesé de tout leur poids pour faire avorter le projet français. Des représentants d’industriels prennent contact avec tel ou tel député à Bruxelles et évoque la hausse des prix de cette mesure pour le consommateur. Car si l'UE ne vote pas une directive pour rendre l’étiquetage obligatoire (ce qu'elle vient de faire récemment), la loi française ne peut pas le leur imposer. L’objectif des industriels est de garder une plus grande liberté dans l’achat des viandes qui composent leurs plats cuisinés. Sans traçabilité, ils peuvent changer au dernier moment de fournisseur en fonction du prix de vente ou des arrivages. L’étiquetage les lierait à leurs revendeurs, ou les obligerait à imprimer de nouvelles étiquettes pour chaque plat, ce qui serait techniquement complexe et coûteux. Seule la viande de boeuf fraîche est donc actuellement soumise à une obligation d'étiquetage d'origine au sein de l'UE. Selon le syndicat des Jeunes agriculteurs, 70% au moins de la viande "vient de nulle part" et est vendue sans précision d'origine, malgré la communication incitant au "patriotisme alimentaire" pour soutenir les filières en difficulté. "Et dans le hard-discount [sociétés Lidl, Colruit etc] on est près de 0%" de traçabilité. Ils brandissent ainsi un paquet de jambon d'une célèbre marque (Madrange) avec un macaron tricolore et la mention "élaboré en France" (mais produit en Espagne ou en Roumanie sans aucun contrôle.)
6) Au bout du compte, un enrichissement exponentiel de ceux qui ont mis les Etats-nations à genoux
Selon le rapport de l’Oxfam de janvier 2015 sur la base des chiffres du Crédit Suisse, les 1% des plus riches posséderont bientôt en cumulé autant que les 99% restant de la planète. Parmi les secteurs en bonne santé, il cite la finance et la pharmacie : le patrimoine des milliardaires financiers a augmenté de 11% en douze mois, de mars 2013 à mars 2014 ; celui des industriels de la pharmacie a, lui, bondi de 47%. «Les multinationales les plus prospères de ces secteurs dégagent d’énormes bénéfices, écrit Oxfam. Elles gèrent d’importantes ressources qu’elles utilisent pour rétribuer leurs propriétaires et leurs investisseurs, gonflant ainsi leur fortune personnelle.»
Le rapport explique que les multinationales que possèdent les 1% les plus riches sont devenues de plus en plus féroces dans leurs rapports de forces avec les Etats. Ainsi, le lobbying en Europe et aux Etats-Unis a dépassé le milliard de dollars selon Oxfam, pour "établir un environnement réglementaire qui protège et renforce leurs intérêts". La force de lobbying par exemple de la finance ou de la pharmacie, peut être «un obstacle majeur à la réforme du système fiscal international et impose des règles de propriété intellectuelle qui empêchent les plus pauvres d’accéder à des médicaments vitaux.»
7) Le « No limit » s’empare d'abord de l’individu : un exemple avec l’emprise du lobby LGBT
Les réseaux LGBT disposent de puissants relais à Bruxelles et Strasbourg. Les mouvements familiaux s'organisent pour contrecarrer leur offensive, avec fréquemment ce handicap idéologique qui les empêche d’ouvrir les yeux sur cette évidence : le libéralisme sociétal, comme d’ailleurs l’ouverture sans limite à l’immigration et à la promotion du multiculturalisme (qu’en bons petits militants dits « de droite » ils croient combattre) n’est que le volet culturel du libéralisme économique intégral (qu’en bons petits bourgeois ils défendent sans réserve), sans réaliser leur spectaculaire contradiction intérieure. Ils ne voient donc pas non plus le lien entre l'orientation des normes et politiques d'une part, la forme institutionnelle d'autre part, entre le produit et l’usine qui le fabrique, que celle-ci est justement configurée pour fabriquer celui-là, qu’on ne peut se plaindre du fait que le mixeur ne sache que mixer, qu’un pouvoir déraciné ne sait produire que du déracinement et qu’"en détruisant les frontières on fait surgir mille forteresses".
Le lobby LGBT est une très grosse forteresse. Près d'un quart des députés européens est membre de l'intergroupe LGBT (lesbiennes, gays, bisexuels et transsexuels) : 174 sur 766 élus jusqu’en 2014, à ce jour 119 (+15 non affichés) sur 751 députés, ce qui en fait de loin le plus important des 28 intergroupes actuels du Parlement européen. Vingt et un députés français en étaient membres jusqu’en 2014, la plupart issus des rangs socialistes (10) et “écologistes” (8). Seul le Royaume-Uni, champion du libéralisme, y délègue plus de représentants. Il influence les décisions du Parlement et veut « surveiller les propositions, les avis et l'activité de la Commission » pour qu'elle prenne en compte ses revendications. Au cours des 5 dernières années, le Parlement européen s’est ainsi prononcé 250 fois sur des textes liés à l'orientation sexuelle et à « l'identité de genre », adoptant « plus de cent rapports contenant des termes positifs sur ces questions », se félicite l'Autrichienne Ulrike Lunacek, Membre des Verts, militante lesbienne et coprésidente.
Le 4 février 2013, alors qu'en France le gouvernement reculait sous la pression des manifestants, le Parlement européen a largement approuvé son rapport sur la “feuille de route de l'Union européenne contre l'homophobie”, inspiré par la branche régionale de l'International Lesbian and Gay Association, ILGA-Europe. Créé en 1996, ce lobby d'une puissance insoupçonnée, dont le siège est à Bruxelles, reçoit des subventions de la Commission européenne - 1,4 million d'euros en 2012 [4] du ministère de l'Éducation des Pays-Bas, de plusieurs ONG (dont l'Open Society Foundation, créée par George Soros) et même du département d'État américain. Dans cette feuille de route, les députés européens appellent la Commission à concevoir une stratégie globale visant à protéger « les droits fondamentaux des personnes LGBTI » (I pour intersexué). Dans la novlangue propre aux militants gays, ils l'incitent surtout à « promouvoir l'égalité et la lutte contre les discriminations fondées sur l'orientation sexuelle et l'identité de genre dans l'ensemble de ses programmes destinés à la jeunesse et à l'éducation ». Les membres de la commission des droits de la femme et de l'égalité des genres souhaitaient même que « les choix en matière de procréation […] soient accessibles aux personnes LGBT dans un cadre non discriminatoire » — en clair, que les “couples” de lesbiennes aient accès à la PMA. Pourtant, l'offensive de ces lobbies n'est pas irrésistible. Le 11 mars, les eurodéputés ont rejeté de justesse le rapport d'une élue communiste portugaise, Inês Cristina Zuber, qui affaiblissait le rôle éducatif des parents sous prétexte de combattre les “stéréotypes homme-femme” (Valeurs Actuelles)
8) Sans frontière et sans patrie : le lobby de l’Europe des régions contre la nation politique
De la monarchie à la république, la France s'est constamment bâtie et voulue comme une nation politique, c'est à dire une communauté d'héritages et de destin (Renan). Elle n'est donc pas une nation définie d'abord par une langue et une ethnie, comme l'Allemagne par exemple. Le passage à la moulinette supranationale et la sortie du Politique allaient faire peu de cas de la conception française de la nation. Ainsi à Bruxelles et Strasbourg, l'Union fédéraliste des communautés ethniques européennes (FUEV/UFCE) est un lobby respecté et puissant. C'est elle qui pousse, depuis des années, avec succès, le Conseil de l'Europe et l'Union européenne à adopter ses thèses en faveur d'une Europe ethnique des régions. Elle est à l'origine, entre autres, de la fameuse Charte européenne des langues régionales ou minoritaires imposée via le Conseil de l'Europe.
Le problème est que, par delà le légitime souci de préservation des identités et langues locales que la mondialisation marchande transforme en refoulées, donc en danger potentiel, ce lobbying institutionnel vise lui ouvertement à redessiner l'Europe sans les frontières nationales héritées de l’Histoire mais à partir de critères ethniques, sur le concept germanique de "Volksgruppen".
Ainsi en 1984, 42 députés signaient une proposition de résolution sur "un droit européen des groupes ethniques" dont l'enjeu était le "droit à l'autodétermination" . Plus près de nous, en 2008, dans leur manifeste "Changer d'ère" les Verts français (Cohn-Bendit) présentaient l'Union européenne comme "un espace de paix et de coopération entre les 27 Etats et les 83 peuples qui la composent". De quels « peuples » parlaient-ils ?...
A Bruxelles, la figure de proue de ce lobbying est le député bavarois Bernd Posselt (PPE), par ailleurs président de la Paneurope Allemagne (depuis 1998) et de l’association sudète membre de la Fédération des réfugiés. Ancien assistant parlementaire de Otto de Habsbourg-Lorraine (député européen de 1979 à 1999), le député Posselt déclarait récemment : "J'ai convenu avec elle [la commissaire Viviane Reding] d'entreprendre à présent l'élaboration d'un droit européen des groupes ethniques tel que notre organisation l'a préparé et mis au point depuis des décennies." (23 mai 2010, lors du grand rassemblement des "Allemands des Sudètes" à Augsbourg).
L'Union fédéraliste des communautés ethniques européennes (UFCE/FUEV) est une organisation allemande à l'héritage extrêmement trouble, qui plaide ouvertement pour la suppression totale des frontières politiques actuelles et la cohésion des germanophones en Europe. Elle rêve d'un continent sous administration fédérale et réaménagé par régions délimitées sur des bases ethniques aux contours douteux, l'identité et l'appartenance à une ethnie ayant une base biologique.
De nombreux partis politiques, députés européens et nationaux, élus locaux en sont membres, de la droite européenne (PPE) à la gauche (PSE). Ainsi l’eurodéputé Csaba Tabajdi, Président de la délégation socialiste hongroise au Parlement européen est aussi vice président de l'intergroupe « minorités » au Parlement européen qui relaye ces revendications.
Au-delà de la protection des minorités, le projet d’un véritable droit européen des minorités ethniques et de reconfiguration régionaliste sur de tels critères a suscité de longue dates des inquiétudes. Ainsi, en 1961, une note du Ministère allemand des Affaires étrangères indiquait que cette organisation (la FUEV) créait manifestement des tensions ethniques là où aucune différence n'existait auparavant.
Voici ce qu'écrit Eric Ferrand au sujet de ce lobby :
« La FUEV est l'héritière du Congrès des Nationalités de l'entre-deux guerres (1925-1938) qui regroupait des associations défendant, dans le cadre de la Société des Nations, une conception ethnique des nations fondée sur le racisme biologique. Son objectif principal était le regroupement des minorités allemandes dans le Reich Grand-Allemand. D'autres minorités nationales y trouvaient un cadre favorable d'expression et de revendication. Le Congrès des Nationalités éditait alors une revue, "Nation und Staat". Cette publication a cessé en 1944, en raison de sa compromission avec le régime nazi mais a repris, à l'initiative de la FUEV en 1961, avec le même éditeur, sous le nom de Europa Ethnica.» [5]
La FUEV annonce actuellement 81 organisations membres à travers 32 pays européens. Le vieux continent compterait parmi ses quelques 100 millions d'habitants, plus de 300 groupes ethniques, soit une personne sur sept.
9) Diplomatie parallèle : le lobbying des gouvernements étrangers
On imagine sans mal l’omniprésence du lobbying américain et de ses relais, notamment germanique et anglais, au sein des institutions – par exemple à travers l’intergroupe UE-Etats-Unis. Les tentatives d’influence d’autres gouvernements étrangers sont moins connus. Un rapport du CEO de janvier 2015 balaie une quinzaine d’exemples, du Rwanda à la Russie, de l’Ouzbékistan au Bénin qui essaient d’agir sur Bruxelles par des moyens autres que diplomatiques, par le biais de cabinets de relations publiques, d’agences de lobbying ou de « think tanks » soi-disant impartiaux, mais dont les objectifs sont très orientés. Londres est considéré comme le centre névralgique de ce type de cabinets (au point que ce genre de travail est qualifié de « blanchiment londonien »), mais Paris et Berlin jouent également « un rôle important ». L’étude révèle le rôle de « réhabilitation publique » joué par les agences de communication en faveur des présidents nigérian Jonathan Goodluck ou kényan Uhuru Kenyatta. De parias, ceux-ci sont devenus des personnalités acceptables par les Européens grâce au travail des firmes londoniennes Bell Pottinger ou BTP advisers. Un des exemples les plus éclairants est celui de l’Azerbaïdjan, qui pratique de manière assez intensive la « diplomatie du caviar » à coups d’invitations adressées à des députés européens. Invitations qui transitent par différentes organisations soi-disant indépendantes, mais financées par le gouvernement azéri. Lors des élections de 2013, une délégation de six parlementaires européens s’était rendue sur place pour surveiller les élections présidentielles, qu’ils ont jugées tout à fait régulières, alors que l’OSCE parlait de « fraude systématique». La Chine emploie dix entreprises différentes de lobbyistes pour faire valoir son point de vue à Washington, et aucune à Bruxelles… En fait, Pékin est actif auprès de l’Union européenne, mais les lobbyistes qu’elle emploie ne déclarent pas leurs activités dans le système actuel de déclaration volontaire.
(2) « La preuve de ceci peut être apportée en comparant la contribution d'un groupe, à qui aucun délai n’a été imposé par la Commission : la « Table ronde des industriels européens » (ERT). L'ERT regroupe les cinquante dirigeants des plus grandes multinationales européennes et ayant une forte tradition d’influence sur les politiques de l'UE. Il est peu impliqué dans un lobbying au jour le jour consistant à faire du porte-à-porte à Bruxelles, déployant son énergie seulement lorsque les stratégies à long terme sont mises en discussion. Il a publié sa propre proposition présentant sa vision pour 2025 le 3 février 2010, soit bien après les autres lobbies ayant formulé des observations dans le cadre de la consultation de la Commission. Un mois plus tard, la Commission publiait « Europe 2020 », qui ressemblait fort au document de l'ERT sur tous les points clés. Cela pourrait signifier que la Commission a simplement coupé et collé le texte de l'ERT ou bien que l'ERT a adopté certaines des idées de la Commission. Quoi qu’il en soit, le fait est que la Commission et l'ERT ont une approche politique commune et, en effet, la même vision » (CEO : « Europe’s 2020 strategy: big business as usual », corporateeurope.org/lobbycracy).
(3) "Le scandale des lasagnes Findus – de la sauce bolognaise étiquetée pur bœuf contenant une proportion significative de viande de cheval – fut une leçon de choses sur la malbouffe. Ses origines, ses circuits, sa fabrication, son commerce, ses profits et ses acteurs. Le public a ainsi découvert que, tel le haut-fourneau, il était nourri au « minerai » de viande. Un agrégat de maigre, de gras, de collagène malaxé et congelé par pains de 20 kilos. Le carburant des boulettes, merguez, lasagnes, raviolis ou hachis parmentier industriels. Même les professionnels n’arriveraient pas à démêler le minerai de boeuf de celui de cheval, selon certains menteurs, qui connaissent en revanche la différence de prix entre les deux. La viande arrivait de Roumanie achetée par un trader hollandais, sous-traitée à un trader chypriote, livrée chez Spanghero à Castelnaudary (Aude), réexpédiée à Comigel au Luxembourg et diffusée dans toute l’Europe. L’illustration parfaite de la standardisation et de l’uniformisation de notre assiette. La même viande trafiquée pour tous et partout. " (M le magazine du Monde, du 20 décembre 2013)
(4) Dans le domaine de la famille et de l’éducation et comme à chaque fois que le traité ne lui donne pas de compétences en la matière, la Commission contourne l’obstacle aisément 1) en créant et finançant des lobbies pour non seulement dire du bien d’elle et porter des revendications (« Grande tombola pour les organisateurs de tombola » disait le député souverainiste William Abitbol…) 2) en produisant ensuite en abondance de la « soft law » (terme anglo-saxon traduit en français par « droit mou », c’est-à-dire non directement contraignant, et dont le contenu n’est souvent ni « mou » ni « soft »…) : Communications, Lignes directrices, Livres blancs, Livres verts... «La normalisation mondiale est rarement contraignante à ses débuts, c’est sans doute la raison pour laquelle les Français et les Européens continentaux, habitués à la force du droit positif, en tiennent trop peu compte» (Eric Dénécé et Claude Revel). Une « soft law » désigne l’ensemble des textes de droit international ou européen non contraignants et pouvant être librement interprétés, mais qui s’appliquent sous la pression, sous couvert de l’intérêt général.
Les réseaux LGBT disposent de puissants relais à Bruxelles et Strasbourg. Les mouvements familiaux s'organisent pour contrecarrer leur offensive, avec fréquemment ce handicap idéologique qui les empêche d’ouvrir les yeux sur cette évidence : le libéralisme sociétal, comme d’ailleurs l’ouverture sans limite à l’immigration et à la promotion du multiculturalisme (qu’en bons petits militants dits « de droite » ils croient combattre) n’est que le volet culturel du libéralisme économique intégral (qu’en bons petits bourgeois ils défendent sans réserve), sans réaliser leur spectaculaire contradiction intérieure. Ils ne voient donc pas non plus le lien entre l'orientation des normes et politiques d'une part, la forme institutionnelle d'autre part, entre le produit et l’usine qui le fabrique, que celle-ci est justement configurée pour fabriquer celui-là, qu’on ne peut se plaindre du fait que le mixeur ne sache que mixer, qu’un pouvoir déraciné ne sait produire que du déracinement et qu’"en détruisant les frontières on fait surgir mille forteresses".
Le lobby LGBT est une très grosse forteresse. Près d'un quart des députés européens est membre de l'intergroupe LGBT (lesbiennes, gays, bisexuels et transsexuels) : 174 sur 766 élus jusqu’en 2014, à ce jour 119 (+15 non affichés) sur 751 députés, ce qui en fait de loin le plus important des 28 intergroupes actuels du Parlement européen. Vingt et un députés français en étaient membres jusqu’en 2014, la plupart issus des rangs socialistes (10) et “écologistes” (8). Seul le Royaume-Uni, champion du libéralisme, y délègue plus de représentants. Il influence les décisions du Parlement et veut « surveiller les propositions, les avis et l'activité de la Commission » pour qu'elle prenne en compte ses revendications. Au cours des 5 dernières années, le Parlement européen s’est ainsi prononcé 250 fois sur des textes liés à l'orientation sexuelle et à « l'identité de genre », adoptant « plus de cent rapports contenant des termes positifs sur ces questions », se félicite l'Autrichienne Ulrike Lunacek, Membre des Verts, militante lesbienne et coprésidente.
Le 4 février 2013, alors qu'en France le gouvernement reculait sous la pression des manifestants, le Parlement européen a largement approuvé son rapport sur la “feuille de route de l'Union européenne contre l'homophobie”, inspiré par la branche régionale de l'International Lesbian and Gay Association, ILGA-Europe. Créé en 1996, ce lobby d'une puissance insoupçonnée, dont le siège est à Bruxelles, reçoit des subventions de la Commission européenne - 1,4 million d'euros en 2012 [4] du ministère de l'Éducation des Pays-Bas, de plusieurs ONG (dont l'Open Society Foundation, créée par George Soros) et même du département d'État américain. Dans cette feuille de route, les députés européens appellent la Commission à concevoir une stratégie globale visant à protéger « les droits fondamentaux des personnes LGBTI » (I pour intersexué). Dans la novlangue propre aux militants gays, ils l'incitent surtout à « promouvoir l'égalité et la lutte contre les discriminations fondées sur l'orientation sexuelle et l'identité de genre dans l'ensemble de ses programmes destinés à la jeunesse et à l'éducation ». Les membres de la commission des droits de la femme et de l'égalité des genres souhaitaient même que « les choix en matière de procréation […] soient accessibles aux personnes LGBT dans un cadre non discriminatoire » — en clair, que les “couples” de lesbiennes aient accès à la PMA. Pourtant, l'offensive de ces lobbies n'est pas irrésistible. Le 11 mars, les eurodéputés ont rejeté de justesse le rapport d'une élue communiste portugaise, Inês Cristina Zuber, qui affaiblissait le rôle éducatif des parents sous prétexte de combattre les “stéréotypes homme-femme” (Valeurs Actuelles)
8) Sans frontière et sans patrie : le lobby de l’Europe des régions contre la nation politique
De la monarchie à la république, la France s'est constamment bâtie et voulue comme une nation politique, c'est à dire une communauté d'héritages et de destin (Renan). Elle n'est donc pas une nation définie d'abord par une langue et une ethnie, comme l'Allemagne par exemple. Le passage à la moulinette supranationale et la sortie du Politique allaient faire peu de cas de la conception française de la nation. Ainsi à Bruxelles et Strasbourg, l'Union fédéraliste des communautés ethniques européennes (FUEV/UFCE) est un lobby respecté et puissant. C'est elle qui pousse, depuis des années, avec succès, le Conseil de l'Europe et l'Union européenne à adopter ses thèses en faveur d'une Europe ethnique des régions. Elle est à l'origine, entre autres, de la fameuse Charte européenne des langues régionales ou minoritaires imposée via le Conseil de l'Europe.
Le problème est que, par delà le légitime souci de préservation des identités et langues locales que la mondialisation marchande transforme en refoulées, donc en danger potentiel, ce lobbying institutionnel vise lui ouvertement à redessiner l'Europe sans les frontières nationales héritées de l’Histoire mais à partir de critères ethniques, sur le concept germanique de "Volksgruppen".
Ainsi en 1984, 42 députés signaient une proposition de résolution sur "un droit européen des groupes ethniques" dont l'enjeu était le "droit à l'autodétermination" . Plus près de nous, en 2008, dans leur manifeste "Changer d'ère" les Verts français (Cohn-Bendit) présentaient l'Union européenne comme "un espace de paix et de coopération entre les 27 Etats et les 83 peuples qui la composent". De quels « peuples » parlaient-ils ?...
A Bruxelles, la figure de proue de ce lobbying est le député bavarois Bernd Posselt (PPE), par ailleurs président de la Paneurope Allemagne (depuis 1998) et de l’association sudète membre de la Fédération des réfugiés. Ancien assistant parlementaire de Otto de Habsbourg-Lorraine (député européen de 1979 à 1999), le député Posselt déclarait récemment : "J'ai convenu avec elle [la commissaire Viviane Reding] d'entreprendre à présent l'élaboration d'un droit européen des groupes ethniques tel que notre organisation l'a préparé et mis au point depuis des décennies." (23 mai 2010, lors du grand rassemblement des "Allemands des Sudètes" à Augsbourg).
L'Union fédéraliste des communautés ethniques européennes (UFCE/FUEV) est une organisation allemande à l'héritage extrêmement trouble, qui plaide ouvertement pour la suppression totale des frontières politiques actuelles et la cohésion des germanophones en Europe. Elle rêve d'un continent sous administration fédérale et réaménagé par régions délimitées sur des bases ethniques aux contours douteux, l'identité et l'appartenance à une ethnie ayant une base biologique.
De nombreux partis politiques, députés européens et nationaux, élus locaux en sont membres, de la droite européenne (PPE) à la gauche (PSE). Ainsi l’eurodéputé Csaba Tabajdi, Président de la délégation socialiste hongroise au Parlement européen est aussi vice président de l'intergroupe « minorités » au Parlement européen qui relaye ces revendications.
Au-delà de la protection des minorités, le projet d’un véritable droit européen des minorités ethniques et de reconfiguration régionaliste sur de tels critères a suscité de longue dates des inquiétudes. Ainsi, en 1961, une note du Ministère allemand des Affaires étrangères indiquait que cette organisation (la FUEV) créait manifestement des tensions ethniques là où aucune différence n'existait auparavant.
Voici ce qu'écrit Eric Ferrand au sujet de ce lobby :
« La FUEV est l'héritière du Congrès des Nationalités de l'entre-deux guerres (1925-1938) qui regroupait des associations défendant, dans le cadre de la Société des Nations, une conception ethnique des nations fondée sur le racisme biologique. Son objectif principal était le regroupement des minorités allemandes dans le Reich Grand-Allemand. D'autres minorités nationales y trouvaient un cadre favorable d'expression et de revendication. Le Congrès des Nationalités éditait alors une revue, "Nation und Staat". Cette publication a cessé en 1944, en raison de sa compromission avec le régime nazi mais a repris, à l'initiative de la FUEV en 1961, avec le même éditeur, sous le nom de Europa Ethnica.» [5]
La FUEV annonce actuellement 81 organisations membres à travers 32 pays européens. Le vieux continent compterait parmi ses quelques 100 millions d'habitants, plus de 300 groupes ethniques, soit une personne sur sept.
9) Diplomatie parallèle : le lobbying des gouvernements étrangers
On imagine sans mal l’omniprésence du lobbying américain et de ses relais, notamment germanique et anglais, au sein des institutions – par exemple à travers l’intergroupe UE-Etats-Unis. Les tentatives d’influence d’autres gouvernements étrangers sont moins connus. Un rapport du CEO de janvier 2015 balaie une quinzaine d’exemples, du Rwanda à la Russie, de l’Ouzbékistan au Bénin qui essaient d’agir sur Bruxelles par des moyens autres que diplomatiques, par le biais de cabinets de relations publiques, d’agences de lobbying ou de « think tanks » soi-disant impartiaux, mais dont les objectifs sont très orientés. Londres est considéré comme le centre névralgique de ce type de cabinets (au point que ce genre de travail est qualifié de « blanchiment londonien »), mais Paris et Berlin jouent également « un rôle important ». L’étude révèle le rôle de « réhabilitation publique » joué par les agences de communication en faveur des présidents nigérian Jonathan Goodluck ou kényan Uhuru Kenyatta. De parias, ceux-ci sont devenus des personnalités acceptables par les Européens grâce au travail des firmes londoniennes Bell Pottinger ou BTP advisers. Un des exemples les plus éclairants est celui de l’Azerbaïdjan, qui pratique de manière assez intensive la « diplomatie du caviar » à coups d’invitations adressées à des députés européens. Invitations qui transitent par différentes organisations soi-disant indépendantes, mais financées par le gouvernement azéri. Lors des élections de 2013, une délégation de six parlementaires européens s’était rendue sur place pour surveiller les élections présidentielles, qu’ils ont jugées tout à fait régulières, alors que l’OSCE parlait de « fraude systématique». La Chine emploie dix entreprises différentes de lobbyistes pour faire valoir son point de vue à Washington, et aucune à Bruxelles… En fait, Pékin est actif auprès de l’Union européenne, mais les lobbyistes qu’elle emploie ne déclarent pas leurs activités dans le système actuel de déclaration volontaire.
(1) Un long débat entre institutions, gouvernements et experts a précédé l’élaboration de la stratégie « UE 2020 » poursuivant la Stratégie de Lisbonne. La consultation publique proprement dite, elle, s’est déroulée dans un court délai et pendant les vacances de Noël 2009. Des observateurs ont fait remarquer qu'entre la version publiée avant la consultation et celle qui a suivi, le projet a été profondément modifié, sans vraiment tenir compte des avis formulés par les ONG réunies dans la plate-forme « Social Europe ». La CES (Confédération Européenne des Syndicats) s’interroge sur le point de savoir qui a réellement été consulté. Philippe Pochet (Institut syndical européen, CES), regrette : « On ne sait pas très bien qui a été consulté pour élaborer la stratégie. Le texte actuel n’a strictement rien à voir par rapport aux questions qui étaient sur le site web dans le cadre de la consultation publique. Le document a visiblement suivi un tout autre processus de consultation dont on ne connaît pas les détails pour arriver maintenant au document final. Il y a donc un problème. Comment le débat a démocratiquement été constitué ? On n'a aucune information. (...) Tout le monde sait bien que la Commission a dû consulter avant de le faire. Qui a-t-elle consulté ? » (interview à nouvelle-europe.eu)
(2) « La preuve de ceci peut être apportée en comparant la contribution d'un groupe, à qui aucun délai n’a été imposé par la Commission : la « Table ronde des industriels européens » (ERT). L'ERT regroupe les cinquante dirigeants des plus grandes multinationales européennes et ayant une forte tradition d’influence sur les politiques de l'UE. Il est peu impliqué dans un lobbying au jour le jour consistant à faire du porte-à-porte à Bruxelles, déployant son énergie seulement lorsque les stratégies à long terme sont mises en discussion. Il a publié sa propre proposition présentant sa vision pour 2025 le 3 février 2010, soit bien après les autres lobbies ayant formulé des observations dans le cadre de la consultation de la Commission. Un mois plus tard, la Commission publiait « Europe 2020 », qui ressemblait fort au document de l'ERT sur tous les points clés. Cela pourrait signifier que la Commission a simplement coupé et collé le texte de l'ERT ou bien que l'ERT a adopté certaines des idées de la Commission. Quoi qu’il en soit, le fait est que la Commission et l'ERT ont une approche politique commune et, en effet, la même vision » (CEO : « Europe’s 2020 strategy: big business as usual », corporateeurope.org/lobbycracy).
(3) "Le scandale des lasagnes Findus – de la sauce bolognaise étiquetée pur bœuf contenant une proportion significative de viande de cheval – fut une leçon de choses sur la malbouffe. Ses origines, ses circuits, sa fabrication, son commerce, ses profits et ses acteurs. Le public a ainsi découvert que, tel le haut-fourneau, il était nourri au « minerai » de viande. Un agrégat de maigre, de gras, de collagène malaxé et congelé par pains de 20 kilos. Le carburant des boulettes, merguez, lasagnes, raviolis ou hachis parmentier industriels. Même les professionnels n’arriveraient pas à démêler le minerai de boeuf de celui de cheval, selon certains menteurs, qui connaissent en revanche la différence de prix entre les deux. La viande arrivait de Roumanie achetée par un trader hollandais, sous-traitée à un trader chypriote, livrée chez Spanghero à Castelnaudary (Aude), réexpédiée à Comigel au Luxembourg et diffusée dans toute l’Europe. L’illustration parfaite de la standardisation et de l’uniformisation de notre assiette. La même viande trafiquée pour tous et partout. " (M le magazine du Monde, du 20 décembre 2013)
(4) Dans le domaine de la famille et de l’éducation et comme à chaque fois que le traité ne lui donne pas de compétences en la matière, la Commission contourne l’obstacle aisément 1) en créant et finançant des lobbies pour non seulement dire du bien d’elle et porter des revendications (« Grande tombola pour les organisateurs de tombola » disait le député souverainiste William Abitbol…) 2) en produisant ensuite en abondance de la « soft law » (terme anglo-saxon traduit en français par « droit mou », c’est-à-dire non directement contraignant, et dont le contenu n’est souvent ni « mou » ni « soft »…) : Communications, Lignes directrices, Livres blancs, Livres verts... «La normalisation mondiale est rarement contraignante à ses débuts, c’est sans doute la raison pour laquelle les Français et les Européens continentaux, habitués à la force du droit positif, en tiennent trop peu compte» (Eric Dénécé et Claude Revel). Une « soft law » désigne l’ensemble des textes de droit international ou européen non contraignants et pouvant être librement interprétés, mais qui s’appliquent sous la pression, sous couvert de l’intérêt général.
(5) E. Ferrand, « Quelle République pour le XXIème siècle ? », L’Harmattan, 2009
(6) Il faut évoquer le basculement symbolique qui s’est produit le 30 avril 2014 à la Bourse de Paris : l’indice phare – le CAC 40 – est depuis détenu à 50% par des investisseurs étrangers, soit 600 milliards sur les quelques 1200 milliards de capitalisation totale de l’indice. Une hausse qui s’explique principalement par la montée des fonds souverains, Qatar en tête (premier actionnaire de Total à 4,8% du capital, 12,8% de Lagardère, 5,3% de Vinci, 2% de Vivendi et 1,03% de LVMH. Autre amateur du CAC 40, les fonds tels que l’américain Blackrock qui possède désormais 5,65% de Publicis. Autre chiffre symbolique à méditer ici : 70% du chiffre d’affaires des groupes du CAC 40 est aujourd’hui réalisé hors de France.
(6) Il faut évoquer le basculement symbolique qui s’est produit le 30 avril 2014 à la Bourse de Paris : l’indice phare – le CAC 40 – est depuis détenu à 50% par des investisseurs étrangers, soit 600 milliards sur les quelques 1200 milliards de capitalisation totale de l’indice. Une hausse qui s’explique principalement par la montée des fonds souverains, Qatar en tête (premier actionnaire de Total à 4,8% du capital, 12,8% de Lagardère, 5,3% de Vinci, 2% de Vivendi et 1,03% de LVMH. Autre amateur du CAC 40, les fonds tels que l’américain Blackrock qui possède désormais 5,65% de Publicis. Autre chiffre symbolique à méditer ici : 70% du chiffre d’affaires des groupes du CAC 40 est aujourd’hui réalisé hors de France.