Un encouragement à la "landerisation" du territoire européen
La marginalisation des autorités nationales dans l’exercice de la fonction législative se traduit par une perte de contrôle, induite depuis le début des années 1980 par l’européanisation, au profit d’autorités subnationales : agences indépendantes de régulation (énergie, télécoms, réseaux ferrés, services financiers, politique de concurrence, protection du consommateur, lutte contre les discriminations) et des régions. L’intégration supranationale engendre l’émergence d’un système de « gouvernance multi-niveaux ». Il est basé sur la théorie selon laquelle une « bonne gouvernance » implique qu’un nombre croissant de sujets puissent être traités à plusieurs niveaux, au moyen d’une « coordination ouverte » entre les différents échelons concernés. Les autorités régionales, en particulier, deviennent l’un des « niveaux » privilégiés de concertation avec les institutions européennes et d’autres autorités subnationales, court-circuitant de plus en plus les autorités nationales. Au nom du dépassement des États-nations, le fédéralisme européen promeut ainsi et soutient un pouvoir régional contribuant à la disparition des frontières politiques et des solidarités nationales préexistantes.
Le modèle des Länders allemands, Etats fédérés de la République fédérale, peut-il et doit-il être imposé à toute l'Europe ? Les pouvoirs régionaux demeurent encore modestes dans l’ensemble et varient d’un État à l’autre. Ces régions d’Europe, dont beaucoup ont pignon sur rue à Bruxelles où elles déploient un important lobbying, disposent d’une véritable représentation institutionnelle à travers le Comité des régions de l’Union européenne (art 305 à 307 du TFUE), créé par le traité de Maastricht[1]. Son rôle, jusqu’ici essentiellement consultatif, est appelé à croître et il peut, depuis le traité de Lisbonne, saisir la Cour de justice de questions liées à la subsidiarité par exemple. Outre le Comité des régions, leurs représentants se retrouvent dans différents comités établis à Bruxelles, réunissant commissaires, fonctionnaires européens, nationaux, régionaux et locaux, syndicats. L’objectif est de multiplier les échanges et les coopérations transfrontières, c'est-à-dire directement, entre régions limitrophes de part et d’autre des frontières étatiques[2], appliquer les politiques européennes des fonds structurels mais aussi de l’environnement, de l’uniformisation des normes de sécurité, des achats publics, des aides à l’industrie (programmes INTERREG de coopération transnationale, Observatoire en réseau de l’aménagement du territoire européen (ORATE). À travers ses politiques transnationales sectorielles, l’Union travaille ainsi à sa propre « cohésion territoriale » : politique des transports, politique énergétique, haut débit, aides agricoles (ruralité), régime d’utilisation des bassins maritimes, politique de l’environnement (conséquences pour les implantations économiques), politique de la recherche, aides régionales, etc.[3]. Dans cette gouvernance européenne multi-niveaux, les régions accèdent donc directement au processus de définition des politiques et des ressources européennes. Même si leur influence réelle y demeure faible, elles gagnent fortement en autonomie vis-à-vis de l’État, particulièrement lorsque celui-ci était unitaire et décentralisé comme la France, où l’on peut parler d’un véritable début d’émancipation régionale. Sans pouvoir affirmer à ce stade s’il s’agit d’une véritable « Europe des régions » qui se construit en lieu et place de l’Europe des nations, il reste que l’Union peut compter sur l’activisme du Conseil de l’Europe en la matière. Ce dernier a élaboré depuis de nombreuses années différentes chartes, conventions et recommandations œuvrant au remodelage territorial européen par-delà les frontières nationales, et à des redécoupages présentant davantage de cohérence ethnico-linguistique. Il pousse à une « régionalisation en Europe », non au sens de la décentralisation à la française, mais d’un régionalisme visant à créer un véritable pouvoir à l’échelon régional. Il souligne que, « sur la base des principes politiques qu’il promeut, le Conseil de l’Europe a toujours soutenu le développement d’une Europe des régions » et considère, par conséquent, qu’« il est nécessaire de créer un niveau subétatique solide » et ce afin de « garantir une plus grande efficience de la gouvernance dans les États », se félicitant de « l’importance du régionalisme dans le projet européen, dont témoigne le fait que l’Union européenne a mis en place des fonds structurels au niveau régional et conçu des milliers de projets mis en œuvre à ce même niveau, afin de parvenir à une plus grande cohésion sociale et territoriale. » [4]
Cette émancipation par européanisation des régions françaises se réalise donc au détriment de l’État et, par voie de conséquence, à celui des départements, victimes collatérales. Le département est l’échelon administratif (créé en 1790) à travers lequel il déploie son action et qui est devenu échelon politique avec les conseils généraux élus et dotés de compétences propres en 1982-1983. Le « big-bang territorial » proposé par le comité Balladur, en 2008 (après le rapport Mauroy de 2001), répond directement à l’une des trois cents préconisations du rapport Attali sur « la libération de la croissance française », visant à mettre en cohérence le territoire national avec le territoire européen et les prescriptions de l’Union européenne et du Conseil de l’Europe.renforcer la région et l’intercommunalité qui sont les deux niveaux d’administration locale à l’échelle européenne. À l’instar de l’européanisation du droit et de l’économie, la gouvernance multi-niveaux vise à l’européanisation de l’organisation territoriale en France, ce dont Jacques Attali tire la proposition de « renforcer les régions et les intercommunalités en faisant disparaître en dix ans l’échelon départemental. » Conformément à ces prescriptions, une étape capitale de l’européanisation de l’administration du territoire est franchie avec la révision générale des politiques publiques (RGPP) et la loi portant réforme territoriale en 2014. Comme l’avait recommandé M. Attali, c’est progressivement qu’est programmée la disparition des départements, qu’il s’agisse des moyens et structures déconcentrées de l’État à cet échelon, ou des moyens financiers et compétences des conseils généraux, au profit du niveau régional (préfet de région et conseil régional). À l’ancien équilibre « national » : État-Départements-Communes, doit se substituer le nouveau cadre « européen » : Fédération-Régions-Intercommunalités. Aux identités collectives fortes, complémentaires et anciennes portées par le premier, doivent se substituer des repères nouveaux et une identité « euro-régionale ». Ainsi, la standardisation européenne des plaques d’immatriculation des véhicules, par une directive de 1999 faisant disparaître (ou presque) l’identification départementale, en est l’exemple emblématique.
Le modèle des Länders allemands, Etats fédérés de la République fédérale, peut-il et doit-il être imposé à toute l'Europe ? Les pouvoirs régionaux demeurent encore modestes dans l’ensemble et varient d’un État à l’autre. Ces régions d’Europe, dont beaucoup ont pignon sur rue à Bruxelles où elles déploient un important lobbying, disposent d’une véritable représentation institutionnelle à travers le Comité des régions de l’Union européenne (art 305 à 307 du TFUE), créé par le traité de Maastricht[1]. Son rôle, jusqu’ici essentiellement consultatif, est appelé à croître et il peut, depuis le traité de Lisbonne, saisir la Cour de justice de questions liées à la subsidiarité par exemple. Outre le Comité des régions, leurs représentants se retrouvent dans différents comités établis à Bruxelles, réunissant commissaires, fonctionnaires européens, nationaux, régionaux et locaux, syndicats. L’objectif est de multiplier les échanges et les coopérations transfrontières, c'est-à-dire directement, entre régions limitrophes de part et d’autre des frontières étatiques[2], appliquer les politiques européennes des fonds structurels mais aussi de l’environnement, de l’uniformisation des normes de sécurité, des achats publics, des aides à l’industrie (programmes INTERREG de coopération transnationale, Observatoire en réseau de l’aménagement du territoire européen (ORATE). À travers ses politiques transnationales sectorielles, l’Union travaille ainsi à sa propre « cohésion territoriale » : politique des transports, politique énergétique, haut débit, aides agricoles (ruralité), régime d’utilisation des bassins maritimes, politique de l’environnement (conséquences pour les implantations économiques), politique de la recherche, aides régionales, etc.[3]. Dans cette gouvernance européenne multi-niveaux, les régions accèdent donc directement au processus de définition des politiques et des ressources européennes. Même si leur influence réelle y demeure faible, elles gagnent fortement en autonomie vis-à-vis de l’État, particulièrement lorsque celui-ci était unitaire et décentralisé comme la France, où l’on peut parler d’un véritable début d’émancipation régionale. Sans pouvoir affirmer à ce stade s’il s’agit d’une véritable « Europe des régions » qui se construit en lieu et place de l’Europe des nations, il reste que l’Union peut compter sur l’activisme du Conseil de l’Europe en la matière. Ce dernier a élaboré depuis de nombreuses années différentes chartes, conventions et recommandations œuvrant au remodelage territorial européen par-delà les frontières nationales, et à des redécoupages présentant davantage de cohérence ethnico-linguistique. Il pousse à une « régionalisation en Europe », non au sens de la décentralisation à la française, mais d’un régionalisme visant à créer un véritable pouvoir à l’échelon régional. Il souligne que, « sur la base des principes politiques qu’il promeut, le Conseil de l’Europe a toujours soutenu le développement d’une Europe des régions » et considère, par conséquent, qu’« il est nécessaire de créer un niveau subétatique solide » et ce afin de « garantir une plus grande efficience de la gouvernance dans les États », se félicitant de « l’importance du régionalisme dans le projet européen, dont témoigne le fait que l’Union européenne a mis en place des fonds structurels au niveau régional et conçu des milliers de projets mis en œuvre à ce même niveau, afin de parvenir à une plus grande cohésion sociale et territoriale. » [4]
Cette émancipation par européanisation des régions françaises se réalise donc au détriment de l’État et, par voie de conséquence, à celui des départements, victimes collatérales. Le département est l’échelon administratif (créé en 1790) à travers lequel il déploie son action et qui est devenu échelon politique avec les conseils généraux élus et dotés de compétences propres en 1982-1983. Le « big-bang territorial » proposé par le comité Balladur, en 2008 (après le rapport Mauroy de 2001), répond directement à l’une des trois cents préconisations du rapport Attali sur « la libération de la croissance française », visant à mettre en cohérence le territoire national avec le territoire européen et les prescriptions de l’Union européenne et du Conseil de l’Europe.renforcer la région et l’intercommunalité qui sont les deux niveaux d’administration locale à l’échelle européenne. À l’instar de l’européanisation du droit et de l’économie, la gouvernance multi-niveaux vise à l’européanisation de l’organisation territoriale en France, ce dont Jacques Attali tire la proposition de « renforcer les régions et les intercommunalités en faisant disparaître en dix ans l’échelon départemental. » Conformément à ces prescriptions, une étape capitale de l’européanisation de l’administration du territoire est franchie avec la révision générale des politiques publiques (RGPP) et la loi portant réforme territoriale en 2014. Comme l’avait recommandé M. Attali, c’est progressivement qu’est programmée la disparition des départements, qu’il s’agisse des moyens et structures déconcentrées de l’État à cet échelon, ou des moyens financiers et compétences des conseils généraux, au profit du niveau régional (préfet de région et conseil régional). À l’ancien équilibre « national » : État-Départements-Communes, doit se substituer le nouveau cadre « européen » : Fédération-Régions-Intercommunalités. Aux identités collectives fortes, complémentaires et anciennes portées par le premier, doivent se substituer des repères nouveaux et une identité « euro-régionale ». Ainsi, la standardisation européenne des plaques d’immatriculation des véhicules, par une directive de 1999 faisant disparaître (ou presque) l’identification départementale, en est l’exemple emblématique.
[1] À la demande du chancelier fédéral allemand Helmut Kohl « qui s’est beaucoup battu pour faire passer dans le texte du traité l’article qui crée le Comité des régions » s’est félicité Jacques Blanc, président du Conseil régional du Languedoc-Roussillon, dans son discours de premier président du CDR (mars 1994). V. P. Hillard, Minorités et régionalisme dans l’Europe fédérale des régions, F.-X. de Guibert, 2001, p. 271.
[2] « Les régions frontalières intérieures des pays de l’UE-15 profitent depuis de nombreuses années du renforcement de la coopération transfrontalière encouragé par la politique de cohésion, par exemple dans le cas de l’Euregio Rhein-Waal, créée par les autorités locales allemandes et néerlandaises de part et d’autre de la frontière en vue d’améliorer, entre autres, l’accessibilité, la qualité et l’efficacité des soins transfrontaliers dans la région ». Livre vert de la Commission sur la cohésion territoriale, octobre 2008.
[3] Livre vert de la Commission sur la cohésion territoriale, p. 12.
[4] Résolution n° 1811 de 2007 de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.
Un encouragement aux revendications identitaires et linguistiques infranationales
Depuis de nombreuses années, un lobbying institutionnel intense s’exerce au sein du Conseil de l’Europe et de l’Union en faveur d'une Europe fédérale des régions redessinées sur des critères ethno-linguistiques. Une proposition de résolution « sur un droit européen des Volksgruppen » avait été présentée en juillet 1984 par quarante-deux députés où le Parlement européen s’y dit « partisan du droit à l’autodétermination des peuples» c’est-à-dire des groupes ethniques. En 2008, dans leur manifeste « Changer d'ère », les Verts présentent l'Union européenne comme « un espace de paix et de coopération entre les 27 Etats et les 83 peuples qui la composent ». De quels « peuples » parlent-ils ? Certains groupes entreprennent aujourd'hui l'élaboration d'un droit européen des groupes ethniques tel que les "Allemands des Sudètes" notamment l'a préparé et mis au point depuis des décennies. Ce lobbying régionaliste est notamment canalisé par l'Union fédéraliste des communautés ethniques européennes (UFCE/FUEV), organisation allemande qui plaide ouvertement pour la suppression totale des frontières politiques intérieures et le réaménagement des régions européennes sur des bases ethniques, l'identité et l'appartenance à une ethnie étant biologiques. De nombreux partis politiques, députés européens et nationaux, élus locaux en sont membres, de la droite européenne (PPE) à de gauche (l’eurodéputé Csaba Tabajdi, Président de la délégation socialiste hongroise au Parlement européen et vice président de l'intergroupe « minorités » au Parlement européen.
Au-delà de la protection des minorités à laquelle il est difficile de ne pas souscrire en principe, le projet d’un véritable droit européen des minorités ethniques et de reconfiguration régionaliste sur de tels critères suscite de tout aussi légitimes inquiétudes. Dès 1961, une note du Ministère allemand des Affaires étrangères indiquait que cette organisation crée des tensions ethniques là où aucune différence n'existait auparavant. Voici ce qu'écrit aussi l'historien Eric Ferrand au sujet de la filiation historique de ces revendications : « La FUEV est l'héritière du Congrès des Nationalités de l'entre-deux guerres (1925-1938) qui regroupait des associations défendant, dans le cadre de la Société des Nations, une conception ethnique des nations fondée sur le racisme biologique. Son objectif principal était le regroupement des minorités allemandes dans le Reich Grand-Allemand. D'autres minorités nationales y trouvaient un cadre favorable d'expression et de revendication. Le Congrès des Nationalités éditait alors une revue, Nation und Staat. Cette publication a cessé en 1944, en raison de sa compromission avec le régime nazi mais a repris, à l'initiative de la FUEV en 1961, avec le même éditeur, sous le nom de Europa Ethnica. » (E. Ferrand, Quelle République pour le XXIème siècle ?, L’Harmattan, 2009)
Il faut mettre ce mouvement en parallèle avec l’une des innovations notable de la Charte des droits fondamentaux qui introduit pour la première fois parmi les motifs de discriminations prohibées le « principe ethnique », contraire à l'article 2 de notre Constitution notamment. L’article 21 de la Charte reprend en effet l’article 14 de la Convention européenne des droits de l'Homme (1950), mais en substituant toutefois à l’expression « l’origine nationale ou sociale », la formule : « les origines ethniques ou sociales ». S’agit-il de concevoir la nation comme ethnie, le terme nation étant pris au sens germanique ? Il faut noter que cet article 21 est également formulé différemment de l’article 13 TCE (devenu 19 TFUE) introduit par le traité d’Amsterdam. Ce dernier citait, dans la liste des motifs, « la race ou l’origine ethnique ». Dans la Charte, le concept de « race » devient autonome et « l’origine ethnique » associée à « l’origine sociale ».
De même, la Charte emploie le pluriel (« les origines ethniques ») là où le traité d’Amsterdam employait le singulier, laissant la porte ouverte pour des droits collectifs minoritaires. Il s’agit d’une évolution, selon Yvonne Bollmann, qui est « une variation sur le thème de la diversité culturelle » au sein de l’Europe, que l’on relève dans plusieurs autres dispositions du traité – article 3 TUE, article 165 TFUE, déclaration no 16 ainsi que l’article 22 de la Charte : « L’union respecte la diversité culturelle, religieuse et linguistique ». Cet article 22 concerne a priori la diversité entre États membres, contre la tentation uniformisatrice de l’Union. Mais aidés par les encouragements européens aux régionalismes, les groupes minoritaires pourraient y voir un outil au service de la diversité à l’intérieur des États et/ou la reconnaissance « des minorités nationales » davantage que des « diversités nationales. » [2] Celle-ci « n’a plus rien à voir avec l’exception culturelle chère à la France », estime Yvonne Bollmann. « Par son Préambule et son article 22, la Charte ancre des éléments du droit des minorités » expliqua à l’époque un membre de la Convention Herzog, par ailleurs ministre des Affaires fédérales et européennes de Thuringe [3]. Ainsi, cette « diversité culturelle, religieuse et linguistique est donc ce qui caractérise des minorités, c’est-à-dire, dans la tradition allemande, des minorités à caractère ethnique », selon l’acception germanique du terme volk.
Le glissement européen du « national » vers « l’ethnique », des « droits politiques » des « citoyens nationaux » vers la multiplication de « droits culturels » subjectifs au profit des individus et minorités réduits à tel particularisme, va de pair avec la perte d'identité collective et du sentiment commun d'appartenance qui caractérise une nation, le fragmentation des souverainetés, la réduction de l’autorité des États et la sortie du Politique inhérente à la globalisation marchande et juridique.
Au-delà de la protection des minorités à laquelle il est difficile de ne pas souscrire en principe, le projet d’un véritable droit européen des minorités ethniques et de reconfiguration régionaliste sur de tels critères suscite de tout aussi légitimes inquiétudes. Dès 1961, une note du Ministère allemand des Affaires étrangères indiquait que cette organisation crée des tensions ethniques là où aucune différence n'existait auparavant. Voici ce qu'écrit aussi l'historien Eric Ferrand au sujet de la filiation historique de ces revendications : « La FUEV est l'héritière du Congrès des Nationalités de l'entre-deux guerres (1925-1938) qui regroupait des associations défendant, dans le cadre de la Société des Nations, une conception ethnique des nations fondée sur le racisme biologique. Son objectif principal était le regroupement des minorités allemandes dans le Reich Grand-Allemand. D'autres minorités nationales y trouvaient un cadre favorable d'expression et de revendication. Le Congrès des Nationalités éditait alors une revue, Nation und Staat. Cette publication a cessé en 1944, en raison de sa compromission avec le régime nazi mais a repris, à l'initiative de la FUEV en 1961, avec le même éditeur, sous le nom de Europa Ethnica. » (E. Ferrand, Quelle République pour le XXIème siècle ?, L’Harmattan, 2009)
Il faut mettre ce mouvement en parallèle avec l’une des innovations notable de la Charte des droits fondamentaux qui introduit pour la première fois parmi les motifs de discriminations prohibées le « principe ethnique », contraire à l'article 2 de notre Constitution notamment. L’article 21 de la Charte reprend en effet l’article 14 de la Convention européenne des droits de l'Homme (1950), mais en substituant toutefois à l’expression « l’origine nationale ou sociale », la formule : « les origines ethniques ou sociales ». S’agit-il de concevoir la nation comme ethnie, le terme nation étant pris au sens germanique ? Il faut noter que cet article 21 est également formulé différemment de l’article 13 TCE (devenu 19 TFUE) introduit par le traité d’Amsterdam. Ce dernier citait, dans la liste des motifs, « la race ou l’origine ethnique ». Dans la Charte, le concept de « race » devient autonome et « l’origine ethnique » associée à « l’origine sociale ».
De même, la Charte emploie le pluriel (« les origines ethniques ») là où le traité d’Amsterdam employait le singulier, laissant la porte ouverte pour des droits collectifs minoritaires. Il s’agit d’une évolution, selon Yvonne Bollmann, qui est « une variation sur le thème de la diversité culturelle » au sein de l’Europe, que l’on relève dans plusieurs autres dispositions du traité – article 3 TUE, article 165 TFUE, déclaration no 16 ainsi que l’article 22 de la Charte : « L’union respecte la diversité culturelle, religieuse et linguistique ». Cet article 22 concerne a priori la diversité entre États membres, contre la tentation uniformisatrice de l’Union. Mais aidés par les encouragements européens aux régionalismes, les groupes minoritaires pourraient y voir un outil au service de la diversité à l’intérieur des États et/ou la reconnaissance « des minorités nationales » davantage que des « diversités nationales. » [2] Celle-ci « n’a plus rien à voir avec l’exception culturelle chère à la France », estime Yvonne Bollmann. « Par son Préambule et son article 22, la Charte ancre des éléments du droit des minorités » expliqua à l’époque un membre de la Convention Herzog, par ailleurs ministre des Affaires fédérales et européennes de Thuringe [3]. Ainsi, cette « diversité culturelle, religieuse et linguistique est donc ce qui caractérise des minorités, c’est-à-dire, dans la tradition allemande, des minorités à caractère ethnique », selon l’acception germanique du terme volk.
Le glissement européen du « national » vers « l’ethnique », des « droits politiques » des « citoyens nationaux » vers la multiplication de « droits culturels » subjectifs au profit des individus et minorités réduits à tel particularisme, va de pair avec la perte d'identité collective et du sentiment commun d'appartenance qui caractérise une nation, le fragmentation des souverainetés, la réduction de l’autorité des États et la sortie du Politique inhérente à la globalisation marchande et juridique.
[1] Y. Bollmann, Diversité culturelle et principe ethnique dans le traité constitutionnel européen, www.communautarisme.net
[2] G. Braibant, La Charte européenne des droits fondamentaux de l’Union européenne, op. cit.