par Bertrand Mathieu*
À l'occasion de la campagne présidentielle, certaines personnalités politiques préconisent des décisions visant à redonner à la France une meilleure maîtrise de sa sécurité et de son identité culturelle (déchéance de nationalité en cas de terrorisme, encadrement du regroupement familial). Certaines de ces mesures sont susceptibles d'entrer en conflit avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme. Faut-il alors y renoncer ou, au contraire, accepter la possibilité d'un affrontement entre les pouvoirs publics français et les juges de Strasbourg ?
La réponse semble évidente : la Convention européenne des droits de l'homme est un traité qui engage la France et qui a notamment pour objet de confier à la Cour du même nom la protection des droits qu'elle reconnaît. Le droit international comme la Constitution française imposent son respect. Mais, d'un autre point de vue, la Cour européenne des droits de l'homme s'est considérablement écartée de sa vocation première.
Gardienne du respect de la Convention, la Cour est devenue prescriptive de sa propre conception des droits fondamentaux. D'une part, elle considère que la Convention doit être interprétée « à la lumière des conditions d'aujourd'hui » (arrêt du 13 juin 1979). D'autre part, les juges de Strasbourg retiennent une conception restrictive du principe de subsidiarité, c'est-à-dire de la marge d'appréciation des États. Cette situation est particulièrement marquée en matière de vie familiale et sexuelle. Par exemple, la Cour a condamné la France pour refus de retranscription d'actes d'état civil concernant des enfants nés à l'étranger par gestation pour autrui (arrêt du 26 juin 2014). C'est à partir de cette exigence juridique et du constat de cette dérive qu'il convient d'analyser la question ainsi posée. Certes, la Convention elle-même (article 15) permet aux États de déroger à certains droits qu'elle reconnaît dans des circonstances exceptionnelles. Mais ces conditions sont strictement encadrées par la Cour.
Des cours constitutionnelles de nombreux pays européens ont par ailleurs affirmé, sous une forme ou sous une autre, l'existence de principes inhérents à leur identité constitutionnelle qui pourraient faire obstacle à la suprématie du droit de l'Union européenne. Il en est ainsi du Conseil constitutionnel français (décision du 27 juillet 2006), du Tribunal constitutionnel allemand (décision du 22 octobre 1986) ou du Tribunal constitutionnel espagnol (décision du 13 décembre 2004). La transposition de cette règle aux rapports entre le droit national et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme permettrait aux États de reprendre la main s'agissant du respect de leur sécurité et de leurs valeurs fondamentales.
La dialectique entre les valeurs communes (par exemple le respect de la dignité humaine) et les valeurs propres à chaque État (par exemple en matière de liberté religieuse) doit remplacer un processus d'uniformisation à marche forcée opéré par une instance qui n'a ni enracinement national ni légitimité démocratique. La France doit pouvoir affirmer que la lutte contre l'islam radical et politique peut conduire à des différences de traitement auxquelles le principe de non-discrimination ne saurait faire obstacle. Or, la Cour européenne retient une conception très large de la notion de discrimination en interdisant notamment les dispositions nationales pouvant conduire indirectement à des effets préjudiciables à l'égard d'un groupe de personnes (arrêt du 20 juin 2006).
L'évolution nécessaire qu'on préconise ici doit surmonter plusieurs obstacles. L'un d'eux tient au fait que le Conseil constitutionnel français devient, de plus en plus, le relais implicite mais scrupuleux de la jurisprudence européenne, au détriment d'une interprétation nationale des exigences constitutionnelles. De ce point de vue, indépendamment de décisions ponctuelles qui restreignent la prise en compte de l'intérêt général tel que défini par le législateur, la lecture des commentaires publiés sur le site du Conseil constitutionnel démontre la place prépondérante accordée à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme dans le cadre du contrôle de constitutionnalité. La solution peut être alors de recourir à l'arme de la révision constitutionnelle.
Une autre solution consisterait à redéfinir le périmètre de compétence de la Cour. C'est juridiquement la solution la plus satisfaisante. Elle nécessite cependant l'accord de l'ensemble des États parties à la Convention européenne des droits de l'homme, au terme d'un processus long et politiquement incertain.
La solution la plus radicale, consiste à dénoncer la Convention. Elle redonne à chaque État la maîtrise de son droit, dans le respect de ses propres exigences constitutionnelles. Ce serait cependant une régression. Malgré les abus de pouvoir de la Cour européenne des droits de l'homme, l'idée d'un standard minimum de protection des droits de l'homme dans un espace européen très large qui inclut la Russie comme la Turquie a porté ses fruits.
Une autre solution, probablement la plus efficace, est politique. La jurisprudence de la Cour n'a d'effectivité que si elle est relayée par les juridictions nationales, elle n'a de légitimité que par ce qu'elle est acceptable par les États. Si la Cour a validé l'interdiction du voile islamique dans les universités turques, les crucifix dans les classes italiennes, ou l'interdiction du voile intégral dans l'espace public français, ce n'est pas le résultat d'une analyse juridique rigoureuse, mais d'un rapport de force.
Par une réaction déterminée face à certaines dérives de la jurisprudence européenne, et par un respect scrupuleux de cette jurisprudence lorsque les intérêts nationaux essentiels ne sont pas en jeu, la France peut faire évoluer la situation. La volonté de la Grande-Bretagne de ne pas respecter les décisions des juges de Strasbourg relatives au droit de vote des détenus condamnés marque le début d'une réaction dont la Cour européenne des droits de l'homme serait bien inspirée de tenir compte - dans son propre intérêt.
La réponse semble évidente : la Convention européenne des droits de l'homme est un traité qui engage la France et qui a notamment pour objet de confier à la Cour du même nom la protection des droits qu'elle reconnaît. Le droit international comme la Constitution française imposent son respect. Mais, d'un autre point de vue, la Cour européenne des droits de l'homme s'est considérablement écartée de sa vocation première.
Gardienne du respect de la Convention, la Cour est devenue prescriptive de sa propre conception des droits fondamentaux. D'une part, elle considère que la Convention doit être interprétée « à la lumière des conditions d'aujourd'hui » (arrêt du 13 juin 1979). D'autre part, les juges de Strasbourg retiennent une conception restrictive du principe de subsidiarité, c'est-à-dire de la marge d'appréciation des États. Cette situation est particulièrement marquée en matière de vie familiale et sexuelle. Par exemple, la Cour a condamné la France pour refus de retranscription d'actes d'état civil concernant des enfants nés à l'étranger par gestation pour autrui (arrêt du 26 juin 2014). C'est à partir de cette exigence juridique et du constat de cette dérive qu'il convient d'analyser la question ainsi posée. Certes, la Convention elle-même (article 15) permet aux États de déroger à certains droits qu'elle reconnaît dans des circonstances exceptionnelles. Mais ces conditions sont strictement encadrées par la Cour.
Des cours constitutionnelles de nombreux pays européens ont par ailleurs affirmé, sous une forme ou sous une autre, l'existence de principes inhérents à leur identité constitutionnelle qui pourraient faire obstacle à la suprématie du droit de l'Union européenne. Il en est ainsi du Conseil constitutionnel français (décision du 27 juillet 2006), du Tribunal constitutionnel allemand (décision du 22 octobre 1986) ou du Tribunal constitutionnel espagnol (décision du 13 décembre 2004). La transposition de cette règle aux rapports entre le droit national et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme permettrait aux États de reprendre la main s'agissant du respect de leur sécurité et de leurs valeurs fondamentales.
La dialectique entre les valeurs communes (par exemple le respect de la dignité humaine) et les valeurs propres à chaque État (par exemple en matière de liberté religieuse) doit remplacer un processus d'uniformisation à marche forcée opéré par une instance qui n'a ni enracinement national ni légitimité démocratique. La France doit pouvoir affirmer que la lutte contre l'islam radical et politique peut conduire à des différences de traitement auxquelles le principe de non-discrimination ne saurait faire obstacle. Or, la Cour européenne retient une conception très large de la notion de discrimination en interdisant notamment les dispositions nationales pouvant conduire indirectement à des effets préjudiciables à l'égard d'un groupe de personnes (arrêt du 20 juin 2006).
L'évolution nécessaire qu'on préconise ici doit surmonter plusieurs obstacles. L'un d'eux tient au fait que le Conseil constitutionnel français devient, de plus en plus, le relais implicite mais scrupuleux de la jurisprudence européenne, au détriment d'une interprétation nationale des exigences constitutionnelles. De ce point de vue, indépendamment de décisions ponctuelles qui restreignent la prise en compte de l'intérêt général tel que défini par le législateur, la lecture des commentaires publiés sur le site du Conseil constitutionnel démontre la place prépondérante accordée à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme dans le cadre du contrôle de constitutionnalité. La solution peut être alors de recourir à l'arme de la révision constitutionnelle.
Une autre solution consisterait à redéfinir le périmètre de compétence de la Cour. C'est juridiquement la solution la plus satisfaisante. Elle nécessite cependant l'accord de l'ensemble des États parties à la Convention européenne des droits de l'homme, au terme d'un processus long et politiquement incertain.
La solution la plus radicale, consiste à dénoncer la Convention. Elle redonne à chaque État la maîtrise de son droit, dans le respect de ses propres exigences constitutionnelles. Ce serait cependant une régression. Malgré les abus de pouvoir de la Cour européenne des droits de l'homme, l'idée d'un standard minimum de protection des droits de l'homme dans un espace européen très large qui inclut la Russie comme la Turquie a porté ses fruits.
Une autre solution, probablement la plus efficace, est politique. La jurisprudence de la Cour n'a d'effectivité que si elle est relayée par les juridictions nationales, elle n'a de légitimité que par ce qu'elle est acceptable par les États. Si la Cour a validé l'interdiction du voile islamique dans les universités turques, les crucifix dans les classes italiennes, ou l'interdiction du voile intégral dans l'espace public français, ce n'est pas le résultat d'une analyse juridique rigoureuse, mais d'un rapport de force.
Par une réaction déterminée face à certaines dérives de la jurisprudence européenne, et par un respect scrupuleux de cette jurisprudence lorsque les intérêts nationaux essentiels ne sont pas en jeu, la France peut faire évoluer la situation. La volonté de la Grande-Bretagne de ne pas respecter les décisions des juges de Strasbourg relatives au droit de vote des détenus condamnés marque le début d'une réaction dont la Cour européenne des droits de l'homme serait bien inspirée de tenir compte - dans son propre intérêt.
* Ancien membre du Conseil supérieur de la magistrature. Vice-président de l'Association internationale de droit constitutionnel. Dernier ouvrage paru : « Justice et politique : la déchirure ? » (LGDJ-Lextenso, 2015, 192 p., 23 eur).
Source : Le Figaro