La psychologie française contemporaine est fascinée autant qu’irritée par le souverainisme anglais. Il ose ce à quoi nous avons renoncé : le retour du Politique. Chez lui, l’indépendance nationale est non-négociable. La souveraineté du Parlement de Westminster aussi. La liberté monétaire, du commerce et de sa relation intime à l’Amérique ou au Commonwealth également. Son adhésion au marché commun en 1972, en période de déclin, ne relevait pas de l’acte de foi. Dans cette autre vieille nation dont les racines plongent jusqu’au Moyen-Âge, les promesses d’éden post-national glissent comme la pluie sur Big Ben. La litanie sans-frontiériste n’atteint pas son flegme. L’Anglais connaît trop l’Histoire du monde.
Dans la marine à voiles, on réglait la voilure et la direction selon les vents et courants. Dans la vie, y compris politique, l’Anglais est un marin : pragmatique et tenace. Son engagement européen est un contrat : il juge aux résultats, l’adapte et peut changer de cap. « Si nous n’étions pas membre de l’UE, le souhaiterions-nous aujourd’hui ? », interrogent les pro-Brexit, rappelant les refus suisse, norvégien et islandais. Les économies des 28 représentaient 30% du PIB mondial en 1980 contre 17% aujourd’hui, selon le FMI. Face au séisme migratoire et au risque terroriste, l’union n’a pas fait la force mais la paralysie, la discorde et des drames humains inimaginables. Le centralisme bruxellois a finalement sapé prospérité, sûreté, démocratie, coopération internationale et confiance entre nos pays. Depuis quatre ans, leur pays a créé tout seul plus d’emplois que les vingt-sept réunis, selon Eurostat. Leurs bateaux, leur langue, leurs idées, leur système de Common Law relient les continents depuis des siècles. Ils sont une grande puissance militaire, nucléaire, membre-clé des G8, G20, OTAN, Conseil de sécurité de l’ONU. Pour Londres, c’est Bruxelles qui enferme et le grand large qui libère.
“Should I stay or should I go ?” Bien bêtes sont ceux qui ne se posent pas au moins la question. Un mariage de raison ne tient que si la raison est partagée. Le mariage européen était pour l’Allemagne le chemin de sa rédemption, pour la France une tentative de résurrection, pour l’Angleterre un pari pascalien. Si ça marchait, elle gagnait tout, si ça échouait, elle ne perdait rien.
La logique de l’intégration régionale est depuis longtemps périmée par la fin des blocs est-ouest, la chute des coûts de transports et internet. Il n’y a plus de rapport nécessaire entre la masse et la puissance, pour les entreprises comme pour les nations. Vingt-huit fois zéro font toujours zéro. Et la puce ne craint plus le mastodonte. La puissance repose davantage sur un réseau, une influence, une identité, une réactivité. Telle entreprise anglaise commerce plus facilement en Inde qu’en Slovénie : même langue, même méthode comptable, même culture juridique.
Aux Britanniques de dire si ce compromis leur convient ou s’ils préfèrent reprendre leur liberté. On eût espéré que la France, qui n’a pas moins d’atouts inemployés, profitât de cette brèche pour fonder un nouveau Pacte européen, à partir de la vision gaullienne : une confédération des nations de l’Atlantique à l’Oural. Les Anglais traitent l’Europe par le débat. Nous la traitons par l’omerta. Nos dirigeants auraient-ils l’Europe honteuse ? Sentant le vide ronger la nation de l’intérieur, ils n’imaginent plus depuis longtemps pour elle de destin propre. Plutôt qu’une Europe tirant sa force des souverainetés, des démocraties et des frontières, nos pays se sont collés les uns aux autres sous égide administrative bruxelloise, comme des poules malades au coin du poulailler.
Si les Anglais s’en vont, nous perdrons leur regard extérieur et leur empirisme. Dans l'hypothèse du "Brexit", une « feuille de route » infernale est déjà prête à Bruxelles pour pousser, sans référendum, à un nouveau saut dans le vide supranational. Ou comment prescrire à l’Europe toujours « more of the same poison », comme disent les Britanniques. A moins que d’autres ne leur emboîtent le pas.
Christophe Beaudouin, Docteur en droit, est auteur de « La démocratie à l’épreuve de l’intégration européenne » (LGDJ, 2014).
Source : Le Figaro (http://www.lefigaro.fr/)
25/02/2016
Dans la marine à voiles, on réglait la voilure et la direction selon les vents et courants. Dans la vie, y compris politique, l’Anglais est un marin : pragmatique et tenace. Son engagement européen est un contrat : il juge aux résultats, l’adapte et peut changer de cap. « Si nous n’étions pas membre de l’UE, le souhaiterions-nous aujourd’hui ? », interrogent les pro-Brexit, rappelant les refus suisse, norvégien et islandais. Les économies des 28 représentaient 30% du PIB mondial en 1980 contre 17% aujourd’hui, selon le FMI. Face au séisme migratoire et au risque terroriste, l’union n’a pas fait la force mais la paralysie, la discorde et des drames humains inimaginables. Le centralisme bruxellois a finalement sapé prospérité, sûreté, démocratie, coopération internationale et confiance entre nos pays. Depuis quatre ans, leur pays a créé tout seul plus d’emplois que les vingt-sept réunis, selon Eurostat. Leurs bateaux, leur langue, leurs idées, leur système de Common Law relient les continents depuis des siècles. Ils sont une grande puissance militaire, nucléaire, membre-clé des G8, G20, OTAN, Conseil de sécurité de l’ONU. Pour Londres, c’est Bruxelles qui enferme et le grand large qui libère.
“Should I stay or should I go ?” Bien bêtes sont ceux qui ne se posent pas au moins la question. Un mariage de raison ne tient que si la raison est partagée. Le mariage européen était pour l’Allemagne le chemin de sa rédemption, pour la France une tentative de résurrection, pour l’Angleterre un pari pascalien. Si ça marchait, elle gagnait tout, si ça échouait, elle ne perdait rien.
La logique de l’intégration régionale est depuis longtemps périmée par la fin des blocs est-ouest, la chute des coûts de transports et internet. Il n’y a plus de rapport nécessaire entre la masse et la puissance, pour les entreprises comme pour les nations. Vingt-huit fois zéro font toujours zéro. Et la puce ne craint plus le mastodonte. La puissance repose davantage sur un réseau, une influence, une identité, une réactivité. Telle entreprise anglaise commerce plus facilement en Inde qu’en Slovénie : même langue, même méthode comptable, même culture juridique.
Aux Britanniques de dire si ce compromis leur convient ou s’ils préfèrent reprendre leur liberté. On eût espéré que la France, qui n’a pas moins d’atouts inemployés, profitât de cette brèche pour fonder un nouveau Pacte européen, à partir de la vision gaullienne : une confédération des nations de l’Atlantique à l’Oural. Les Anglais traitent l’Europe par le débat. Nous la traitons par l’omerta. Nos dirigeants auraient-ils l’Europe honteuse ? Sentant le vide ronger la nation de l’intérieur, ils n’imaginent plus depuis longtemps pour elle de destin propre. Plutôt qu’une Europe tirant sa force des souverainetés, des démocraties et des frontières, nos pays se sont collés les uns aux autres sous égide administrative bruxelloise, comme des poules malades au coin du poulailler.
Si les Anglais s’en vont, nous perdrons leur regard extérieur et leur empirisme. Dans l'hypothèse du "Brexit", une « feuille de route » infernale est déjà prête à Bruxelles pour pousser, sans référendum, à un nouveau saut dans le vide supranational. Ou comment prescrire à l’Europe toujours « more of the same poison », comme disent les Britanniques. A moins que d’autres ne leur emboîtent le pas.
Christophe Beaudouin, Docteur en droit, est auteur de « La démocratie à l’épreuve de l’intégration européenne » (LGDJ, 2014).
Source : Le Figaro (http://www.lefigaro.fr/)
25/02/2016