Ni fédéralistes, ni souverainistes, par Roland Hureaux
Jamais on ne dira assez combien le choix des mots importe dans les batailles politiques. Hélas la paresse intellectuelle qui règne dans les milieux de droite empêche qu’ils s’en rendent compte.
Cela vaut aussi pour les patriotes adversaires de l’Europe de Bruxelles qui ne sont pas tous de ce bord.
Cela fait quarante ans que les intéressés dénoncent comme des perroquets l’Europe fédérale, l’Europe fédérale. Mais pourquoi fédérale ? Parce qu’a apriori une union de nations est une fédération. Parce que surtout les partisans de cette formule se sont donné ce qualificatif. Un qualificatif gentil : fédérer, c’est réunir, c’est tisser des liens.
Or non seulement l’utilisation de ce mot est maladroite : on ne donne jamais un nom valorisant à son adversaire : le général de Gaulle dont le moindre talent n’était pas la communication l’avait compris : il ne parlait jamais d’Europe fédérale mais d’Europe supranationale, ce qui évoque une machinerie lourde et oppressive, beaucoup moins sympathique qu’une fédération.
Le mot de fédéralisme n’est pas seulement de la mauvaise communication, il est faux. C’est d’ailleurs un principe éthique méconnu que la meilleure communication est , la plupart du temps, de dire tout simplement la vérité, ce qui ne va pas de soi car beaucoup , faute de réflexion , lui préfèrent des formules toutes faites.
Pourquoi l’Europe de Bruxelles n’est-elle pas fédérale ? Dans une vraie fédération, les affaires de second rang sont laissées aux entités fédérées. Or Bruxelles non seulement ne les leur laisse pas mais ne cesse de les faire remonter : l’Acte unique de 1987, au motif de réaliser un marché unique totalement homogène sur le plan réglementaire, a enlevé aux länder allemands leurs compétences de réglementation économique et professionnelle pour le transférer non à Berlin mais à Bruxelles (alors même qu’aux Etats-Unis, une partie de ces compétences reste aux Etats). Quant au principe de subsidiarité, invoqué à l’ article 5 du traité de Lisbonne ( repris de l’article 3 B du traité de Maastricht) , il est parfaitement mensonger car y font exception notamment les « acquis communautaires », c’est à dite tout ce qui a déjà été transféré au niveau central et ce qui peut encore l’être , soit « ce qui peut être mieux réalisé au niveau communautaire. »
On ajoutera que dans une vraie fédération, le niveau central n’a aucune relation directe avec les niveaux autres que fédéré (-1) et laisse à ce dernier la tutelle des collectivités locales (- 2, - 3 etc.) C’est ce qui se passe en Suisse ou en Allemagne, pas en France. Mais la France n’a jamais prétendu être un Etat fédéral. Or à Bruxelles, on fait comme en France et même pire : au nom d’une fumeuse Europe des régions, l’échelon central ne cesse de doubler les Etats pour traiter directement avec les régions, les départements, voire les communes.
Les amateurs de théorie politique verront une autre raison pour laquelle la construction européenne ne saurait être fédérale. Jean-Jacques Rousseau l’a dit : plus une entité politique est vaste – et diverse -, plus elle doit être centralisée : un Empire plus qu’un royaume, un royaume plus que de petites républiques comme celles qui composent la Suisse. Barroso, ancien président de la Commission qui s’y connait, qualifiait, on s’en souvient, l’Europe d’ « empire non impérial » : empire quand même.
Mais l’Europe est plus qu’un empire : c’est une création idéologique destinée à refaire l’homme européen en vue de l’arracher aux démons du passé que s’appellent nationalisme, chauvinisme, protectionnisme. Or les idéologues sont gens méfiants : comme les dévots soumis à la tentation, ils se sentent assiégés par ces démons du passé qu’ils veulent combattre mais qui renaissent toujours, qu’ils qualifient de populismes. Face à cette montée inexorable des oppositions, il est hors de question qu’ils laissent, comme on le fait dans une véritable fédération, la bride sur le cou aux échelons inférieurs : qui sait ce qui qu’ils pourraient en faire ? Une vraie fédération repose sur la confiance ; or la construction européenne, dont Jean-Claude Juncker a rappelé qu’elle ne saurait être démocratique, est fondée, dès le départ, parce qu’idéologique, sur la méfiance.
La souveraineté n’est pas une secte
Et les souverainistes ? C’est un peu pareil mais à l’envers. Là aussi De Gaulle se garda bien d’employer ce mot. Ce sont des patriotes eux-mêmes qui l’ont importé du Canada. Généralement chatouilleux sur la francophonie, ils ont adopté un mot qui n’était pas du bon français. Affrontés à tous les partisans d’une Europe idéologique qui les accusent d’archaïsme, il leur fallait encore s’affubler d’un nom qui évoque, que nos amis Canadiens ne nous en veuillent pas, l’ homme des bois. Comme ces victimes affligées du syndrome de Stockholm tendent le cou au bourreau, ils ont voulu faciliter la tâche à leurs adversaires lesquels ont eu beau jeu de disqualifier ce vocable. Bravo la com. !
Mais il y a une autre raison, plus fondamentale, pour dire que c’est un mauvais mot : la souveraineté n’est qu’un autre nom de la liberté, collective au lieu d’être individuelle. Or la liberté n’est pas une secte, elle est une évidence. Je ne me qualifie pas de libéral du simple fait que je suis attaché à ma liberté individuelle. Pas davantage un Européen légitiment attaché à la souveraineté nationale n’a pas à se dire souverainiste. Il est dans l’ordre naturel de choses et cela lui suffit. Laissons les ismes au camp adverse.
Roland Hureaux
Ancien élève de l'Ens et de l'Ena, essayiste, Roland Hureaux a été universitaire, diplomate, membre de plusieurs cabinets ministériels (dont celui de Philippe Séguin), élu local, et plus récemment à la Cour des comptes. Il tient un blog dont est issu la présente tribune, sur http://roland.hureaux.over-blog.com/
Bibliographie :
Cela vaut aussi pour les patriotes adversaires de l’Europe de Bruxelles qui ne sont pas tous de ce bord.
Cela fait quarante ans que les intéressés dénoncent comme des perroquets l’Europe fédérale, l’Europe fédérale. Mais pourquoi fédérale ? Parce qu’a apriori une union de nations est une fédération. Parce que surtout les partisans de cette formule se sont donné ce qualificatif. Un qualificatif gentil : fédérer, c’est réunir, c’est tisser des liens.
Or non seulement l’utilisation de ce mot est maladroite : on ne donne jamais un nom valorisant à son adversaire : le général de Gaulle dont le moindre talent n’était pas la communication l’avait compris : il ne parlait jamais d’Europe fédérale mais d’Europe supranationale, ce qui évoque une machinerie lourde et oppressive, beaucoup moins sympathique qu’une fédération.
Le mot de fédéralisme n’est pas seulement de la mauvaise communication, il est faux. C’est d’ailleurs un principe éthique méconnu que la meilleure communication est , la plupart du temps, de dire tout simplement la vérité, ce qui ne va pas de soi car beaucoup , faute de réflexion , lui préfèrent des formules toutes faites.
Pourquoi l’Europe de Bruxelles n’est-elle pas fédérale ? Dans une vraie fédération, les affaires de second rang sont laissées aux entités fédérées. Or Bruxelles non seulement ne les leur laisse pas mais ne cesse de les faire remonter : l’Acte unique de 1987, au motif de réaliser un marché unique totalement homogène sur le plan réglementaire, a enlevé aux länder allemands leurs compétences de réglementation économique et professionnelle pour le transférer non à Berlin mais à Bruxelles (alors même qu’aux Etats-Unis, une partie de ces compétences reste aux Etats). Quant au principe de subsidiarité, invoqué à l’ article 5 du traité de Lisbonne ( repris de l’article 3 B du traité de Maastricht) , il est parfaitement mensonger car y font exception notamment les « acquis communautaires », c’est à dite tout ce qui a déjà été transféré au niveau central et ce qui peut encore l’être , soit « ce qui peut être mieux réalisé au niveau communautaire. »
On ajoutera que dans une vraie fédération, le niveau central n’a aucune relation directe avec les niveaux autres que fédéré (-1) et laisse à ce dernier la tutelle des collectivités locales (- 2, - 3 etc.) C’est ce qui se passe en Suisse ou en Allemagne, pas en France. Mais la France n’a jamais prétendu être un Etat fédéral. Or à Bruxelles, on fait comme en France et même pire : au nom d’une fumeuse Europe des régions, l’échelon central ne cesse de doubler les Etats pour traiter directement avec les régions, les départements, voire les communes.
Les amateurs de théorie politique verront une autre raison pour laquelle la construction européenne ne saurait être fédérale. Jean-Jacques Rousseau l’a dit : plus une entité politique est vaste – et diverse -, plus elle doit être centralisée : un Empire plus qu’un royaume, un royaume plus que de petites républiques comme celles qui composent la Suisse. Barroso, ancien président de la Commission qui s’y connait, qualifiait, on s’en souvient, l’Europe d’ « empire non impérial » : empire quand même.
Mais l’Europe est plus qu’un empire : c’est une création idéologique destinée à refaire l’homme européen en vue de l’arracher aux démons du passé que s’appellent nationalisme, chauvinisme, protectionnisme. Or les idéologues sont gens méfiants : comme les dévots soumis à la tentation, ils se sentent assiégés par ces démons du passé qu’ils veulent combattre mais qui renaissent toujours, qu’ils qualifient de populismes. Face à cette montée inexorable des oppositions, il est hors de question qu’ils laissent, comme on le fait dans une véritable fédération, la bride sur le cou aux échelons inférieurs : qui sait ce qui qu’ils pourraient en faire ? Une vraie fédération repose sur la confiance ; or la construction européenne, dont Jean-Claude Juncker a rappelé qu’elle ne saurait être démocratique, est fondée, dès le départ, parce qu’idéologique, sur la méfiance.
La souveraineté n’est pas une secte
Et les souverainistes ? C’est un peu pareil mais à l’envers. Là aussi De Gaulle se garda bien d’employer ce mot. Ce sont des patriotes eux-mêmes qui l’ont importé du Canada. Généralement chatouilleux sur la francophonie, ils ont adopté un mot qui n’était pas du bon français. Affrontés à tous les partisans d’une Europe idéologique qui les accusent d’archaïsme, il leur fallait encore s’affubler d’un nom qui évoque, que nos amis Canadiens ne nous en veuillent pas, l’ homme des bois. Comme ces victimes affligées du syndrome de Stockholm tendent le cou au bourreau, ils ont voulu faciliter la tâche à leurs adversaires lesquels ont eu beau jeu de disqualifier ce vocable. Bravo la com. !
Mais il y a une autre raison, plus fondamentale, pour dire que c’est un mauvais mot : la souveraineté n’est qu’un autre nom de la liberté, collective au lieu d’être individuelle. Or la liberté n’est pas une secte, elle est une évidence. Je ne me qualifie pas de libéral du simple fait que je suis attaché à ma liberté individuelle. Pas davantage un Européen légitiment attaché à la souveraineté nationale n’a pas à se dire souverainiste. Il est dans l’ordre naturel de choses et cela lui suffit. Laissons les ismes au camp adverse.
Roland Hureaux
Ancien élève de l'Ens et de l'Ena, essayiste, Roland Hureaux a été universitaire, diplomate, membre de plusieurs cabinets ministériels (dont celui de Philippe Séguin), élu local, et plus récemment à la Cour des comptes. Il tient un blog dont est issu la présente tribune, sur http://roland.hureaux.over-blog.com/
Bibliographie :
- Un avenir pour le monde rural (Pouvoirs locaux, 1993) ;
- Pour en finir avec la droite (Gallimard, 1998) ;
- Les hauteurs béantes de l’Europe - la dérive idéologique de la construction européenne (éditions François-Xavier de Guibert, 2000, réédité en 2007) ;
- Le temps des derniers hommes, le devenir de la population dans les sociétés modernes, préface de Jacques Dupâquier (Hachette, 2000) ;
- Les nouveaux féodaux, l’erreur de la décentralisation (Gallimard, 2004) : critique de la décentralisation ;
- Jésus et Marie Madeleine (Perrin, 2005, traduit en espagnol, russe et coréen) ;
- L’actualité du gaullisme, cinq études sur les idées et l’action du général de Gaulle, préface de Jean Charbonnel (éditions François-Xavier de Guibert, 2007) ;
- L’Antipolitique - peut-on avoir une classe politique encore plus nulle ? (Privat, 2007) ;
- La grande démolition, la France cassée par les réformes (Buchet-Chastel, 2012).
- Gnose et gnostiques des origines à nos jours (Desclée de Brouwer, 2015).
- D'une crise à l'autre (Perspectives libres, 2017).
- De droite, la famille ? (Corlet, 1998) ;
- France-Allemagne : un tandem en panne ? (Corlet, 2001) ;
- Après l’Europe de Bruxelles, une France libre dans une communauté d’Etats souverains (avec Michel Robatel, éditions François-Xavier de Guibert, 2011).