Depuis toujours, la construction européenne répugne à la théorisation et se complait dans son indéfinition essentielle. Et pourtant...
Les analyses les plus pertinentes de la doctrine ont essentiellement porté sur la Communauté européenne puisque, jusqu’à l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, l’Union européenne était dépourvue de personnalité juridique.
Certains ont analysé le processus d’intégration européenne comme un État fédéral en construction. Au passage, le modèle des États-Unis d’Amérique a semblé davantage retenir l’attention des juristes français, fascinés qu’ils étaient par l’omniprésence de l’État (l’État fédéral comme l’État fédéré), à chaque échelon de la démocratie américaine. La culture française de l’État est certainement un tropisme plus séduisant pour eux que la comparaison, pourtant plus pertinente et plus européenne, des relations de la République fédérale avec les Länder en Allemagne ou de la Fédération suisse avec ses cantons. Les fédéralismes canadien, brésilien ou australien ne sont guère davantage étudiés. Ils pouvaient être encouragés en ce sens par de nombreuses déclarations faites par les responsables politiques européens, même si le mot fédéral [1] qui apparaissait dans la première mouture du Traité établissant une Constitution pour l’Europe a finalement été gommé. D’autres encore ont préféré le célèbre oxymore « Fédération d’États Nation », ou le concept de fédération sans État, qui permet certes de faire gouverner les peuples par d’autres institutions que les institutions étatiques, mais qui n’est pas réductible en une formule juridique compréhensible [2]. Mais force est bien de constater que toutes ces tentatives théoriques sont restées vaines, comme si la construction européenne répugnait à la théorisation et se complaisait dans son indéfinition essentielle.
Le modèle recherché par certains des « pères fondateurs » était celui « d’institutions fédérales européennes » [3] avec un « district fédéral » accueillant la capitale de l’Europe et un même « gouvernement provisoire européen » [4] dirigeant des États-Unis d’Europe. Bien que la situation des colons du continent nord-américain de 1776 fût objectivement incomparable à celle des peuples européens de la fin du XXème siècle, cette vision fédéraliste là restait adossée à la forme politique de l’État nation. C’est le fédéralisme classique. Il suppose donc à terme l’apparition de quelque chose comme une « nation » continentale, c’est à dire un peuple européen qui joue précisément toute sa fonction de « fédérateur ». Tous les États fédéraux au monde sont d’ailleurs des nations, même composites au dernier degré. Selon ce modèle fédéral classique, il ne resterait aux Européens qu’à fusionner en un seul demos, et le tour sera joué. L’approche la plus précise de cette ambition fédérale classique est certainement celle qui résulte de l’analyse du Traité de Lisbonne par la Cour constitutionnelle allemande [5]. Elle relève pertinemment qu’à la suite de l’échec de la Communauté européenne de Défense, « la mise en place d’un État fédéral n’était pas possible directement (…) dans les décennies qui suivirent, l’évolution européenne fut caractérisée par la création de liens de plus en plus étroits et la communautarisation de matières économiques. Par ce détour, rendu nécessaire par de fortes tendances de préservation de l’État-national, l’objectif d’une union politique fut poursuivi ».
La référence au fédéralisme n’est cependant pas toujours éclairante [6], dès lors que cette forme d’État composé n’est pas plus fixe dans le temps qu’elle ne l’est dans l’espace, pour autant d’ailleurs qu’elle s’oppose bien, du point de vue pratique aux modèles modernes des États unitaire. [7]
La difficulté d’application d’un fédéralisme strictement dualiste est une constante aux États-Unis et la nécessité d’interventions croissantes du gouvernement fédéral a, depuis longtemps, déplacé l’équilibre de ce système en faveur du centre, sans qu’il soit aussi centralisé que le fédéralisme allemand.[8]Dans un mouvement parallèle s’est développé le fédéralisme de coopération qui contribue, lui aussi, au renforcement des compétences centrales et, par conséquent, à un affaiblissement de l’autonomie des entités périphériques.
Mais, en Europe, l'affaiblissement volontaire de la souveraineté des États membres ne s'est pas accompagné de la naissance d'une souveraineté politique au profit de l'Union européenne. Aucun peuple européen ne semble actuellement prêt à surgir de la décomposition qui travaille les sociétés européennes. Or, en démocratie, seul le peuple constitué en État est producteur de politique. Ce n’est pas à une fédération classique basée sur une constitution, un peuple et un État fédéraux qu’œuvre aujourd’hui l’intégration supranationale, mais à une fédération globale, désétatisée et post-politique, centrée sur le citoyen pourvu de droits individuels, opérant dans un espace économique et juridique aux frontières abolies ou relatives. L’Union n’est donc pas un « super-État » mais plutôt un laboratoire de la gouvernance. Ainsi et pratiquement, elle n’est pas titulaire de la souveraineté, ni donc de la compétence de sa compétence. Même si les traités contiennent des clauses générales de compétences – la clause de flexibilité (art. 352 TFUE), les clauses de marché intérieur (art 114 et 115 TFUE) -, énoncent de nombreux objectifs généraux de l’Union (article 3 TUE) justifiant la consécration de compétences implicites à son profit en recourant aux principes de l’effet utile ou de l’effet nécessaire du traité, ou encore multiplient les clauses passerelles, générale et spéciales, permettant, moyennant un vote à l’unanimité au Conseil et l’absence d’opposition des parlements nationaux, de faire basculer définitivement la procédure d’adoption concernant tel domaine, de l’unanimité vers la majorité qualifiée, de la procédure spéciale vers la procédure générale (codécision). Tout nouveau traité, à la disposition des seuls États agissant collectivement pourrait théoriquement renoncer à ces clauses d’« auto-révision ». À condition, certes, qu’ils s’entendent à l’unanimité des vingt-huit. L’Union ne dispose que d'attributions limitativement prévues par les traités même si ce principe d’attribution est relativisé par les objectifs à atteindre. La compétence de principe, c’est-à-dire la souveraineté, demeure entre les mains des États[9]. Le titre de la souveraineté des États membres de l’Union européenne reste nominalement préservé. Il l’est non seulement par la codification d’un droit individuel de retrait conditionné à la négociation d’un accord de retrait avec l’Union européenne[10] mais surtout par le principe d’attribution des compétences. L’Union européenne a pu conduire à fragmenter et partager les souverainetés nationales, il n'y a pas, pour autant, de souveraineté politique européenne à l’horizon.[11]. Citons encore ici la Cour constitutionnelle allemande pour qui l’Union demeure un « regroupement d’États à laquelle sont transférés des droits de souveraineté. La notion de regroupement renvoie à une association étroite et permanente d’États demeurant souverains, laquelle exerce des prérogatives de puissance publique sur le fondement des traités. Toutefois, les règles fondamentales de cette association sont à la disposition exclusive des États membres et les peuples, c’est-à-dire les citoyens des États membres demeurent les sujets conférant la légitimité démocratique »[12].
Comment concilier – ou réconcilier – le modèle actuel de construction européenne par l’intégration avec la légitimité démocratique ? Autrement dit, qu’en est-il du fameux « déficit démocratique »[13] de l’Union ? Du point de vue théorique, la difficulté procède, en effet, de ce que la gouvernance européenne – qui en soi suffit à beaucoup comme explication – mêle étroitement des légitimités différentes qui se croisent, se dédoublent et s’opposent. La Commission européenne et la Cour de Justice de l’Union sont indéniablement d’essence fédérale car supranationale, comme la Banque Centrale européenne. Elles sont surtout, et par nature, parfaitement apolitiques, en tant qu’elles appartiennent, du fait de leur statut, à la grande famille des autorités indépendantes peuplant le nouveau monde de la gouvernance managériale, qui émerge partout y compris à l’intérieur de chaque État. Une indépendance tant vis-à-vis des gouvernements que des parlements nationaux donc des peuples. Leur légitimité semble être celle de « l’Esprit, l’économie et les termes » du Traité, comme dit la Cour depuis les arrêts constitutionnels fondateurs de 1963-64, de cette « union sans cesse plus étroite » par l’intégration, les valeurs européennes et les quatre libertés de circulation (marchandises, capitaux, services, individus) qui forment sa « Constitution économique ». Elles sont tout aussi éloignées du regard de l’opinion publique car leur légitimité est purement technique et fonctionnelle. Les États membres ne peuvent, au mieux, que modifier à l’unanimité les traités pour arrêter ou rééquilibrer les pouvoirs. Le Conseil et le Conseil européen pratiquent plutôt, eux, le dédoublement fonctionnel. Même qualifiés d’institutions européennes, ils ne représentent la logique supranationale que lorsqu’ils statuent à la majorité qualifiée. En revanche, l’unanimité ou les différentes formes de consensus ou d’abstention constructive rendent à l’État son autonomie. Le modèle de gouvernance se complique encore en raison de la multiplicité des qualités dans lesquelles plusieurs de ces institutions interviennent. Le Conseil partage la fonction législative avec le Parlement européen dans l’hypothèse de la codécision avec le Parlement européen. Mais il peut aussi exercer seul cette fonction législative. La Commission cumule des pouvoirs législatifs (monopole de l’initiative), exécutifs (actes d’exécution) et de sanction (concurrence). Le Haut représentant de l’Union pour la PESC est sans doute la voix de l’Europe et le Vice-Président de la Commission européenne. Mais sa légitimité peut se réduire à peu de chose au sein d’un Conseil européen composé de chefs d’États et de gouvernement élus par leurs peuples respectifs. Il en va de même du Président permanent du Conseil européen. Quant aux gouvernements et à leurs responsables politiques les plus importants, ils expriment naturellement la légitimité procédant de leur élection nationale lorsqu’ils siègent au Conseil et au Conseil européen. Leur autonomie est réelle, surtout lorsqu’ils statuent à l’unanimité. Mais de retour dans leurs États respectifs, ils deviennent des exécutants ordinaires du droit de l’Union européenne soumis au contrôle du juge national, y compris du plus modeste dans la hiérarchie judiciaire.
Armel Pécheul et Christophe Beaudouin
Droit de la gouvernance de l'Union européenne - Institutions et ordre juridique"
(IS éditions, 2018)
(Extrait p.75 )
Certains ont analysé le processus d’intégration européenne comme un État fédéral en construction. Au passage, le modèle des États-Unis d’Amérique a semblé davantage retenir l’attention des juristes français, fascinés qu’ils étaient par l’omniprésence de l’État (l’État fédéral comme l’État fédéré), à chaque échelon de la démocratie américaine. La culture française de l’État est certainement un tropisme plus séduisant pour eux que la comparaison, pourtant plus pertinente et plus européenne, des relations de la République fédérale avec les Länder en Allemagne ou de la Fédération suisse avec ses cantons. Les fédéralismes canadien, brésilien ou australien ne sont guère davantage étudiés. Ils pouvaient être encouragés en ce sens par de nombreuses déclarations faites par les responsables politiques européens, même si le mot fédéral [1] qui apparaissait dans la première mouture du Traité établissant une Constitution pour l’Europe a finalement été gommé. D’autres encore ont préféré le célèbre oxymore « Fédération d’États Nation », ou le concept de fédération sans État, qui permet certes de faire gouverner les peuples par d’autres institutions que les institutions étatiques, mais qui n’est pas réductible en une formule juridique compréhensible [2]. Mais force est bien de constater que toutes ces tentatives théoriques sont restées vaines, comme si la construction européenne répugnait à la théorisation et se complaisait dans son indéfinition essentielle.
Le modèle recherché par certains des « pères fondateurs » était celui « d’institutions fédérales européennes » [3] avec un « district fédéral » accueillant la capitale de l’Europe et un même « gouvernement provisoire européen » [4] dirigeant des États-Unis d’Europe. Bien que la situation des colons du continent nord-américain de 1776 fût objectivement incomparable à celle des peuples européens de la fin du XXème siècle, cette vision fédéraliste là restait adossée à la forme politique de l’État nation. C’est le fédéralisme classique. Il suppose donc à terme l’apparition de quelque chose comme une « nation » continentale, c’est à dire un peuple européen qui joue précisément toute sa fonction de « fédérateur ». Tous les États fédéraux au monde sont d’ailleurs des nations, même composites au dernier degré. Selon ce modèle fédéral classique, il ne resterait aux Européens qu’à fusionner en un seul demos, et le tour sera joué. L’approche la plus précise de cette ambition fédérale classique est certainement celle qui résulte de l’analyse du Traité de Lisbonne par la Cour constitutionnelle allemande [5]. Elle relève pertinemment qu’à la suite de l’échec de la Communauté européenne de Défense, « la mise en place d’un État fédéral n’était pas possible directement (…) dans les décennies qui suivirent, l’évolution européenne fut caractérisée par la création de liens de plus en plus étroits et la communautarisation de matières économiques. Par ce détour, rendu nécessaire par de fortes tendances de préservation de l’État-national, l’objectif d’une union politique fut poursuivi ».
La référence au fédéralisme n’est cependant pas toujours éclairante [6], dès lors que cette forme d’État composé n’est pas plus fixe dans le temps qu’elle ne l’est dans l’espace, pour autant d’ailleurs qu’elle s’oppose bien, du point de vue pratique aux modèles modernes des États unitaire. [7]
La difficulté d’application d’un fédéralisme strictement dualiste est une constante aux États-Unis et la nécessité d’interventions croissantes du gouvernement fédéral a, depuis longtemps, déplacé l’équilibre de ce système en faveur du centre, sans qu’il soit aussi centralisé que le fédéralisme allemand.[8]Dans un mouvement parallèle s’est développé le fédéralisme de coopération qui contribue, lui aussi, au renforcement des compétences centrales et, par conséquent, à un affaiblissement de l’autonomie des entités périphériques.
Mais, en Europe, l'affaiblissement volontaire de la souveraineté des États membres ne s'est pas accompagné de la naissance d'une souveraineté politique au profit de l'Union européenne. Aucun peuple européen ne semble actuellement prêt à surgir de la décomposition qui travaille les sociétés européennes. Or, en démocratie, seul le peuple constitué en État est producteur de politique. Ce n’est pas à une fédération classique basée sur une constitution, un peuple et un État fédéraux qu’œuvre aujourd’hui l’intégration supranationale, mais à une fédération globale, désétatisée et post-politique, centrée sur le citoyen pourvu de droits individuels, opérant dans un espace économique et juridique aux frontières abolies ou relatives. L’Union n’est donc pas un « super-État » mais plutôt un laboratoire de la gouvernance. Ainsi et pratiquement, elle n’est pas titulaire de la souveraineté, ni donc de la compétence de sa compétence. Même si les traités contiennent des clauses générales de compétences – la clause de flexibilité (art. 352 TFUE), les clauses de marché intérieur (art 114 et 115 TFUE) -, énoncent de nombreux objectifs généraux de l’Union (article 3 TUE) justifiant la consécration de compétences implicites à son profit en recourant aux principes de l’effet utile ou de l’effet nécessaire du traité, ou encore multiplient les clauses passerelles, générale et spéciales, permettant, moyennant un vote à l’unanimité au Conseil et l’absence d’opposition des parlements nationaux, de faire basculer définitivement la procédure d’adoption concernant tel domaine, de l’unanimité vers la majorité qualifiée, de la procédure spéciale vers la procédure générale (codécision). Tout nouveau traité, à la disposition des seuls États agissant collectivement pourrait théoriquement renoncer à ces clauses d’« auto-révision ». À condition, certes, qu’ils s’entendent à l’unanimité des vingt-huit. L’Union ne dispose que d'attributions limitativement prévues par les traités même si ce principe d’attribution est relativisé par les objectifs à atteindre. La compétence de principe, c’est-à-dire la souveraineté, demeure entre les mains des États[9]. Le titre de la souveraineté des États membres de l’Union européenne reste nominalement préservé. Il l’est non seulement par la codification d’un droit individuel de retrait conditionné à la négociation d’un accord de retrait avec l’Union européenne[10] mais surtout par le principe d’attribution des compétences. L’Union européenne a pu conduire à fragmenter et partager les souverainetés nationales, il n'y a pas, pour autant, de souveraineté politique européenne à l’horizon.[11]. Citons encore ici la Cour constitutionnelle allemande pour qui l’Union demeure un « regroupement d’États à laquelle sont transférés des droits de souveraineté. La notion de regroupement renvoie à une association étroite et permanente d’États demeurant souverains, laquelle exerce des prérogatives de puissance publique sur le fondement des traités. Toutefois, les règles fondamentales de cette association sont à la disposition exclusive des États membres et les peuples, c’est-à-dire les citoyens des États membres demeurent les sujets conférant la légitimité démocratique »[12].
Comment concilier – ou réconcilier – le modèle actuel de construction européenne par l’intégration avec la légitimité démocratique ? Autrement dit, qu’en est-il du fameux « déficit démocratique »[13] de l’Union ? Du point de vue théorique, la difficulté procède, en effet, de ce que la gouvernance européenne – qui en soi suffit à beaucoup comme explication – mêle étroitement des légitimités différentes qui se croisent, se dédoublent et s’opposent. La Commission européenne et la Cour de Justice de l’Union sont indéniablement d’essence fédérale car supranationale, comme la Banque Centrale européenne. Elles sont surtout, et par nature, parfaitement apolitiques, en tant qu’elles appartiennent, du fait de leur statut, à la grande famille des autorités indépendantes peuplant le nouveau monde de la gouvernance managériale, qui émerge partout y compris à l’intérieur de chaque État. Une indépendance tant vis-à-vis des gouvernements que des parlements nationaux donc des peuples. Leur légitimité semble être celle de « l’Esprit, l’économie et les termes » du Traité, comme dit la Cour depuis les arrêts constitutionnels fondateurs de 1963-64, de cette « union sans cesse plus étroite » par l’intégration, les valeurs européennes et les quatre libertés de circulation (marchandises, capitaux, services, individus) qui forment sa « Constitution économique ». Elles sont tout aussi éloignées du regard de l’opinion publique car leur légitimité est purement technique et fonctionnelle. Les États membres ne peuvent, au mieux, que modifier à l’unanimité les traités pour arrêter ou rééquilibrer les pouvoirs. Le Conseil et le Conseil européen pratiquent plutôt, eux, le dédoublement fonctionnel. Même qualifiés d’institutions européennes, ils ne représentent la logique supranationale que lorsqu’ils statuent à la majorité qualifiée. En revanche, l’unanimité ou les différentes formes de consensus ou d’abstention constructive rendent à l’État son autonomie. Le modèle de gouvernance se complique encore en raison de la multiplicité des qualités dans lesquelles plusieurs de ces institutions interviennent. Le Conseil partage la fonction législative avec le Parlement européen dans l’hypothèse de la codécision avec le Parlement européen. Mais il peut aussi exercer seul cette fonction législative. La Commission cumule des pouvoirs législatifs (monopole de l’initiative), exécutifs (actes d’exécution) et de sanction (concurrence). Le Haut représentant de l’Union pour la PESC est sans doute la voix de l’Europe et le Vice-Président de la Commission européenne. Mais sa légitimité peut se réduire à peu de chose au sein d’un Conseil européen composé de chefs d’États et de gouvernement élus par leurs peuples respectifs. Il en va de même du Président permanent du Conseil européen. Quant aux gouvernements et à leurs responsables politiques les plus importants, ils expriment naturellement la légitimité procédant de leur élection nationale lorsqu’ils siègent au Conseil et au Conseil européen. Leur autonomie est réelle, surtout lorsqu’ils statuent à l’unanimité. Mais de retour dans leurs États respectifs, ils deviennent des exécutants ordinaires du droit de l’Union européenne soumis au contrôle du juge national, y compris du plus modeste dans la hiérarchie judiciaire.
Armel Pécheul et Christophe Beaudouin
Droit de la gouvernance de l'Union européenne - Institutions et ordre juridique"
(IS éditions, 2018)
(Extrait p.75 )
[1] Très exactement, il était prévu d’inscrire dans le Traité l’expression « mode fédéral d’exercice des compétences ». L’expression retenue fut « mode communautaire d’exercice des compétences ».
[2] Sur toutes ces tentatives de définition, voir J.L Quermonne, « La fédération d’États nations : concept ou contradiction », RFDC 2010, p. 677.
[3] Archives historiques de l’UE, Florence. M.Kohnstamm, MK-01 Travaux de la Haute Autorité de la CECA, conférence de Messine et constitution du Comité d’Action pour les États-Unis d’Europe.
[4] J. Monnet, Mémoires, Fayard, Paris, 1976, p.540 et p.755.
[5] Arrêt du 30 juin 2009, précité, notamment points I.2.bb, I.2.cc.
[6] Voir: O. Beaud, Déficit politique ou déficit de la pensée politique ? Le Débat n° 87, nov. Déc. 1995, Nation, fédération, quelle Europe ? pp. 44-49 ; voir aussi la notion d’Union fonctionnelle à finalité politique utilisée par V. Constantinesco, in Les noms de l’Europe « Des Communautés européennes à l’Union européenne », Mélanges Schwob, Bruxelles, Bruylant 1997, pp. 317-328
[7] T. Chopin, La République « une et divisible ». Les fondements de la fédération américaine, Plon, Paris, 2002, L. Le Fur, État fédéral et confédération d’États, 1896, Réédition Panthéon-Assas, L.G.D.J., Paris, 2000, p. 214 ; C.Grewe, H. Ruiz Fabri, Droits constitutionnels européens, PUF, Paris, 1995 ; F. Vergniolle de Chantal , « La Cour Rehnquist et le fédéralisme aux États-Unis: peut-on parler d’un projet néofédéral? », Revue Internationale de Droit Comparé, 3-2004, p. 571 F. Vergniole de Chantal, Fédéralisme et antifédéralisme,, Paris, PUF, 2005; F. E. Zoller, Les grands arrêts de la Cour suprême des États-Unis, Dalloz, Paris, 2010.
[8] Voir, par exemple, sur ce point : D. Mongoin, “Le Pari de la liberté, Études sur Le Fédéraliste”, Classiques Garnier 2012.
[9] F. Luchaire, in D. Maus et O. Passelecq, « Le Traité d’Amsterdam face aux constitutions nationales », Les Cahiers constitutionnels de Paris I, 1998, p. 108 et 109.
[10] Voir infra, n°70.
[11] En France, la souveraineté « réside », aux termes de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, dans la nation (souveraineté nationale), qui l’exerce à travers ses représentants (démocratie représentative) : « Toute souveraineté réside essentiellement dans la nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément » (article 3). Le Préambule de la Constitution de 1946, également intégré au bloc de constitutionnalité, indique, dans son alinéa 14, que « la République française (…) se conforme aux règles du droit international public ». L’article 15 du même préambule prévoit que : « sous réserve de réciprocité, la France consent aux limitations de souveraineté nécessaires à l’organisation et à la défense de la paix ». S'agissant de la Constitution de 1958, son titre I est intitulé « De la souveraineté ». Il évoque la souveraineté nationale dont « aucune section du peuple, ni aucun individu ne peut s’attribuer l’exercice ». Il est cependant moins question, ici, de la souveraineté de l’État que de la souveraineté de la loi. L’article 3 du texte de 1958 indique que la souveraineté appartient au peuple (souveraineté populaire) qui l’exerce directement (démocratie directe ou semi-directe) ou par l’intermédiaire de ses représentants. Enfin, l’article 88-1 dispose que « La République participe à l'Union européenne constituée d'États qui ont choisi librement d'exercer en commun certaines de leurs compétences en vertu du traité sur l'Union européenne et du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, tels qu'ils résultent du traité signé à Lisbonne le 13 décembre 2007 ». Sur l’exercice de la souveraineté, voir aussi : CC, n° 98.400 DC, 20 mai 1998, droit de vote des ressortissants de l’UE, JORF, 26 mai p. 8003 ; RFDA 1998, p. 571, note B. Genevois ; AJDA 1998, p. 485, note J.E Schoettl ; CC, n° 2012-653 DC du 13 juillet 2012.
[12] Arrêt précité du 30 juin 2009, C.I.c) bb.
[13] La formule « déficit démocratique » fut employée pour la première fois en juillet 1974, par le juge Pierre Pescatore qui s’exprimait devant la Faculté internationale de droit comparé et le Centre international d’études et de recherches européennes du Luxembourg. « Les exigences de la démocratie et la légitimité de la Communauté européenne », CDE, 1974, n° 5, p. 511. Elle est reprise dans l’Acte unique européen en 1987 et le Parlement européen y a consacré un rapport (PE DOC. A2-276/87 du 1er février 1988).