Trump a rencontré 500 milliards de dollars dans l'intelligence artificielle, une « claque » pour l'Europe

Martin Goujon

Trump a rencontré 500 milliards de dollars dans l’intelligence artificielle, une « claque » pour l’Europe

BRUXELLES — Les Etats-Unis viennent de donner le coup d’envoi d’une course à l’intelligence artificielle (IA) que l’Europe ne pourra pas suivre.

Le président américain Donald Trump a dévoilé mardi un projet d’un demi-milliard de dollars visant à construire l’infrastructure nécessaire, à commencer par un centre de données au Texas, pour asseoir la domination américaine dans ce secteur dans les années à venir.

Le niveau d’ambition laisse pantois en Europe, où les dirigeants politiques ont placé leurs espoirs dans l’IA afin qu’elle contribue à restaurer le leadership mondial du Vieux Continent.

« C’est plus qu’un signal d’alarme, c’est une claque », estime Christian Miele, associé commandité chez Headline, une société de capital-risque, qui investit dans la française Mistral AI.

La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a beaucoup mis en avant l’ambition de faire de l’UE un leader en matière d’innovation dans le domaine de l’IA, dans le cadre d’un effort plus large visant à permettre au Vieux Continent de rattraper les Etats-Unis et la Chine. Le président Emmanuel Macron prévoit de tenir un discours similaire lors d’un sommet mondial sur l’IA qui se tiendra à Paris le mois prochain.

L’ampleur du plan américain fait voler en éclats le projet de l’UE et révèle la volonté des Etats-Unis de ne pas se laisser distancer par la Chine. L’Europe — qui a déjà perdu la course sur les réseaux sociaux, le nuage et les puces — semblent déjà sur le point de prendre du retard sur l’IA.

Dans l’espace d’une semaine, les Etats-Unis ont adopté une position radicalement plus agressive sur l’intelligence artificielle, en restreignant l’exportation de leurs puces pour l’IA, en abandonnant un projet de réglementation de cette technologie et en lançant un programme d’investissement qu’un investisseur a comparé au projet Manhattan, le plan américain visant à produire une arme nucléaire dans les années 1940.

L’UE prévoit de favoriser le déploiement des infrastructures nécessaires à l’entraînement des modèles d’intelligence artificielle, dont ceux des concurrents européens du ChatGPT d’OpenAI.

En décembre, la Commission a sélectionné sept sites dans l’Union qui présentent des fonds pour construire des superordinateurs optimisés pour l’IA, ouverts aux start-ups et aux chercheurs pour entraîner leurs modèles.

Le montant total de cet investissement s’élève à 1,5 milliard d’euros, dont la moitié provient du budget de l’UE.

L’investissement de l’Union « n’est pas du tout du même ordre de grandeur par rapport à ce qui vient d’être annoncé aux Etats-Unis », constate Holger Hoos, professeur d’IA à l’Ecole supérieure polytechnique ( RWTH) d’Aix-la-Chapelle et président de CAIRNE, un réseau de laboratoires de recherche sur l’IA.

Cela montre que l’UE n’est pas assez ambitieuse, commente-t-il.

Le projet Stargate de Trump prévoit de déployer 100 milliards de dollars immédiatement, en s’appuyant sur des fonds privés et des associés qui prennent des parts au capital, comme la SoftBank japonaise. | Kazuhiro Nogi/AFP via Getty Images

Christian Miele abonde dans le même sens : « La pertinence stratégique de l’IA n’a pas encore été comprise au niveau politique. »

Le projet Stargate de Trump prévoit de déployer 100 milliards de dollars immédiatement, en s’appuyant sur des fonds privés et des logiciels associés qui prennent des parts au capital, comme la japonaise SoftBank, le pionnier de l’IA OpenAI, le géant du Oracle. et l’investisseur MGX. Le fabricant de puces britannique Arm et son concurrent américain qui produit des puces pour l’IA Nvidia sont des partenaires technologiques, tout comme Microsoft, qui travaille avec OpenAI, notamment en fournissant ses services de nuage Azuré.

L’UE n’a pas non plus d’entreprises leaders dans le domaine de l’IA capables de mobiliser des capitaux privés dans la même mesure.

« Nous n’avons pas les champions de la Big Tech dont disposons les Etats-Unis ; nous n’avons pas le luxe de pouvoir travailler avec eux pour mobiliser des capitaux privés», analyse Giorgos Verdi, chargé de mission au Conseil européen pour les relations internationales.

«Je ne vois pas, disons, Mistral être en mesure de mobiliser ce type de capacité d’investissement et de construire ces énormes centres de données sur l’IA», estime-t-il.

Fragmentés, les marchés financiers européens ont toujours été un obstacle pour les start-ups du Vieux Continent et les projets visant à les améliorer n’ont guère progressé jusqu’à présent.

L’énergie est un autre obstacle à la capacité de l’Europe à rivaliser avec les Etats-Unis en matière d’IA.

Les centres de données, en particulier ceux qui alimentent les technologies d’intelligence artificielle, sont gourmands en énergie. Le président Trump a adopté le slogan «perceuse bébé perceuse» («fore bébé fore») et a déclaré une «urgence énergétique nationale» pour stimuler la production de gaz et de pétrole.

En Europe, les prix de l’énergie ont grimpé en flèche à la suite de la guerre en Ukraine, et de nombreuses entreprises affirment que les coûts élevés les empêchent de rivaliser avec leurs concurrents internationaux.

«Le genre d’énergie qui sera nécessaire pour faire fonctionner des infrastructures à cette échelle sera insensé», prévient Christian Miele.

L’action des Etats-Unis pourrait encore secouer l’UE et l’inciter à prendre des mesures.

Lors d’un débat mercredi au Parlement européen, Ursula von der Leyen a désigné l’IA comme un « domaine stratégique » pour lequel sa Commission doit coordonner les investissements avec les gouvernements nationaux.

Les investisseurs, les lobbies de la tech et des start-ups, ainsi que les parlementaires européens ont exhorté Bruxelles à aller plus loin et à saisir l’occasion en mettant en place un plan global pour les infrastructures d’IA.

Pour France numérique, principal lobby français du secteur, proposant des « réformes structurelles » pour le financement de l’innovation semble « inévitable ».

L’eurodéputé finlandaise Aura Salla appelle à se pencher le plus rapidement possible sur les marchés de capitaux.

«Nous ne pouvons pas combler le déficit d’investissement avec des financements publics, nous devons attirer davantage d’investissements privés», affirme-t-elle.

La Commission a toute une série de propositions dans les cartons pour tenter de soulager certains de ses maux. Aucune d’entre elles n’implique de gros investissements.

La semaine prochaine, Ursula von der Leyen dévoilera une boussole pour la compétitivité, afin de montrer comment elle tentera de relancer l’économie. Il est également prévu d’instaurer un statut juridique unique pour les start-ups en Europe, le 28e régime (en référence aux 27 régimes actuels des Etats membres), afin de mettre fin à la mosaïque réglementaire actuelle.

Au-delà, les experts avertissent que l’UE pourrait rapidement être ramenée à la réalité quant à sa capacité à faire émerger des concurrents ambitieux face à OpenAI, et devrait plutôt opter pour des projets et des modèles plus petits.

« A quel moment voudrons-nous accepter la possibilité que nous ne soyons pas en mesure de concurrencer les Etats-Unis ? », s’interroge Giorgos Verdi.

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