Lucie qui ?
Le Nouveau Front populaire (NFP), parti de gauche français, a proposé comme candidat au poste de Premier ministre une technocrate municipale jusqu’alors inconnue, qui n’avait même pas de page Wikipédia avant que son annonce ne soit rendue publique.
Diplômée de l’École nationale d’administration (ENA), Lucie Castets, 37 ans, est depuis octobre dernier directrice financière de la Ville de Paris, après avoir occupé pendant dix ans des postes importants au sein de l’administration. Membre du Parti socialiste dans sa jeunesse, Lucie Castets s’est rapidement tournée vers le militantisme, à la tête d’un collectif de fonctionnaires œuvrant pour le service public.
Hormis un clip viral en 2022, où Castets s’est disputée avec le ministre de la Fonction publique de l’époque, Stanislas Guérini, au sujet de la dépendance du gouvernement aux cabinets de conseil, et quelques apparitions médiatiques sporadiques, elle est restée largement à l’écart du public.
C’est désormais la native de Caen qui se retrouve sous le feu des projecteurs. Dans une série d’apparitions médiatiques depuis qu’elle a reçu le feu vert du NFP, Castets a clairement fait savoir qu’elle entendait forcer la main de Macron pour la nommer.
Castets a annoncé mardi avoir accepté l’offre du NFP « en toute humilité mais avec beaucoup de conviction » peu après l’annonce de la coalition, positionnant sa candidature comme « crédible et sérieuse ».
Sa patronne, la maire de Paris Anne Hidalgo, a immédiatement adhéré à cette idée, louant ses compétences en matière de gestion budgétaire.
Le sénateur communiste Ian Brossat, qui a travaillé avec Castets dans son précédent rôle d’adjointe au maire de Paris en charge du logement, l’a décrite comme « plus qu’une simple technocrate compétente ».
« C’est une personne qui a une vision politique authentiquement progressiste et de gauche. Ce n’est pas juste quelqu’un qui se promène avec un fichier Excel ; elle a les valeurs nécessaires pour en faire bon usage », a-t-il déclaré à L’Observatoire de l’Europe.
Selon un sondage préliminaire d’Elabe, 41% des sondés estiment que Macron devrait nommer Castets à la tête du gouvernement, tandis que 58% ne sont pas d’accord. Le NFP a été soutenu par 28% des électeurs au premier tour des élections anticipées françaises.
Le rôle de Castets dans l’administration parisienne est critiqué, notamment en raison de l’augmentation de la dette de la ville, qui devrait atteindre entre 7,9 et 8,9 milliards d’euros d’ici 2026, contre 6,6 milliards d’euros fin 2020 selon un rapport de la Cour régionale des comptes. La Cour a exhorté la ville à mettre en œuvre « de nouveaux efforts de maîtrise des dépenses de fonctionnement » afin de garantir la « viabilité » des investissements publics parisiens.
Castets a réagi en soulignant que les problèmes d’endettement de Paris sont beaucoup moins préoccupants que ceux de l’État français, dont la dette est désormais la plus importante d’Europe, à 3.100 milliards d’euros.
« C’est un peu ironique d’entendre les leçons des personnes responsables de la dette de l’État français », a déclaré M. Castets dans une interview à la radio française mercredi.
Les opposants à la gauche française ont presque tous écarté Castets, considérant la proposition du NFP comme rien d’autre qu’un coup de relations publiques.
« Être Premier ministre n’est pas une promenade de santé, on ne peut pas improviser un travail parlementaire », a déclaré à L’Observatoire de l’Europe un poids lourd du parti centriste Renaissance, qui a bénéficié de l’anonymat pour s’exprimer en toute franchise, affirmant que le prochain Premier ministre viendrait probablement des rangs pro-Macron plutôt que de la gauche.
Julien Odoul, porte-parole du Rassemblement national (extrême droite), a déclaré que Castets ne serait « jamais » Premier ministre et a comparé l’attention médiatique actuelle portée à elle à de « l’air chaud ».
La tradition politique française veut que le président nomme, après les élections législatives, un Premier ministre issu de la coalition ou du parti majoritaire. Depuis la victoire surprise de la coalition de gauche aux élections anticipées de cet été, elle n’a cessé de répéter qu’elle devait avoir la possibilité de former un gouvernement.
Macron a résisté à ces appels, arguant que le NFP, bien qu’il ait terminé premier, ne dispose pas de la majorité parlementaire nécessaire pour gouverner efficacement.
Peu de temps après l’annonce de la candidature de Castets mardi, le président français a dans une interview rejeté ses chances de devenir Premier ministre et a réitéré son appel à une pause politique pendant les Jeux olympiques.
Macron, dont la coalition a perdu plus d’un tiers de ses représentants lors des élections anticipées, a réitéré son affirmation selon laquelle « personne » n’avait remporté le vote et semblait affirmer qu’un gouvernement Castets serait immédiatement renversé. La gauche contrôle 193 sièges à l’Assemblée nationale, ce qui la rendrait vulnérable aux votes de défiance.
« Il ne s’agit pas d’un nom donné par un parti politique », a déclaré Macron. « Il s’agit de savoir quelle majorité peut être construite à l’Assemblée nationale pour qu’un gouvernement français soit en mesure de faire passer des réformes, d’adopter un budget et de faire avancer la France. »
La pause olympique demandée par Macron pourrait cependant donner à Castets quelques semaines pour renforcer son dossier et faire pression sur le président français – d’autant plus que tous les dirigeants de gauche parlent désormais d’une seule voix et se rallient à elle.