C’était en septembre 2023. Emmanuel Macron annonçait la conversion à la biomasse, d’ici 2027, des deux dernières centrales à charbon français.
Un an plus tard, la décision unilatérale d’EDF d’abandonner le projet de reconversion de la centrale de Cordemais a confirmé ce que les acteurs du dossier pressaient depuis des mois : la promesse présidentielle ne sera pas tenue (et ne pouvait pas l’ être).
Dans chaque centrale concernée, le processus est, au mieux, mal embarqué. A Cordemais, EDF a enterré le projet porté par les salariés, visant à remplacer le charbon par des granulés de bois. Un millier d’emplois directs et indirects sont concernés. Mise devant le fait accompli à peine nommée ministre de la Transition écologique, Agnès Pannier-Runacher a demandé plus de garanties sur les emplois, entérinant de facto le renoncement et se faisant ainsi « la porte-parole d’EDF », fustige Gwénaël Plagne, secrétaire CGT du CSE central du groupe.
A Saint-Avold, en Moselle, GazelEnergie, propriétaire de la centrale, a mis cet été sur la table des options de passage à la biomasse ou au biogaz, et réclame depuis des mois une décision de l’Etat. Le contrat des salariés s’achève en avril.
L’engagement présidentiel de sortie du combustible est symbolique. Malgré les fermetures des centrales, l’essentiel du charbon brûlé dans le pays est utilisé pour la production industrielle — dont la métallurgie à 53 % — plutôt que pour l’électricité.
Mais il récupère aussi des enjeux de planification énergétique et de reconversion pour des territoires historiquement liés à des industries carbonées, avec un cortège de conséquences sociales en matière d’emplois et de compétences.
Au fil des mois, il est devenu un totem politique dont l’exécutif peine à se dépêtrer. A la faveur des questions au gouvernement, des lettres ouvertes et jusque dans les débats sur le projet de loi de finances, l’opposition rappelle régulièrement ce serment au bon souvenir du gouvernement.
Sur le papier pourtant, Emmanuel Macron avait trouvé une solution facile pour réconcilier deux engagements malmenés : la réindustrialisation et la sortie du charbon, d’abord escomptée en 2022.
L’année dernière, dans la foulée de la promesse présidentielle, tous les feux reflétaient au vert à Cordemais : l’Etat avait validé le projet ; le permis de construire était signé. Mais en 2024, les longs mois de flottement politique ont fini de bloquer une machine déjà grippée.
Car la solution vantée par Emmanuel Macron n’allait en réalité pas de soi.
Celle-ci s’est d’abord heurtée à un dilemme : les centrales biomasse ne sont pas totalement sevrées du charbon. A Saint-Avold, GazelEnergie affirme que seul un mélange mi-charbon, mi-granulés de bois est viable économiquement les premières années. Un problème pour l’État qui souhaitait afficher une sortie complète de la plus polluante des énergies fossiles.
Puis, la biomasse n’est pas aussi écologique qu’elle en a l’air. Brûler des granulés pose des enjeux de qualité de l’air, de faibles rendements et d’approvisionnement durable. Face aux concurrences entre les usages de la biomasse, le secrétariat général à la planification écologique, tout comme le cabinet Carbone 4 place la production d’électricité en bas des priorités.
L’équilibre économique n’est pas plus garanti. «Selon les filières d’approvisionnement et le nombre d’heures de fonctionnement dans l’année, ça peut coûter très cher», analyse Nicolas Goldberg, expert chez Colombus Consulting.
C’est d’ailleurs l’argument avancé par EDF pour jeter l’éponge à Cordemais. Et c’est aussi pour cette raison que GazelEnergie a travaillé à une option biogaz, en plus du scénario biomasse.
La pertinence de maintenir ces capacités de production fait elle-même débat.
Cordemais comme Saint-Avold ne fonctionne que quelques dizaines d’heures par an, pour soulager le réseau électrique lors des moments de tension en hiver.
EDF affirme que Cordemais n’est plus adapté à la nouvelle donne énergétique. Elle ne serait pas appropriée pour répondre aux photos de demande d’électricité, par exemple lorsqu’il fait froid mais pas assez venteux ni ensoleillé pour que les énergies renouvelables tournent à plein.
«Il nous faudra des installations capables d’être démarrées en moins de deux heures», expliquait le mois dernier Olivier Lamarre, directeur de la division thermique de l’énergéticien. « Cordemais accuse des délais de mobilisation de huit à vingt-quatre heures. »
«Quand on veut tuer son chien, on dit qu’il a la rage», persifle Thomas About, délégué CFDT à Saint-Avold. «Nos deux centrales ont été conçues pour ces photos de consommation, elles peuvent gérer des variations de charge en quelques dizaines de minutes.»
Dans ce débat, les détracteurs comme les partisans brandissent les scénarios du gestionnaire RTE à leur avantage.
Les premiers retiennent le passage indiquant que leur mise à l’arrêt « est possible et compatible avec le respect du critère de sécurité d’approvisionnement », par exemple en stimulant les moyens de flexibilité et de stockage de l’électricité.
Les secondes préfèrent le paragraphe suivant, qui précise que la prolongation ou la conversion de ces installations pilotables « offre une sécurité supplémentaire », notamment en cas d’indisponibilité du parc nucléaire, comme en 2022, ou de reprise de la consommation électrique.
La question est donc : la France veut-elle garder un filet de sécurité et à quel prix ?
L’argent, justement, est un autre facteur de blocage. RTE indique qu’en maintenant ou reconvertissant ces centrales, « la couverture de leurs coûts d’exploitation n’apparaît pas garantie ».
Les Français seraient dans les deux cas mis à contribution. A Cordemais, le projet repose sur l’apport de 85 millions d’euros maximum par l’Etat et la région. A Saint-Avold, GazelEnergie assure se financer lui-même. Mais l’énergéticien demande, pour être rentable, une réforme du mécanisme qui rémunère les centrales d’appoint, laquelle pèse in fine sur les factures d’énergie.
Cela fait beaucoup d’euros et de gigawattheures à négocier entre des acteurs qui ne se font pas toujours confiance.
A Cordemais, les syndicats jugent que leur employeur a toujours renâclé. « EDF a profité d’un trou d’air au gouvernement pour prendre une décision qui devrait être un choix politique », dénonce Gwénaël Plagne, de la CGT.
A Saint-Avold, les salariés sont, eux, échaudés par l’épisode de 2022. Alors que la centrale a été fermée et que les ouvriers ont été licenciés, ils ont été rappelés quelques mois plus tard, en catastrophe. La crise énergétique de 2022 et l’indisponibilité du parc nucléaire ont nécessité de rallumer la chaudière, pour sécuriser l’approvisionnement en électricité.
Les contrats s’arrêtent en avril et GazelEnergie met la pression sur les pouvoirs publics pour garantir l’avenir du site. Plusieurs interlocuteurs, qu’ils soient conseillers ministériels ou concurrents, estiment néanmoins que GazelEnergie ne joue pas franc jeu dans le dossier, et cherche surtout à capitaliser sur une centrale sur le point de fermer.
L’entreprise appartient au Tchèque Daniel Křetínský, qui a bâti sa fortune sur le gaz naturel et le charbon. Il s’est fait une spécialité de racheter au rabais des sites en fin de vie, le temps de faire un coup financier. De quoi susciter des doutes sur sa volonté de porter un projet pérenne en Moselle.
Une méfiance que balaie Camille Jaffrelo, porte-parole de GazelEnergie : « Le groupe est présent en France depuis cinq ans, nous avons été recapitalisés et nous avons investi plusieurs dizaines de millions d’euros pour des projets de territoire : on ne peut plus nous soupçonner de vouloir faire un coup d’État.
Depuis le remaniement, les rendez-vous s’enchaînent à nouveau au ministère de la Transition écologique, où Agnès Pannier-Runacher est familière de ces dossiers. Olga Givernet, ministre déléguée à l’Energie, a fixé la feuille de route pour ces projets : la « nature de la technologie utilisée », avec l’ambition d’aboutir sur un outil « vertueux », et « s’assurer que ces les centrales auront des modèles économiques viables (…) ce qui n’est pas le cas pour l’instant ».
D’éventuels investissements doivent être décidés rapidement pour atterrir en 2027. Le temps presse pour trouver un dénouement : soit un nouveau projet pour les sites concernés, soit la clé sous la porte.