BRUXELLES — Avant de faire une pause pour passer du temps avec sa famille, Ursula von der Leyen a transmis jeudi une lettre aux gouvernements nationaux de l’UE. La présidente de la Commission européenne leur demande d’envoyer les noms des personnes qu’ils souhaitent voir dans le prochain exécutif d’ici fin août.
Chaque paie en un. Ursula von der Leyen compte comme le choix de l’Allemagne et Kaja Kallas, soutenue par les dirigeants européens pour devenir la prochaine haute représentante aux Affaires étrangères, sera celle de l’Estonie (la HRAEPS est nommée par le Conseil européen, mais elle est vice-présidente de la Commission). La cheffe de l’exécutif européen demande à chaque pays de désigner un homme et une femme, sauf si le commissaire sortant reste en poste.
Avant que vous ne fermiez votre ordinateur pour aller à la plage, L’Observatoire de l’Europe fait le point.
Plusieurs gouvernements ont choisi d’éviter une bataille interne désagréable en renvoyant leur représentant actuel au Berlaymont, le siège de la Commission. Après tout, leur expérience et leur relation personnelle avec von der Leyen pourraient leur permettre d’obtenir un meilleur portefeuille.
Maroš Šefčovič (Slovaquie) et Valdis Dombrovskis (Lettonie) par exemple, connus pour être deux personnes faibles, ajouteront à leur CV cinq années supplémentaires à la Commission. Il en va probablement de même pour Dubravka Šuica (Croatie), bien qu’elle n’ait pas encore été désignée par son gouvernement. Le commissaire néerlandais Wopke Hoekstra, qui a intégré l’exécutif européen en octobre pour remplacer le tsar du climat Frans Timmermans, revient pour une demi-décennie de plus, bien que son parti ne soit plus au gouvernement néerlandais.
On ne sait pas encore si les dirigeants français et grecs décideront de renvoyer leurs commissaires actuels, Thierry Breton et Margarítis Schinás.
De plus en plus de pays ont commencé à avancer des noms, avant même que von der Leyen n’envoie sa demande officielle.
L’Espagne espère un grand portefeuille sur l’énergie et le climat pour sa ministre de la Transition écologique Teresa Ribera, d’autant qu’elle sera probablement la socialiste ayant le rang le plus élevé dans la prochaine Commission.
La Suède envoie sa ministre des Affaires européennes Jessika Roswall ; la Finlande, l’eurodéputée et ancienne ministre Henna Virkkunen ; la Slovénie, l’ancien président de la Cour des comptes Tomaž Vesel ; l’Irlande, le ministre des Finances Michael McGrath ; et la République tchèque, le ministre de l’Industrie et du Commerce Jozef Síkela.
Une grande partie du puzzle reste encore inconnue, même si le moulin à rumeurs fonctionne en plein régime à Bruxelles. De plus en plus de pays vont dévoiler leurs noms dans les semaines à venir.
Jusqu’à présent, personne n’a présenté publiquement deux candidats, comme cela avait été demandé. Mais les dirigeants européens sont bien conscients qu’Ursula von der Leyen souhaite une Commission respectant la parité femmes-hommes. L’Allemande a été la première à mettre en place un exécutif européen appliquant cette règle en 2019 et souhaite réitérer cet exploit cette fois-ci.
Dans certains cas, il y aura des marchandages en coulisses, à la fois sur les noms et les portefeuilles, avant que quoi que ce soit d’officiel ne soit publié, afin d’éviter de publiquement porter préjudice à un candidat qui pourrait être rejeté. .
Dans d’autres cas, la bataille a lieu au sein d’un même pays entre responsables politiques nationaux. En Lituanie, le Premier ministre et le président se disputent ouvertement sur le candidat. En Pologne, la lutte se déroule à huis clos. En outre, des pays, comme la Bulgarie et la Belgique, sont en train d’anciens de nouveaux gouvernements, rendant difficile le choix d’un nom.
Ce n’est un secret pour personne que la France envisage un superportefeuille économique pour orienter la politique industrielle de l’Union face à la concurrence des Etats-Unis et de la Chine — éventuellement en supervisant des domaines qui sont les points forts de Bruxelles, à savoir le commerce et la concurrence.
Mais l’Italie se démène également pour ce rôle. Une question cruciale est de savoir si von der Leyen décide d’obtenir les faveurs de la dirigeante d’extrême droite Giorgia Meloni en offrant un poste de haut rang pour un Italien de son camp, ou si elle lui laisse le nouveau portefeuille, Méditerranéen, plus symbolique.
L’élargissement sera un portefeuille de premier plan, car les négociations sur l’adhésion de l’Ukraine à l’UE constitueront l’une des tâches les plus délicates de la Commission sur le plan politique.
Le poste de commissaire à l’Agriculture est également à surveiller, compte tenu du rôle prépondérant de l’Union dans le secteur agricole et alimentaire. C’est aussi un poste qui montre à quel point il est difficile de construire un exécutif équilibré sur le plan politique. Le Luxembourgeois Christophe Hansen, du Parti populaire européen (centre droit), a émergé comme premier choix dans ce domaine, le camp socialiste semblant avoir abandonné tout espoir de voir leur tête de liste de la campagne et actuel commissaire luxembourgeois, Nicolas Schmit, effectuer un nouveau mandat.
Ursula von der Leyen cherchera à nommer un commissaire chargé de la Méditerranée. Si l’intitulé peut sembler amusant, le poste sera probablement difficile, entre l’immigration et la situation précaire en matière de sécurité au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Chypre a déjà manifesté son intérêt pour ce poste.
Il y a également la perspective d’un commissaire à la Défense, qui a suscité un certain enthousiasme au départ, jusqu’à ce que les candidats se rendent compte du peu de pouvoir de l’UE dans ce domaine. Pendant un certain temps, les spéculations se sont concentrées sur le ministre polonais des Affaires étrangères Radosław Sikorski, jusqu’à ce qu’il se retire lui-même. La Pologne est parfois citée comme candidat probable au poste de commissaire à l’Elargissement, étant donné le soutien de Varsovie à Kiev. Mais ce rôle pourrait soulever des problèmes épineux de politique intérieure, les agriculteurs polonais n’étant pas très enthousiastes à l’idée d’intégrer l’énorme secteur agroalimentaire ukrainien dans l’Union.
C’est à von der Leyen de décider. Elle doit tenir compte de l’équilibre entre les femmes et les hommes, les partis politiques et les zones géographiques. Les dirigeants européens vont (et l’ont déjà fait, en échange de leur soutien à l’Allemande au Conseil européen) marchander les portefeuilles, dans l’espoir de s’assurer un poste important.
Il sera difficile de trouver suffisamment de femmes. Ainsi, les pays qui présenteront une candidate auront un avantage sur ceux qui enverront un homme. Ursula von der Leyen a également fait savoir aux dirigeants européens qu’elle souhaitait des commissaires expérimentés et compétents, idéalement dotés d’une expérience de direction dans leur pays d’origine.
Les capitales européennes ont jusqu’à la fin du mois d’août pour transmettre leur choix. La présidente de la Commission débutera les entretiens avec les (nouveaux) candidats à partir de la mi-août, après quoi elle commencera à assembler toutes les pièces du puzzle.
Parallèlement, les devoirs qui devront faire les prochains commissaires sont en cours de préparation. Les orientations politiques que von der Leyen a dévoilées avant son vote de confirmation au Parlement — essentiellement son plan pour les cinq prochaines années — constitueront la base des lettres de mission qui seront envoyées aux nouveaux membres de l’exécutif, précisant ce que l’on attends d’eux.
Une fois le travail de l’Allemande achevé, ce sera au Parlement européen de cuisiner les nouveaux commissaires lors des auditions qui devraient avoir lieu à la fin du mois de septembre et en octobre. Les eurodéputés peuvent rejeter des candidats, et ils aiment montrer les muscles en en retoquant quelques-unes. Dans ce cas, le pays concerné devra désigner un nouveau candidat. En 2019, les premiers commissaires français, roumains et hongrois ont été rejetés.
Les responsables de l’UE espèrent que la nouvelle Commission européenne sera en place le 1er novembre.
Cet article a d’abord été publié par L’Observatoire de l’Europe en anglais et a été édité en français par Jean-Christophe Catalon.