Pourquoi le gouvernement pourrait s'asseoir sur 10 milliards d'euros

Martin Goujon

Pourquoi le gouvernement pourrait s’asseoir sur 10 milliards d’euros

PARIS — L’ascension de « l’Himalaya budgétaire » par François Bayrou risque d’être semée de crevasses juridiques.

A la recherche de recettes pour redresser les comptes publics, le nouveau Premier ministre devrait s’inspirer du projet de loi finances élaboré par Michel Barnier ou même le remettre à l’agenda — car le texte existe toujours au Parlement.

Les mesures phares du budget 2025 version Barnier, l’impôt exceptionnel sur les bénéfices des grandes entreprises et la contribution différentielle sur les hauts revenus avaient trouvé un consensus relatif au Parlement. Ces deux idées devaient rapporter 10 milliards d’euros à l’Etat.

Elles pourraient finalement ne pas pouvoir s’appliquer aux bilans des grosses boîtes et aux feuilles d’impôt des ménages fortunés cette année, à cause de la censure et de l’impossibilité, faute de temps, de voter une loi de finances avant le 31 décembre.

« Il y a un vrai risque juridique sur la surtaxe pour les grandes entreprises et sur la fiscalité sur les hauts revenus, c’est le grand paradoxe dont personne ne parle », regrette le député Jean-René Cazeneuve (EPR). D’après l’ancien rapporteur général du budget, « sauf exception », il serait « très difficile » d’appliquer un impôt en 2025 sur les revenus de 2024, sans l’avoir voté en 2024.

La surtaxe des 440 plus grandes entreprises générant plus de 1 milliard d’euros de chiffre d’affaires, tolérée à contre-cœur par le patronat, était censée rapporter 8 milliards d’euros. Quant à la contribution visant à assurer une imposition minimale de 20 % des plus hauts revenus, elle devait remplir les caisses de l’Etat de 2 milliards d’euros.

Pour l’instant loin des préoccupations politiques du moment, cette potentielle perte sèche de recettes pourrait enflammer les débats, à l’image de la bataille sur l’indexation du barème de l’impôt sur le revenu dans la loi spéciale.

Cette crainte est partagée par Philippe Brun, qui s’était inquiété en commission des Finances du fait que « la petite rétroactivité (…) ne (lui semblait) pas pouvoir s’appliquer ». Le député socialiste avait plaidé, peu après la censure, pour faire voter ces impôts dès la fin de 2024 pour en permettre l’exécution en 2025.

L’analyse est néanmoins contestée par d’autres poids lourds de la commission, sondés par L’Observatoire de l’Europe.

Pour son président, ces impôts pourraient être validés, même si « cela mériterait d’être approfondi », anticipe Eric Coquerel (LFI). Réponse plus affirmative de la part du rapporteur général du budget, Charles de Courson (Liot), pour qui la perception de ces prélèvements, même votés tardivement, ne poserait pas de problème.

Pourtant, aucun projet de loi de finances n’ayant été adopté au cours de l’année, la publication, même dès janvier, du budget 2025 « poserait des difficultés sur le terrain de la rétroactivité des recettes fiscales », a analysé le secrétariat général. du gouvernement dans une note élaborée cet été.

L’instance rattachée à Matignon, dont le conseil juridique au gouvernement est l’une des principales missions, n’a pas produit d’analyse absolue et récente sur le sujet — qui est également surveillée de près par la direction de la législation fiscale de Bercy.

Interrogé, le ministère des Comptes publics confirme avoir identifié le risque. Chargé des affaires courantes depuis la censure, le cabinet de Laurent Saint-Martin affirme toutefois ne pas pouvoir plancher sur la question.

Le Conseil constitutionnel, qui sera inévitablement amené à se prononcer sur le prochain budget, tolère qu’une loi de finances votée fin décembre s’applique aux revenus perçus au cours de l’année. C’est ce que les experts appellent la « petite rétroactivité fiscale ».

En revanche, la « grande rétroactivité fiscale », celle qui concerne l’entrée en vigueur d’un impôt après le 31 décembre, est envisageable, mais seulement si elle poursuit un motif d’« intérêt général suffisant ».

Un motif qui pourrait éventuellement invoquer le Parlement dans un contexte impérieux de redressement des finances publiques.

Par le passé, les Sages de la Rue de Montpensier ont aléatoirement validé ou retoqué certaines mesures fiscales rétroactives votées par le législateur. Toutefois, ils considèrent que mobiliser le motif financier pour justifier le motif d’intérêt général suffisant ne peut être qu’exceptionnel.

Pour l’instant, l’absence de loi de finances ne veut pas dire que les entreprises passeront préalablement entre les gouttes d’une surtaxation.

« Il y a certes beaucoup d’incertitudes, mais l’ardoise 2024 ne s’efface pas par magie et le déficit ne s’efface pas, il est donc assez illusoire de penser que ce ne sera pas déféré d’une manière ou d’ une autre », prévient, lucide, une dirigeante d’une grande fédération professionnelle.

En outre, les spécialistes des arcanes budgétaires connaissent la capacité de Bercy à redoubler de créativité en matière fiscale, surtout face à des circonstances exceptionnelles.

« L’administration, qui adore brouiller les choses, s’engouffrera dans les jurisprudences du Conseil constitutionnel », parie un haut fonctionnaire de Bercy.

En ce qui concerne l’impôt sur les sociétés, « il ya de toute manière plein d’entourloupes pour pouvoir avoir l’argent en 2025 », affirme un ancien cadre de la direction de la législation fiscale.

D’après ce haut fonctionnaire, qui n’est pas autorisé à s’exprimer publiquement, « il suffit par exemple de faire un acompte de 100 % sur la surtaxe due au titre de 2025 et, au lieu d’attendre la fin de l’année 2025 ». ‘exercice, on décide qu’il est calculé sur le résultat de 2024”.

« Le problème de tout ce qu’il se passe, c’est qu’on est en train de défricher totalement certaines choses qui sont quasi inédites », conclut Eric Coquerel.

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