PARIS — « Vérifiez votre majorité en 30 secondes ». Le message est apparu en décembre sur le site pour adultes Tukif.porn — le site miroir de Tukif.com, bloqué par la justice en octobre pour ne pas avoir respecté la loi sur les violences conjugales en vérifiant l’âge de ses visiteurs.
Pour les aider à se mettre en conformité, le régulateur, l’Arcom, a publié un référentiel, listant les solutions techniques acceptables. La date limite est fixé au 11 janvier. Et visiblement, les sites pour adultes ont décidé de jouer à la montre.
«Ils ont déjà la technologie pour se conformer au référentiel, ils attendent juste le dernier moment», lâche auprès de L’Observatoire de l’Europe un prestataire de solutions.
Dans moins d’un mois, cliquez sur un bouton promettant qu’on est majeur ne suffira plus. Il faudra choisir entre plusieurs options, comme prendre un selfie ou une photo de sa carte d’identité. Chaque site aura aussi l’obligation de proposer au moins une solution de vérification d’âge « en double anonymat », préservant la vie privée — en bref, le vérificateur d’âge ne sait pas pourquoi l’information est demandée et le site ne ne connaît pas l’identité complète de l’utilisateur.
La vérification de l’âge via une carte de crédit est également tolérée, mais seulement pour une période transitoire de trois mois.
Le hic : les solutions sont multiples et aucune labellisation n’est prévue par l’Arcom pour permettre aux sites de s’y retrouver dans la jungle des prestataires. «C’est un vrai problème pour les sites, notamment internationaux, qui ont du mal à faire le tri, perdent parfois du temps à travailler avec un fournisseur qui ne fait pas de double anonymat», s’agace un fournisseur.
Parmi les « offres » de solutions, on trouve AnonymeAge, qui outille désormais Tukif.porn, l’application 18Connect proposée par La Poste, le britannique Yoti, ou encore la start-up française Opale.io. Cette dernière se positionne en intermédiaire entre les sites pour adultes et les vérificateurs d’âge, pour proposer une gamme élargie de méthodes tout en garantissant le fameux double anonymat.
A l’approche du 11 janvier, les fournisseurs ont activement démarché les sites pornographiques et inversement. Selon les informations de L’Observatoire de l’Europe, de nombreux contrats sont déjà signés ou sont en passe de l’être. «Nous avons beaucoup de discussions commerciales et contractuelles en cours», glisse Candice Dauge, directrice de l’identité numérique de La Poste, sans donner les noms de ses futurs clients.
Pour faire leur choix, les sites doivent trouver un subtil équilibre entre fiabilité, simplicité d’usage, respect de la vie privée et coûts des solutions.
« Le double anonymat, c’est au moins trois fois plus cher », confie un fournisseur, qui se garde bien de préciser ses tarifs. Un site pornographique nous indique qu’il devra débourser près « d’une centaine de milliers d’euros » à l’année.
Sans surprise, les sites payants comme Dorcel et MYM sont plus enclins à se mettre en conformité. Déjà, parce que chaque utilisateur rapporte plus, ce qui justifie le coût du contrôle de son âge. Ensuite, parce que les utilisateurs devraient être moins réticents : ils fournissent déjà leurs coordonnées bancaires et certaines informations personnelles.
A l’inverse, les sites gratuits — les « tubes », dans le jargon — mettent sur un nombre élevé de visiteurs qui, pris individuellement, rapportent peu. Il suffit d’un clic pour y accéder, sans avoir à s’inscrire ni à concéder d’informations personnelles. Pour ces « tubes », la vérification de l’âge est donc plus coûteuse. Surtout, elle risque de se souder par un exode important de leurs visiteurs.
«Dès lors qu’il faut installer une application pour vérifier son âge, pour le double anonymat, il ya un risque important de perte d’utilisateurs», confirme un acteur de l’industrie porno.
Reste que l’Arcom ne devrait pas se vir dès le 11 avril. L’objectif est en effet de laisser le temps aux sites récalcitrants de s’approprier leurs nouvelles obligations. Les sites devront faire réaliser des audits de leurs solutions pour prouver leur bonne foi à l’Arcom, « au bout de six mois, puis une fois par an » détaille un porte-parole de Dorcel.
Il ne reste plus qu’à découvrir qui seront les bons élèves de la régulation.