Mujtaba Rahman est le responsable de la pratique européenne du groupe Eurasia. Il tweete à @Mij_Europe.
Sous la direction du Premier ministre hongrois Viktor Orbán, un nouveau groupe eurosceptique d’extrême droite – les Patriotes pour l’Europe – est devenu le troisième plus grand bloc du Parlement européen.
Le succès de l’initiative d’Orbán est un exploit remarquable. Le dirigeant hongrois a réussi à réorganiser l’extrême droite européenne autour de sa propre image et de celle de son parti, le Fidesz, relégué dans le désert politique après avoir quitté le groupe de centre-droit du Parti populaire européen en 2019.
La création du groupe Patriotes montre qu’Orbán est beaucoup moins isolé qu’on ne le pensait au départ, et qu’il est capable de construire une coalition d’alliés partageant son objectif stratégique – créer « une Europe des États-nations ». Cela suggère que les groupes d’extrême droite de l’UE sont plus que jamais en phase avec cette vision. Et ils représentent un défi direct au populisme plus pragmatique prôné par le Premier ministre italien Giorgia Meloni.
Orbán a consolidé son alliance avec le Rassemblement national français, le plus grand parti d’extrême droite du continent, malgré son échec à obtenir la majorité aux élections anticipées du pays. De même, le Parti de la liberté (PVV) néerlandais de Geert Wilders, ancien groupe d’extrême droite du Parlement, Identité et démocratie, a rejoint les Patriotes après avoir remporté les élections néerlandaises de l’année dernière et être entré pour la première fois dans un gouvernement de coalition.
Cependant, cette consolidation ne modifiera pas réellement l’équilibre des pouvoirs au sein du Parlement et il est peu probable qu’elle affecte de manière significative l’élaboration des politiques de l’UE, du moins à court terme.
Les partis centristes pro-UE ont conservé une majorité importante à Bruxelles. Aux côtés des Verts, ils ont largement obtenu suffisamment de voix pour reconduire la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen pour un second mandat, ainsi que pour soutenir ses priorités législatives par la suite.
Les Patriotes resteront donc dans l’opposition, avec une capacité limitée à influencer le processus législatif de l’UE. La taille du groupe lui permettra d’obtenir davantage de financement, de visibilité et de visibilité dans les débats parlementaires, mais il lui sera refusé toute représentation significative dans les organes de direction du Parlement, comme par exemple la présidence des commissions.
Toutefois, les défis à moyen terme sont beaucoup plus préoccupants.
Comme nous l’avons déjà mentionné, les Patriotes représentent un défi direct à la « troisième voie » du populisme constructif de Meloni. Le groupe des Conservateurs et Réformistes européens (ECR) qu’elle préside ne fusionnera pas avec les Patriotes. Et ses deux principaux membres — le parti de Meloni, les Frères d’Italie, et le principal parti d’opposition polonais, Droit et Justice — ont refusé de rejoindre Orbán.
Pour l’heure, Meloni va donc continuer à se situer à cheval entre l’extrême droite et l’establishment européen, tout en gardant ses options ouvertes. Ses députés présentent désormais le CRE comme un pont entre les deux camps. Et le fait que l’avance du Rassemblement national ait été freinée au second tour des élections législatives françaises lui a donné une raison supplémentaire de patienter et de continuer à travailler de manière constructive avec Bruxelles, Berlin et Paris pour faire avancer les priorités de l’Italie.
Mais l’ECR est Le parti a perdu du terrain. Ses ambitions de devenir le troisième groupe parlementaire ont été contrariées. Et malgré une relation forte avec les Frères d’Italie, le parti espagnol Vox a rejoint les Patriotes.
De plus, grâce au soutien des Verts, von der Leyen sera désormais moins dépendante du président italien, ce qui explique en partie pourquoi elle s’est abstenue de voter lors de la décision du Conseil européen de prolonger le mandat du président allemand. Il s’agissait pour elle de réaffirmer son importance et d’établir une certaine influence sur von der Leyen à l’avenir.
En effet, au fil du temps, les changements dans l’équilibre des pouvoirs au sein du Conseil – le véritable siège du pouvoir dans l’UE – risquent de s’avérer plus importants.
Actuellement, les Patriotes ne contrôlent qu’un seul siège au Conseil, celui d’Orbán. Ils ont également une influence indirecte sur deux autres sièges, les Pays-Bas et l’Italie, où le PVV et le parti d’extrême droite La Ligue sont partenaires dans les coalitions au pouvoir dans leurs pays respectifs et peuvent donc exercer une certaine influence sur le gouvernement.
Le nombre de Patriotes au Conseil est toutefois susceptible d’augmenter au fil du temps, car plusieurs élections nationales prévues dans les mois et années à venir ont de bonnes chances de voir naître davantage de gouvernements d’extrême droite. Par exemple, des élections doivent avoir lieu en Autriche en septembre, où le Parti de la liberté d’extrême droite est en tête des sondages, et en République tchèque à l’automne prochain, où le parti nationaliste Action des citoyens mécontents de l’ancien Premier ministre Andrej Babiš est fermement en tête.
Ainsi, alors que les partis d’extrême droite continueront de lutter contre leurs divisions internes sur la politique à mener, et que von der Leyen sera toujours en mesure de gouverner depuis le centre, les résultats de plusieurs élections nationales pourraient bien donner au groupe une plus grande représentation. Et cette évolution risquerait de saper la cohésion de l’UE dans des domaines clés, notamment le budget de l’UE, l’élargissement et la politique étrangère – en particulier en ce qui concerne l’Ukraine.
L’UE a jusqu’à présent trouvé des moyens de contourner les vetos répétés d’Orbán sur l’Ukraine, en usant de persuasion et de pressions financières. Mais un groupe plus large et plus déterminé de gouvernements réticents serait beaucoup plus difficile à contenir.
Mais ce n’est pas gagné d’avance. Meloni a continué à soutenir Kiev. Le Premier ministre populiste slovaque Robert Fico n’a pas donné suite à ses critiques sur l’aide militaire à Kiev et n’a pas opposé son veto. Il en va de même pour le PVV néerlandais, qui a modéré sa position après avoir accepté de maintenir le soutien de La Haye à l’Ukraine dans le cadre d’un gouvernement de coalition de centre-droit.
Il est possible que d’autres partis d’extrême droite proches de la Russie soient également cooptés. Mais le risque de voir la cohésion européenne compromise – surtout si l’ancien président américain Donald Trump remporte l’élection présidentielle de novembre – est désormais clairement en hausse.