Marie-Noëlle Battistel, la députée toujours en quête de concessions de Bruxelles

Martin Goujon

Marie-Noëlle Battistel, la députée toujours en quête de concessions de Bruxelles

PARIS — Marie-Noëlle Battistel est une femme pugnace. La députée socialiste est ainsi : elle préfère aller loin que vite. Que ce soit pour sa mission actuelle sur les barrages hydroélectriques ou pour son autre passion, la moto.

C’est d’ailleurs pour cela qu’elle a remisé sa BMW R 1 200 RT. Une monture pratique pour se faufiler dans les cols des montagnes iséroises — sa terre d’élection — mais dont la vitesse aurait pu la pousser à la faute. «Je prends énormément de risques», se rappelle-t-elle.

La socialiste avance à son rythme. Sur le dossier des barrages hydroélectriques, elle balise le chemin depuis plus de quinze ans : elle a rédigé un premier rapport d’information en octobre 2013. Le problème est simple : la France n’a pas vraiment envie d’ouvrir ses barrages — principalement sollicitée par EDF — à la concurrence.

«La mise en concurrence propose ni plus ni moins que de réduire à néant le fruit d’un siècle de politiques industrielles et énergétiques cohérentes», tranche la députée, dans son rapport cosigné avec Eric Straumann (LR), qui propose déjà à l’ époque de nombreuses pistes, non suivies d’effets.

Si ses solutions sont consensuelles en France, elle doit maintenant convaincre la Commission européenne, là où tout se joue, là où il faut débloquer les vieux contentieux qui paralysent le développement de l’hydroélectricité en France.

Après une première visite fin novembre 2024 auprès de plusieurs directions de la Commission, le député compte revenir mi-janvier pour rencontrer les commissaires désormais en place. Ele veut plaider pour que les ouvrages soient cédés aux énergéticiens opérateurs — le régime dit d’autorisations — ou pour que l’hydroélectricité soit reconnue comme une exception dans la directive européenne sur les concessions.

Pour déblayer le terrain, Roland Lescure avait suggéré et installé une mission parlementaire au début de l’année 2024. Les membres de sa mission — réinstallée après la dissolution et copilotée avec le MoDem Philippe Bolo — ne veulent pas voir les opérateurs historiques soumis au “ dogme » de la concurrence, Dixit Battistel. C’est peu dire qu’EDF et Engie (le premier exploite plus de 70% du parc français et le second le reste via ses filiales) relèvent.

A échanger avec elle autour d’un thé à l’Assemblée nationale, on ne voit guère ce qu’elle pourrait lâcher à Bruxelles, quel pas elle serait prête à faire. Il faudra pourtant en faire quelques-uns pour souder ce vieux conflit. «Le pas vers la Commission, on est en train de l’écrire», assure-t-elle, énigmatique.

De nouveaux acteurs pourraient-ils prendre une part du gâteau ? La députée serait « très ouverte » à ce qu’ils opèrent de nouvelles concessions, confie un acteur européen, qui reconnaît que « c’est résiduel en termes de volumes » et qui n’est pas sûr que cela suffise à calmer la Commission.

A Paris, le sujet des concessions hydrauliques est placé assez haut sur la pile des ministres qui se succèdent à l’Energie ces dernières années. En son temps, Olga Givernet, ministre déléguée pendant l’automne, avait reçu le duo Battistel-Bolo. La députée en était ressortie avec l’impression d’avoir les mains relativement libres pour discuter avec la Commission avant d’avancer une proposition de loi — en février sans doute. Une aubaine de utiliser à une parlementaire avec les valses ministérielles actuelles.

En l’absence de loi, et de solution, la situation est « dramatique », juge Marie-Noëlle Battistel. Sans renouvellement des concessions, les opérateurs se contentent de les maintenir en état de marche. «On ne permet pas le développement des installations hydroélectriques», s’agace-t-elle, citant notamment l’impossibilité d’investir dans de nouveaux ouvrages et de construire davantage de Step, qui permettent de stocker l’électricité en pompant l’ eau dans des réservoirs.

La France aimerait augmenter la puissance de ces réservoirs en ajoutant, d’ici 2035, 1,7 gigawatt aux 4,9 existants. Avec leurs capacités de stockage, ces stations permettrontient d’apporter de la flexibilité au réseau, et notamment de réguler l’intermittence et les excédents dus aux renouvelables.

Il y a urgence : au 31 décembre 2025, selon la Cour des comptes, 61 concessions sur plus de 340 seront échues. Ce nombre continue « d’augmenter rapidement ensuite », poursuit le rapport.

Vu de Bruxelles, le sujet est « une niche », « personne n’en parle », regrette l’élue iséroise. « Pour la Commission, il n’y a pas le feu au lac, on ne sent pas l’urgence de régler cela », confirme l’eurodéputé Christophe Grudler (Renew).

Ce Français, spécialiste de l’énergie au Parlement européen, a été auditionné le 10 décembre par la mission Battistel-Bolo. Il décrit la situation actuelle comme « une veillée d’armes » entre la France et la direction générale de la concurrence, et appelle Bruxelles à mettre « un peu d’eau dans son vin ». Sollicitée, la Commission ne souhaite pas commenter le travail de Marie-Noëlle Battistel et se borne à évoquer des contacts en cours avec la France.

Sur ce dossier des barrages, « il est très rare qu’on puisse faire une phrase sans ajouter avant ou après le nom de Battistel », note un acteur du dossier, qui ajoute que la députée est la «Deus ex machina» du dossier. En France, politiques et énergéticiens parlent volontiers de la socialiste de façon assez élogieuse, peut-être parce qu’elle a une partie des clefs entre les mains.

« Elle est la figure de proue dans la lutte contre la privatisation », lance son collègue André Chassaigne (PCF).

Emmanuelle Verger, directrice d’EDF hydro, décrit une élue impliquée, connaissant « le dossier sur le bout des doigts, une véritable experte ». Du côté d’Engie, on dépeint une députée travailleuse, facile d’accès et ne privilégié pas les intérêts du principal acteur au détriment du second.

Seul le député Nicolas Meizonnet (RN), lui aussi membre de sa mission, s’est aventuré à moquer sa longévité sur le dossier, pour le moment stérile, en la comparant à un « cheval extrêmement bien entraîné, mais qui refuse de sauter l ‘obstacle ».

Rien ne prédestinait cette élue à devenir le spécialiste des barrages du personnel politique. Elle n’est pas ingénieure, a travaillé dans des associations mélangeant le sport, la culture et l’enfance avant de diriger une entreprise de transport. C’est la géographie qui a décidé pour elle.

Elle est élue en 1998 maire de La Salle-en-Beaumont, commune du massif des Ecrins. Assez rapidement, elle voit une dizaine d’années plus tard des demandes de rendez-vous atterrir sur son bureau au sujet du barrage du Sautet. Ce dernier, situé dans son intercommunalité et exploité par EDF, voit sa concession arriver à échéance. Les énergéticiens Vattenfall (Suède), Alpiq (Suisse), Statkraft (Norvège) s’y intéressent. L’élue tique devant tant d’empressement.

« Qu’est-ce que c’est que ce truc ? se demande-t-elle alors. Elle n’avait pas fait attention à la promesse du ministre de l’Ecologie Jean-Louis Borloo, celle de possibles mises en concurrence qui a attiré de nombreux opérateurs en France, rapidement déçues. Très vite, elle se forge une conviction : « On ne peut pas se défaire de ce patrimoine. »

Le barrage du Sautet reste finalement chez EDF. La députée de l’Isère se plonge dans le dossier et trouve en 2012 un point d’appui avec la ministre de l’Ecologie Delphine Batho. La promesse de Jean-Louis Borloo est enterrée et l’opposition à la mise en concurrence est désormais partagée sur tous les bancs, des communistes aux LR, en passant par le RN.

Il reste donc une étape pour la députée française : se rendre au plat pays, comme le chantait Brel, et plaider la cause de la montagne et de ses barrages.

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