Macron prévient que l'Europe "peut mourir" dans un discours alarmiste sur le protectionnisme et les menaces géopolitiques

Martin Goujon

Macron prévient que l’Europe « peut mourir » dans un discours alarmiste sur le protectionnisme et les menaces géopolitiques

PARIS — Le président français Emmanuel Macron a averti jeudi que l’Europe risquait de disparaître si elle ne prenait pas des mesures audacieuses pour lutter contre le protectionnisme américain et chinois, dans un contexte de graves menaces géopolitiques émanant de régimes autoritaires.

Dans un discours sombre et solennel prononcé à l’Université de la Sorbonne à Paris, qui revenait fréquemment sur le thème d’un ordre mondial en rapide évolution, Macron a évoqué la mort de l’Europe comme une possibilité réelle.

Le continent sous-investit dans l’innovation, ne parvient pas à protéger ses industries et à renforcer son armée et sa défense, a-t-il déclaré.

« L’Europe est mortelle, elle peut mourir. Cela ne dépend que de nos choix », a-t-il déclaré dans un discours très attendu qui faisait écho à un discours historique qu’il avait prononcé quelques mois après le début de son premier mandat en 2017. « Et ces choix doivent être faits maintenant. »

« Au cours de la prochaine décennie, le risque est immense que nous soyons affaiblis, voire relégués », a-t-il déclaré devant un parterre de responsables, de journalistes et de politiciens, soulignant l’évolution de la géopolitique et l’enhardissement des régimes autoritaires.

« L’époque où nous basions notre production en Chine, où nous déléguions notre défense aux États-Unis et où nous obtenions notre énergie de la Russie est révolue. Les règles du jeu ont changé », a-t-il déclaré. Le président français a accusé les États-Unis et la Chine de ne pas respecter les règles du commerce mondial en subventionnant massivement leurs économies.

« Quelle que soit la force de notre alliance avec l’Amérique, nous ne sommes pas une priorité pour eux », a-t-il déclaré. « Ils ont deux priorités : eux-mêmes – c’est vrai – et la Chine. »

Faisant écho aux appels passés en faveur de la recherche d’une troisième voie entre les États-Unis et la Chine, le président français a déclaré que l’Europe doit montrer qu’« elle ne sera jamais vassale des États-Unis » lorsqu’elle « s’adressera aux autres régions du monde ».

L’Europe, a-t-il déclaré, a fait de grands progrès vers son unité et son autonomie ces dernières années face à la pandémie de Covid-19 et à la guerre en Ukraine, mais « la prise de conscience est trop lente ». Le président français a appelé à une politique commerciale beaucoup plus agressive et à des investissements publics bien plus importants dans une série de domaines critiques.

Mais le président français s’est montré moins précis sur la question cruciale de savoir comment l’Europe serait en mesure de financer sa transition vers ce qu’il a appelé « une puissance européenne ». Il a réitéré son soutien à l’acquisition d’une nouvelle dette commune, similaire à celle de l’UE pendant la pandémie, et a proposé d’augmenter les ressources propres de l’UE avec les revenus de la taxe carbone de l’UE ou d’une taxe sur les transactions financières.

Le président français a fait une série de nouvelles propositions dans les domaines de la défense, de l’économie et du commerce qui, selon lui, pourraient remettre l’Europe sur la bonne voie.

Macron a déclaré que l’UE devrait viser à devenir un « leader mondial » d’ici 2030, avec des « stratégies de financement dédiées » dans cinq domaines stratégiques : l’intelligence artificielle, l’information quantique, l’espace, les biotechnologies et les nouvelles énergies.

Macron a également plaidé pour l’imposition d’une « préférence européenne » dans l’achat de matériel militaire. | Lionel Bonaventure/AFP via Getty Images

Macron a appelé à ajouter « un objectif de croissance, voire un objectif de décarbonation » aux missions de la Banque centrale européenne. « Nous ne pouvons pas avoir une politique monétaire dont le seul objectif est le (contrôle) de l’inflation », a-t-il déclaré.

Jeudi, Macron a également appelé à une « révision » de la politique commerciale européenne, pour « défendre nos intérêts ».

« Cela ne peut pas fonctionner si nous sommes les seuls au monde à respecter les règles commerciales écrites il y a 15 ans, alors que les Chinois et les Américains ne les respectent plus en subventionnant des domaines critiques », a-t-il déclaré, ajoutant que l’Europe devait recourir systématiquement aux « instruments de concurrence loyale ».

Pour répondre aux nouveaux besoins massifs de l’Europe en matière de défense, le président français a invité les Européens à construire « une initiative européenne de défense » qui « pourrait inclure un bouclier européen anti-missile », pomme de discorde en cours entre la France et l’Allemagne.

Macron a également plaidé en faveur de l’imposition d’une « préférence européenne » dans l’achat d’équipements militaires, arguant que trop d’argent de l’UE était dépensé pour des fabricants non européens.

En s’exprimant à la Sorbonne Université, le président français a tenté de retrouver l’esprit de son premier discours sur l’Europe en tant que président fraîchement élu en 2017, qui avait d’abord reçu un accueil froid dans plusieurs capitales européennes, mais avait ensuite été largement justifié par les événements géopolitiques. .

Les efforts de la France en faveur d’une plus grande autonomie stratégique et d’une plus grande souveraineté européenne ont désormais trouvé écho auprès de la Commission européenne mais aussi dans d’autres pays de l’UE.

Macron a parlé pendant 90 minutes jeudi, dans un amphithéâtre à moitié vide. Sa conclusion selon laquelle il restait « optimiste » pour l’Europe ne pouvait cependant faire oublier qu’un président français très affaibli s’adressait à la France et à ses partenaires européens.

Macron en 2024 fait un chiffre bien différent de celui qui s’exprimait en 2017. Le président français a depuis perdu la majorité absolue au Parlement et a eu du mal à faire adopter une législation dans son pays. La réputation du pays à l’étranger a été ternie par les protestations qui ont fait la une des journaux contre sa réforme phare des retraites et par les récents problèmes budgétaires, notamment des chiffres de déficit plus élevés que prévu.

Le discours de Macron visait également à relancer la campagne électorale en déclin de son parti Renaissance, dirigé par Valérie Hayer, qui est en retard de plus de 10 points sur l’extrême droite. Le président français n’a pas évoqué la campagne mais s’en est pris aux « nationalistes » qui ne plaident plus pour une sortie de l’UE mais simplement pour la perturber de l’intérieur.

Face à la montée du populisme, « le risque est que tout le monde devienne plus timide » de peur d’alimenter davantage de nationalisme. « Mais la réponse n’est pas la timidité, mais l’audace. »

Vers la fin de son discours, le président français s’est montré philosophique sur l’avenir du continent. « On peut même se demander : qu’est-ce qu’une nation ? Que veut devenir l’Europe ? il a dit.

« C’est un moment décisif, un tournant. Notre Europe peut mourir.»

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