Les États membres doivent comprendre que le seul choix est de partager la souveraineté au niveau européen. En bref, le nationalisme est contraire à l’intérêt national, écrit Marco Buti.
L’Europe se trouve à un tournant décisif de son histoire. Les choix à faire au cours de l’année prochaine détermineront si elle pourra répondre aux attentes de ses citoyens et concrétiser les espoirs suscités par les réponses à la pandémie avec le lancement de Next Generation EU.
Ou si cela devient de moins en moins pertinent dans un scénario mondial caractérisé par de nouvelles lignes de fracture et, plus particulièrement, par le conflit entre les États-Unis et la Chine.
Dans le Manifeste pour l’Europe publié mercredi, d’éminentes personnalités européennes tracent les principales coordonnées du chemin à suivre pour que l’Union européenne ne soit pas reléguée à un rôle secondaire.
Le Manifeste part du constat que, dans un monde fragmenté, la structure productive de l’UE – qui repose sur une forte demande extérieure, des technologies matures, une démographie stagnante et des tensions sociales croissantes – n’est pas viable à long terme.
Sans changer son « modèle économique », l’UE peut survivre, mais pas prospérer. En fin de compte, le modèle social européen est en danger.
Les démarches tentantes de repli sur soi ne sont pas la voie à suivre
Le Manifeste indique clairement les voies à ne pas suivre : le déni climatique, le mercantilisme d’arrière-garde, l’autarcie démographique et le retrait des chaînes de valeur internationales.
Ces voies de repli sur soi, bien que tentantes à court terme, conduiraient l’UE dans la direction opposée.
La réponse des signataires du Manifeste est d’établir un nouveau contrat politique européen qui surmonte l’opposition entre solidarité et responsabilité, entre efficacité et protection, et entre intégration et souveraineté.
La voie à suivre pour rétablir la confiance est ce qu’ils appellent un « fédéralisme progressif et pragmatique », comprenant sept recommandations : un budget de l’UE profondément réformé fournissant de véritables biens publics européens, de nouvelles règles budgétaires communes, la réalisation d’une union financière, une politique industrielle tournée vers l’avenir, une une politique d’aide d’État remaniée, une stratégie d’éducation et de formation pour l’intégration des migrants et une politique européenne de sécurité et de défense crédible.
Pour poursuivre sur cette voie, il est nécessaire de changer les règles du jeu au sein de l’UE. Ces dernières années, suite à la crise pandémique et à la réponse à la guerre d’agression russe et à la crise énergétique, l’UE a pris des décisions fondamentales, mais toujours sous la pression de l’urgence.
Réforme des règles décisionnelles avant l’élargissement
La Commission Von der Leyen a parfois été surnommée la « Commission de l’article 122 », d’après l’article du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne qui lui permet de prendre des décisions d’urgence dans des circonstances extrêmes.
Cependant, ce serait une erreur stratégique de penser que cela pourrait constituer un modus operandi pour l’avenir de l’UE.
En particulier, dans la perspective d’un nouvel élargissement qui porterait l’UE à 35 membres ou plus, attendre des crises existentielles pour prendre des décisions fondamentales conduirait à une paralysie permanente du processus décisionnel.
Les tensions seraient accentuées par le fait que les nouveaux pays candidats en seraient d’importants bénéficiaires nets, à commencer par l’Ukraine.
Le Manifeste est très clair à ce sujet : les règles de prise de décision de l’UE doivent être réformées avant et non après l’élargissement, comme certains semblent le préférer.
Bien que politiquement gênant, le tabou de la modification du traité doit être surmonté. Cependant, de nombreuses mesures peuvent être prises plus tôt.
Il est intéressant de noter qu’un récent rapport d’un groupe de travail franco-allemand, qui trace la voie à suivre pour réformer et élargir l’UE, aboutit à une évaluation similaire.
Les signataires du Manifeste pensent que c’est possible, nécessaire et même prudent.
Les dirigeants européens sont-ils à la hauteur ?
L’Europe doit éviter les sirènes populistes et reconstruire un climat de confiance entre les gouvernements, les institutions et les citoyens.
Les États membres doivent comprendre que, pour compter, le seul choix est de partager la souveraineté au niveau européen.
La nécessité de lutter ensemble contre les catastrophes climatiques que nous avons vécues cet été ou l’impératif de faire face à la crise migratoire de ces dernières semaines suffiraient à le démontrer. Bref, le nationalisme est contraire à l’intérêt national.
Le Conseil européen informel des 6 et 7 octobre à Grenade, qui discutera de l’avenir de l’autonomie stratégique ouverte et approuvera la déclaration sur les priorités futures de l’UE, sera le premier test. Les dirigeants européens seront-ils à la hauteur ?