Les investisseurs trop perturbés par les élections françaises pour paniquer – pour l’instant

Martin Goujon

Les investisseurs trop perturbés par les élections françaises pour paniquer – pour l’instant

Les marchés financiers se sont préparés à une bonne vieille panique lors des élections de dimanche en France, mais les résultats du premier tour de scrutin étaient trop confus pour déclencher une vente massive.

Au contraire, les premières réactions lundi ont suggéré un certain soulagement, les actions ayant bondi et l’euro s’étant redressé alors que certains des scénarios cauchemardesques envisagés avant le scrutin se sont estompés.

Dimanche, comme prévu, le Rassemblement national (RN) de Marine Le Pen et Jordan Bardella est sorti vainqueur du premier tour de scrutin, recueillant 34% des voix. L’alliance ad hoc de forces progressistes connue sous le nom de Nouveau Front populaire (NPF) est arrivée deuxième avec 28% des voix, tandis que la coalition libérale du président Emmanuel Macron, Ensemble, est arrivée troisième avec 20%.

Le système électoral français à deux tours rend toutefois impossible toute extrapolation du nombre de sièges après le second tour de dimanche prochain. Trois des plus grands instituts de sondage estiment que le RN pourrait se retrouver avec entre 230 et 295 sièges. Avec 289 sièges nécessaires pour une majorité, et compte tenu de la grande marge de manœuvre dont dispose le RN au second tour, il ne lui reste que peu de chances de former seul le prochain gouvernement.

L’incertitude, que les marchés détestent plus que tout, va donc perdurer ; en effet, une grande partie du soulagement initial s’était estompée à l’heure du déjeuner.

Aucun des scénarios à venir n’est attrayant pour les marchés : même un gouvernement à parti unique sous la direction du RN entraînerait la France dans une impasse de fait de deux ans, compte tenu des pouvoirs étendus de la présidence en vertu de la Constitution française.

Exemples passés de cohabitationdans lequel le gouvernement et le président sont issus de partis différents, a peut-être fonctionné dans une certaine mesure, mais il est peu probable que ce soit le cas cette fois-ci, a déclaré Armin Steinbach, professeur de droit et d’économie à HEC Paris, étant donné les vastes différences idéologiques entre Macron et la dirigeante du RN Le Pen.

« La politique étrangère va créer beaucoup de problèmes », de la nomination d’une nouvelle Commission européenne à Bruxelles à la poursuite du financement de l’Ukraine, a déclaré Steinbach dans des commentaires envoyés par courrier électronique. « En échange, Macron retardera les projets du RN, ne contresignera pas les lois et ne fera pas appel au Conseil constitutionnel. L’action du gouvernement sera paralysée. »

La politique économique pourrait toutefois être un peu plus constructive. Si Le Pen parvient à faire élire son protégé Jordan Bardella au poste de Premier ministre, « elle se concentrera probablement sur la victoire à l’élection présidentielle de 2027, en restant sur la voie plus modérée qu’elle a indiquée pendant la campagne », a déclaré Holger Schmieding, économiste en chef de la banque Berenberg, dans une note adressée à ses clients lundi.

Paradoxalement, ce n’est peut-être pas un seul dirigeant qui constitue la plus grande menace pour la stabilité financière française, mais plutôt son absence totale.

Schmieding a souligné qu’un gouvernement bloqué pourrait se retrouver attaqué des deux côtés par le NFP et le RN. Bien qu’ils soient « aux antipodes » sur des questions telles que l’immigration et la culture, ils se sont tous deux opposés aux réformes pro-croissance de Macron et pourraient s’unir tactiquement sur des questions telles que la réforme des retraites et les subventions énergétiques pour démanteler le travail du dernier gouvernement.

Si cela devait se produire, les préoccupations à long terme qui troublent le marché depuis des années deviendraient soudainement beaucoup plus pressantes, et pas seulement dans un contexte étroitement français.

« Dans l’extrême, si une dette élevée compromet la crédibilité de la politique budgétaire ou la solvabilité de l’État, elle peut paralyser la politique monétaire : un resserrement ne ferait qu’accroître ces inquiétudes et alimenter l’inflation, généralement par le biais d’une dépréciation incontrôlée du taux de change », a averti la Banque des règlements internationaux dans son rapport économique annuel, publié dimanche.

Certes, la zone euro a gagné en maturité depuis la dernière crise de 2011, créant ce que certains acteurs du marché décrivent comme « une série de garde-fous ou de filets de sécurité » destinés à rassurer les investisseurs. En outre, les banques européennes semblent être dans une bien meilleure position pour faire face à une volatilité prolongée qu’elles ne l’étaient lors de la crise de la dette souveraine. Mais cela pourrait ne pas suffire à compenser toutes les lacunes restantes de l’union monétaire, ou à l’empêcher d’être détruite par l’un de ses piliers économiques.

La plupart des nouveaux garde-fous et dispositifs de sécurité de la zone euro, tels que le Mécanisme européen de stabilité ou les divers mécanismes de la Banque centrale européenne pour acheter des obligations et maintenir les coûts d’emprunt sous contrôle, supposent une attitude coopérative de la part de tout gouvernement en difficulté suffisamment grave pour en avoir besoin.

Mais les programmes du RN et du NFP ne permettent pas aux investisseurs d’envisager une telle coopération, ni même de mettre en place un dispositif susceptible d’empêcher l’augmentation inexorable de la dette française. Les deux partis ont par exemple promis, lors de leur campagne, de revenir sur la décision de Macron d’augmenter l’âge de la retraite de 62 à 64 ans, un élément clé des efforts du président français pour réduire le déficit.

En outre, même Macron n’a pas réussi à maîtriser les déficits budgétaires chroniques de la France. Standard & Poor’s a abaissé la note de crédit à long terme du pays au début du mois de juin, déclarant que « le bilan de la France en matière de consolidation budgétaire au cours des dernières décennies a été faible. Elle n’a pas enregistré d’excédent budgétaire primaire depuis 2001. »

Jusqu’à la crise financière mondiale, la dette publique française était à peu près similaire à celle de l’Allemagne. Depuis, alors que l’Allemagne a réduit ses dépenses pour maintenir sa dette en dessous de 60 % du PIB, celle de la France a grimpé à 110 %. Au sein de l’UE, seules l’Italie et la Grèce ont des ratios d’endettement plus élevés, alors qu’en termes absolus, la dette française est désormais la plus importante d’Europe, avec 3 100 milliards d’euros.

Fondamentalement, compte tenu des tendances actuelles, Paris ne parvient pas à identifier le moment où la situation commencera à s’améliorer.

Le pire scénario, dans lequel des choix politiques irresponsables ou mal choisis conduiraient à un moment « Liz Truss » dans lequel les « justiciers obligataires » provoqueraient le chaos sur les marchés en se débarrassant de la dette française, n’est encore qu’une possibilité lointaine. Mais les marchés pourraient tout de même se réveiller et comprendre qu’à long terme, une impasse est susceptible d’être tout aussi néfaste pour les finances de la France.

Giorgio Leali

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