À la rencontre de…
Léonore Moncond’huy
Maire de Poitiers et Vice-Présidente de Grand Poitiers
Pourquoi vous êtes-vous engagée en politique ? Qu’est-ce qui vous a décidée ?
C’est le projet ainsi que l’équipe pour la ville de Poitiers qui se sont développés avant mon souhait d’être élue maire. Quand je me suis engagée dans la création de Poitiers Collectif avec d’autres personnes en 2018, ce n’était pas du tout par ambition personnelle. J’étais très bien à la région et j’aurai pu continuer dans ce sens. Être élue maire n’était pas du tout mon objectif.
Dès que j’ai été élue en 2015, j’ai constaté à quel point il y avait un fossé énorme entre les citoyens et les élus et combien, à chaque fois qu’on se présentait en tant qu’élus, il y avait une forme de défiance envers l’action politique et du coup combien les assemblées étaient peu représentatives de la société réelle, notamment en termes de mixité générationnelle mais aussi en termes de diversité sociale et de diversité territoriale.
Or, pour moi, c’est très important que le milieu politique soit à l’image de la société, sinon on ne peut pas prendre de décisions justes. J’ai donc essayé de trouver des formes qui permettent de renouer ces liens cassés entre les citoyens et la politique. Le but de la création de Poitiers Collectif c’était de mettre à profit mon expérience d’élue et ma connaissance des institutions pour construire autre chose de nouveau. Nous nous sommes engagés, l’équipe et moi-même, avec une énergie conséquente pour remettre les choses dans le bon sens. On a désigné l’équipe dans un premier temps, puis j’ai été désignée par le biais d’une élection sans candidat. C’est donc le groupe qui s’est engagé avec moi qui m’a choisie pour être tête de liste pour l’élection municipale de Poitiers. On a pensé à un processus fonctionnant sur le collectif et la confiance du groupe avant les aspects individuels, ce qui change tout.
Quelles sont les valeurs, les enjeux, les batailles qui vous tiennent à cœur et que vous souhaitez mener à tout prix pendant votre mandat ?
À la base, mon engagement était un engagement associatif. Ce qui fait donc l’origine de mon engagement n’est pas l’écologie, c’est vraiment le côté éducation et place de la jeunesse en politique. C’est en me formant au fil des années et en voyant que la situation se dégradait que mon engagement en écologie a pris, chez moi, une place de plus en plus importante. Ma volonté est donc actuellement de faire en sorte que l’écologie soit présente dans toutes les politiques de la ville de Poitiers, à travers des projets symboliques mais surtout dans le quotidien de nos actions. Il s’agit de montrer que l’écologie s’allie avec les politiques sociales, avec les politiques économiques et que l’écologie est présente partout ! Il y a aussi tout un pan de l’action sociale qui me tient à cœur, à travers toute la politique d’éducation populaire qui est très menacée aujourd’hui en France et dont il me tient à cœur de valoriser son importance à Poitiers, en montrant tout ce qu’on peut faire.
Ma présence en politique trouve donc ses fondements dans l’écologie, dans la justice sociale, en particulier dans la sphère éducative et l’accompagnement de la relocalisation de l’économie, et dans la relocalisation du système alimentaire. Le besoin de relocalisation et de soutien aux initiatives locales se marie très bien avec l’écologie. J’ai donc aussi la volonté de soutenir la dynamique de l’économie locale sur le territoire de Poitiers et de ses voisins à plusieurs titres.
Vous êtes maire de Poitiers, en quoi consistent exactement vos missions et quels sont vos projets ?
Il faut savoir qu’il existe plusieurs façons d’être maire. La manière dont je vois ma fonction aujourd’hui dans un cadre très collectif, c’est avant tout d’être garante de la cohérence de l’action de l’équipe municipale. En début de mandat on a construit des feuilles de route avec les élus. Je les ai signées, ce qui signifie qu’on a établi un contrat de confiance entre les eux, dans leurs missions respectives, et moi, en tant que pilote du groupe. Mon rôle est aussi de porter la parole de notre action et d’impulser la dynamique sur les projets. C’est donc un rôle qui est à la fois interne et externe.
Les journées des maires ne se ressemblent jamais, aucune n’est identique à la précédente. Chaque jour en tant que maire prend un volet d’action très divers et c’est ça qui est bien, on touche a beaucoup de choses en même temps, on ne s’ennuie pas.
Votre programme de campagne était axé sur la participation citoyenne, que mettez-vous en place pour qu’elle soit effective dans la ville de Poitiers ?
C’est un peu comme l’écologie pour moi, la participation citoyenne doit se refléter dans toutes nos politiques. Ce ne sont pas que de simples projets un peu paillettes. La priorité c’est de faire en sorte que dans toute notre action, on ait le réflexe de la participation citoyenne et de la concertation avec les premiers concernés par nos politiques. Depuis notre élection, nous avons mis en place de nombreux événements ou rendez-vous pour consulter les acteurs et les citoyens. On propose des choses et on demande aux citoyens de réagir.
Nous avons également mis en place des mesures plus innovantes comme la « convention citoyenne sur le numérique responsable ». Un peu comme le modèle de la convention citoyenne sur le climat, c’est-à-dire qu’on a nos objectifs, on veut un numérique qui soit sobre écologiquement et socialement, mais on n’a pas forcément la science infuse sur la manière de les mettre en œuvre. On réunit des citoyens chargés de nous faire des propositions qui seront soumises, par la suite, au vote du Conseil municipal. On innove donc également sur les moyens à mettre en œuvre pour favoriser la participation citoyenne.
Pensez-vous pouvoir être un exemple de fonctionnement local et espérer le voir établi nationalement ?
Depuis la campagne électorale, Poitiers Collectif était inscrit dans un mouvement « municipaliste », c’est-à-dire un mouvement qui vise vraiment à promouvoir un fonctionnement démocratique plus horizontal, plus participatif, plus transparent et on est l’une des plus grandes villes à avoir gagné sur la base de ces engagements-là. Donc oui, nous sommes très regardés sur la manière dont on peut porter un autre modèle démocratique à l’échelle locale.
Nous, les villes comme Poitiers qui nous engageons pour la participation citoyenne, avons une responsabilité. Nous avons la responsabilité de dénoncer ce qui ne va pas au niveau national et de proposer un système différent.
Est-ce simple de s’affirmer en politique lorsqu’on est une femme jeune ? Pourquoi ?
Non ce n’est pas simple parce que cela donne un rôle particulier et j’ai du mal à distinguer ce qui relève de la jeunesse et ce qui vient du fait que je sois une femme. Mais c’est vrai qu’il y a, plus fortement que pour d’autres politiques, une présomption d’incompétence, de manque d’autorité, d’illégitimité qui fait qu’on doit plus faire nos preuves que d’autres. Il y a la présomption du fait qu’un élu qui est là depuis longtemps, qui est plus âgé ou qui est un homme est forcément plus compétent que quelqu’un de jeune qui arrive alors qu’en fait il n’y a pas du tout d’automatisme à tout cela et qu’au contraire, on peut avoir une implication dans les projets beaucoup plus importante que des élus qui seraient plus âgés par exemple. Je ne connais pas moins mes dossiers que mon prédécesseur !
Il y a les versants négatifs, qui demandent plus de combativité que pour un élu plus âgé et bien installé, mais il y a aussi des côtés plus positifs. J’ai constaté, en tant que jeune femme à la région, que le fait d’avoir un profil nouveau suscite également de la bienveillance de la part de tous les bords politiques. Cela m’a donné la possibilité d’aller parler à tout le monde parce que j’avais un regard neuf sur la politique. Ça m’a donc aussi donné une certaine liberté, encore aujourd’hui que j’apprécie.
Il reste encore un combat à mener sur l’occupation de l’espace politique par les femmes et par les jeunes. C’est-à-dire qu’aujourd’hui les listes sont paritaires, mais une fois qu’on est installés, il y a vraiment un enjeu de l’égalité dans l’occupation de l’espace politique et médiatique. On sait que les femmes ont tendance à s’autocensurer beaucoup plus que les hommes parce qu’elles se disent qu’elles sont moins compétentes, moins capables, … Mais il y a aussi une culture institutionnelle qui fait que dans les groupes politiques, dans les organisations politiques, on est marqué par le fait que les présidents de groupes sont le plus souvent des hommes et que donc le budget doit être traité plutôt par les hommes par exemple.
Selon Anne Hidalgo, les femmes sont porteuses d’espoir, pour la population, sur le changement de la pratique politique. Soutenez-vous cette phrase ? Comment les femmes font de la politique dans le coup ?
Je pense qu’il y a autant de manière de faire de la politique qu’il y a de femmes politiques. Pour moi il faut prendre le problème à l’envers. Avec la « vague verte » des élections municipales de 2020, un grand nombre de villes ont été gagnées grâce à des mouvements plus citoyens que d’habitude, plus ouverts à la société civile, avec des modes de fonctionnement plus collectifs. Ce sont ces fonctionnements-là qui permettent l’émergence de nouveaux profils et en particulier de femmes. On a, aujourd’hui, la moitié des grandes villes qui sont dirigées par des femmes. Il faut donc lier le renouvellement des formes politiques à l’émergence de profils politiques féminins.
Dans l’exercice des responsabilités, je souhaite m’émanciper des codes virilistes qui ont structuré la vie politiques française : le côté autorité avec une grosse voix, la puissance d’une seule tête. Tout ça, pour moi, ce sont des codes imprégnés d’une culture assez viriliste. On peut en inventer de nouveaux, plus rapprochés traditionnellement aux femmes : la capacité à travailler en collectif, la capacité à être à l’écoute, … C’est plutôt une histoire de culture qu’une histoire d’automatismes.
De votre point de vue d’élue, comment voyez-vous la relation entre les jeunes et la politique ? Pensez-vous que des pratiques devraient-être mises en place pour mieux intégrer et intéresser les jeunes aux décisions politiques ? Pour leur donner plus d’espoir pour le futur …
Je pense qu’aujourd’hui la jeunesse se caractérise par une très forte défiance envers les politiques. Il y a trop d’affaires, l’impression que c’est un monde pourri ou un monde inaccessible. Il y a l’imaginaire d’une séparation énorme entre la politique et les citoyens qui fait que la politique est perçue comme étant inaccessible. Il y a une méconnaissance en réalité du système politique qui fait que c’est perçu comme inaccessible par les jeunes. Il y a également un sentiment d’impuissance assez fort. C’est-à-dire qu’aujourd’hui, l’idée selon laquelle le politique ne peut plus rien faire prend de plus en plus de place chez les jeunes en particulier. Il n’y a donc plus de confiance sur le fait que si on s’engage on peut changer les choses.
Il ne faut pas oublier qu’il y a beaucoup de mouvements de jeunesse qui se mobilisent, notamment pour le climat, mais pas seulement. Il y a aussi une jeunesse engagée mais qui ne trouve pas forcément de débouchée politique à son engagement. Je pense que la priorité est de créer des espaces d’engagement qui montrent à la jeunesse sa capacité à agir. C’est pour cette raison qu’on soutient des dispositifs comme le Conseil Communal des Jeunes, comme l’engagement associatif des jeunes, le service civique. La deuxième étape est de montrer qu’il peut y avoir des ponts entre ces espaces-là et l’engagement politique. Il ne faut pas priver la jeunesse de la capacité à changer le monde. Il faut aussi faire changer les organisations politiques, les partis politiques notamment, pour qu’eux aussi soient exemplaires et qu’ils arrêtent de dire qu’il faut avoir vingt ans de bouteilles pour être candidat, de faire confiance aux jeunes et de les mettre en responsabilité.
Il y a les programmes portés pour la jeunesse mais moi je préfère les programmes portés par la jeunesse. Le meilleur message qu’on peut envoyer de confiance en la jeunesse c’est d’avoir de jeunes candidats à des positions de responsabilités.
Quels conseils donneriez-vous aux jeunes qui souhaitent s’engager ? Et que répondriez- vous aux jeunes qui considèrent que « ça ne sert à rien de s’engager » ?
D’abord, ayez confiance en vous, ne vous autocensurez pas. Les premières barrières à l’engagement ce sont celles qu’on se met soi-même. Ce dont on a besoin en politique, ce n’est pas d’avoir des gens qui ont fait dix ans d’études, ce n’est pas forcément d’avoir des gens qui savent très bien parler en public, ce n’est pas d’avoir des gens qui ont des connaissances excellentes sur les collectivités. Ce dont on a besoin c’est d’avoir des gens qui ont de l’énergie, qui ont envie de s’engager et qui ont de vraies valeurs. Si vous avez tout cela, le reste se fait au fur et à mesure, on apprend en faisant. On a besoin de jeunes qui s’engagent parce qu’aujourd’hui, l’action politique est très importante, il y a des défis écologiques et sociaux énormes. Si les personnes qui incarnent le renouveau en politique ne s’engagent pas, le système continuera sans nous. Il faut vraiment changer le système si on veut que le monde soit à l’image de l’avenir souriant qu’on veut. On a besoin de vous !
Curieux de découvrir d’autres portraits d’engagés ?