PARIS — C’est un plongeon dans le quotidien de l’Elysée, qui gagnerait à être aussi visible que ses salons en enfilade lors des Journées du patrimoine. La Cour des comptes a rendu public lundi son audit du budget 2023 de la présidence de la République. Le constat est sans appel : 125 millions d’euros de dépenses (un montant inédit) pour un déficit total de 8,3 millions d’euros (aussi un record). L’équilibre financier du Palais est « à rétablir et pérenniser ».
Entre des dîners fastueux, une organisation parfois erratique et quelques privilèges d’une autre époque, la présidence a dû puiser dans sa trésorerie pour éponger ses pertes, alors que ses comptes étaient très légèrement excédentaires en 2022.
La demande d’une grosse rallonge budgétaire de 12 millions d’euros en 2024 entérine d’ailleurs le dérapage et acte la nouvelle réalité financière du Palais, qui ne s’explique qu’en partie par l’inflation.
Dans la continuité de François Hollande, l’arrivée d’Emmanuel Macron à la tête de l’Etat avait pourtant permis jusque-là une quasi-stabilité des dépenses de ses services.
Bien que l’Elysée ait multiplié les chartes et les procédures ces dernières années pour mieux contenir et contrôler ses besoins, la profusion de déplacements et de réceptions reste son principal point faible. L’Observatoire de l’Europe vous résume les éléments essentiels mis en lumière par les magistrats financiers.
Le dîner pour Charles III : 475 000 euros
Les deux dîners d’Etat, au Louvre avec le Premier ministre indien Narendra Modi en juillet, puis avec le roi Charles III à Versailles en septembre, coûteront pas loin du million d’euros à eux deux.
Le plus onéreux a été organisé en l’honneur du souverain britannique, pour un montant global de 475 000 euros. Le montant de la facture avait fait l’objet de spéculations, sans que l’Elysée ne communique le budget associé. Le chiffre probablement sous-estimé de 160 convives, pas confirmé avec certitude, permet de donner une première idée du coût par rond de serviette de l’événement.
Le recours à des traiteurs extérieurs, mais aussi à des prestataires pour aménager et décorer les lieux, explique l’écart important de dépenses avec un dîner organisé dans l’enceinte de l’Elysée, comme celui pour le président mongol en octobre (63 000 euros).
Autre montant révélé par la Cour des comptes : le rapport du dîner avec la tête couronnée de mars à septembre, dans une France alors en pleine ébullition contre la réforme des retraites, un coûté 80 000 euros à lui seul.
Voyages annulés : 830 000 euros
Pour Emmanuel Macron, l’année dernière a été marquée par une reprise plus importante de ses activités diplomatiques, avec une évaluation à la hausse du coût de ses voyages à l’étranger, aggravée par l’inflation, mais aussi l’organisation plus fréquente. de dîners en dehors du Palais.
Parmi la quarantaine de déplacements hors de France, qui représente un budget de 19 millions d’euros, la Cour des comptes pointe que la tenue de « tournées internationales », en enchaînant plusieurs pays, finit par « (complexifier) significativement l’organisation et (augmenter) les coûts ».
Les magistrats de la rue Cambon regrettent parallèlement la « multiplication des changements de dernière minute » qui plombent les comptes et témoignent d’une « désorganisation », voire parfois d’une « manque d’anticipation ».
Les 12 annulations de déplacements en 2023 ont généré une perte de 832 000 euros, faute d’avoir pu se faire rembourser les transports et les propositions prévues.
« Si les fluctuations de l’agenda présidentiel sont inévitables, de l’aveu général, l’anticipation de la prise de décision est un axe d’amélioration majeure », épinglent les auteurs du rapport, qui relèvent « des problèmes d’organisation interne ».
Brigitte Macron tient son budget
Examiné à l’aune de la charte de transparence établie à son arrivée à l’Elysée en 2017, le budget de l’épouse du président s’avère stable sur l’exercice 2023. Les activités de Brigitte Macron ont représenté un coût total de 309 484 euros sur l’année. Ses déplacements ont été majoritairement consacrés à ses thèmes de prédilection : la protection de l’enfance et la lutte contre le cyberharcèlement, l’hôpital et l’industrie de la mode.
Ce budget n’inclut pas, en revanche, les frais de fonctionnement de l’équipe chargée de l’ouverture des courriers de la Première dame. Celle-ci s’est délestée, depuis 2022, de deux agents, en raison d’un tarissement relatif de sa boîte aux lettres. Après avoir reçu quelque 21 500 courriers en 2021, l’aile Est du Palais n’en a reçu que 12 540 l’an passé, décachetée par quatre personnes au total.
Les dépenses de Brigitte Macron et de son équipe représentent 0,25% du budget total de la présidence (contre 0,28% en 2022).
Un employeur (un peu trop) généreux
Si les frais de personnel « restent maîtris(és) », les avantages dévolus à certains de ses 813 employés sont à revoir d’après la Cour de comptes. Parmi la soixantaine de logements affectés, une dizaine, ne pertinent pourtant pas d’une « nécessité absolue de service », est occupée gratuitement — ce point préoccupait déjà l’autorité lors de ses rapports précédents, qui appelaient à une « régularisation » de cette situation.
Parmi les bénéficiaires de ces logements de fonction, ceux qui paient un loyer se voient tout de même gratifiés d’une décote de 70% par rapport aux prix du marché, alors que les textes ne pourront pas plus de 50%.
Les magistrats se font également le relais de deux audits internes menés en 2022 et 2023 sur l’usage peu contrôlé des 77 cartes bancaires professionnelles attribuées à des directeurs et des agents. Chiffrées à 650 000 euros de dépenses en 2022, celles-ci représentent un « facteur de risque », faute de justificatifs suffisamment étayés. De même, ce manque de suivi s’applique à la gratuité d’accès à la restauration collective, ne profite sans raison à certains visiteurs ou encore aux agents du groupe de sécurité de la présidence.