Le pari de Macron est-il le moment du Brexit pour la France ?

Martin Goujon

Le pari de Macron est-il le moment du Brexit pour la France ?

CALVADOS, France — Ursula von der Leyen veut que les Français mangent des insectes. Dit qui? Marine Le Pen l’a dit.

Officiellement, Le Pen a abandonné les tendances extrêmes du dénigrement de Bruxelles cultivées par son père, Jean-Marie Le Pen, un négationniste de l’Holocauste et fondateur de son parti d’extrême droite, le Rassemblement national. Elle ne prône plus le Frexit ou la relance du franc français.

En vérité, elle et son numéro 2 de facto, Jordan Bardella, ont surfé pour triompher aux élections européennes avec, entre autres, une forme trompeuse d’europhobie. Ils ont exploité une connaissance floue des affaires européennes, même parmi la partie pro-européenne de l’électorat français.

En tant que Britannique vivant en France depuis 27 ans, j’ai un sentiment effrayant de cette vieille expression anglaise « déjà vu ». La presse tabloïd britannique et l’aile droite du parti conservateur ont préparé le terrain pour le Brexit avec une campagne similaire de dénégation, de mensonges et d’affirmations sans fondement selon lesquelles la Grande-Bretagne prospérerait si elle était libérée du poids mort du droit européen.

Huit ans après le vote sur le Brexit, 55 pour cent des Britanniques pensent qu’ils ont commis une erreur et seulement 31 pour cent pensent encore que le Royaume-Uni se porte mieux en dehors de l’Union européenne. Étrangement, le Brexit – salué à l’époque comme un mouvement de liberté par Le Pen – n’a jamais été évoqué par le Rassemblement national lors des élections européennes.

Certains responsables bruxellois qualifient la décision du président Emmanuel Macron de convoquer des élections législatives anticipées de « moment Brexit » pour la France. La décision hasardeuse de Macron d’affronter Le Pen est, disent-ils, aussi insensée que la tentative de l’ancien Premier ministre britannique David Cameron d’affronter les partisans du Brexit lors d’un référendum en juin 2016.

Plutôt que de détruire la menace de la droite par un vote audacieux, le danger est que le vote français – comme le référendum britannique – ne fasse que déclencher des années de récriminations politiques et économiques.

La comparaison est, sur un certain point, fausse. En termes européens, les élections françaises sont bien plus importantes. Cela pourrait être l’élection nationale la plus destructrice des 70 ans d’histoire du projet européen.

Le manifeste électoral européen de Bardella appelait au remplacement de l’union supranationale fondée sur le droit par « une coopération librement convenue entre les États membres, en fonction de leurs intérêts et avantages comparatifs ».

Il s’agit d’un projet que les partisans britanniques du Brexit pourraient défendre, en le faisant passer pour une réforme de l’UE. Il s’agit d’une renaissance de la vieille idée d’une association lâche d’États qui avait été rejetée par les six membres fondateurs, dont la France, dans les années 1950.

Le marché unique serait maintenu en théorie, mais détruit en pratique en autorisant la préférence nationale (c’est-à-dire le protectionnisme) dans l’agriculture et les marchés publics.

Le Pen souhaite que les frontières entre les pays de l’UE soient rétablies pour les citoyens des « pays non-Schengen », qu’il s’agisse des touristes britanniques et américains ou des immigrés sans papiers. C’est un non-sens logique. Comment faire respecter les frontières sans entraver la liberté de circulation des citoyens de l’UE ? Ils ne le peuvent pas.

Le Pen et Bardella savent qu’une majorité d’électeurs français est vaguement pro-UE. | Guillaume Horcajuelo/EFE via EPA

Le manifeste de Bardella veut « rendre aux Français leur argent » en supprimant une partie de la contribution française à Bruxelles. Il omet de mentionner que cet argent est légalement et constitutionnellement la propriété (ressources propres) de l’UE. Retenir les fonds européens nécessiterait une modification de la constitution française ou un acte de désobéissance juridique de la part d’un futur gouvernement Bardella-Le Pen.

Et les insectes ?

Les discours de Bardella et de Le Pen sont jonchés du genre de propagande anti-UE avec laquelle les tabloïds britanniques ont préparé l’esprit collectif du Royaume-Uni au Brexit. En mars, Le Pen a déclaré dans un discours que la Commission européenne souhaitait remplacer le bœuf dans les assiettes françaises par des insectes.

Elle a confondu un rapport de l’UE sur la baisse des ventes de bœuf avec une décision de Bruxelles d’autoriser les importations de pâte d’insectes en provenance d’Asie pour une utilisation marginale dans certains aliments transformés.

Ce charlatanisme a été repris par les vérificateurs des faits dans les médias français. En comparaison, les affirmations radicales du RN selon lesquelles il peut « réformer » l’UE sans douleur sont restées largement incontestées (à l’exception honorable du commentateur radio Patrick Cohen).

Les partisans du Brexit ont raconté de nombreux petits mensonges, mais au moins ils ont été honnêtes quant à leur objectif ; ils voulaient quitter l’UE. Le Pen et Bardella vendent un gros mensonge au public français. Ou deux gros mensonges.

La première est qu’un ensemble d’États aurait le même pouvoir économique et les mêmes avantages qu’une Union européenne et un marché unique fondés sur le droit.

La seconde est qu’un gouvernement de Rassemblement national pourrait d’une manière ou d’une autre décréter ces « réformes ». Il faudrait les négocier avec 26 autres pays ou les imposer illégalement.

Le Pen et Bardella pourraient causer d’énormes dégâts en très peu de temps. Face à un gouvernement d’extrême droite, Macron conserverait les pouvoirs constitutionnels sur l’Europe, la politique étrangère et la défense. Mais il n’a pas pu forcer une Assemblée nationale majoritairement d’extrême droite à trouver des fonds pour soutenir l’Ukraine ou à soutenir les projets émergents d’un vaste programme d’emprunt conjoint de l’UE pour des investissements militaires.

L’amputation du membre britannique a laissé l’UE tristement handicapée. Une défection de facto du projet européen par un grand État fondateur central comme la France pourrait être « mortelle » (pour reprendre l’expression d’Emmanuel Macron).

Pourquoi alors Macron a-t-il pris le risque d’un gouvernement Le Pen-Bardella ? Toute la fureur à Bruxelles cette semaine est dirigée contre Macron, pas contre Le Pen.

Le camp Macron soutient que les mensonges de Le Pen doivent être affrontés tôt ou tard. Les élections européennes sont devenues un référendum sur Macron ; ils veulent que les élections nationales soient un référendum sur, entre autres, l’agenda caché de Le Pen concernant la Russie, l’Ukraine et l’UE.

Ces arguments sont tombés dans l’oreille d’un sourd lors de la campagne européenne et pourraient bien le devenir à nouveau. Le Pen et Bardella savent qu’une majorité d’électeurs français est vaguement pro-UE. Ils savent aussi que, comme les électeurs britanniques, ils sont mal informés sur l’Europe et facilement dupés.

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