C’est en grande partie une insurrection sans but : un cri de fureur, un rejet anarchique du gouvernement ; un acte de guerre des gangs au sens large ; un concours de destruction performative.
Méfiez-vous de ceux qui offrent une explication simple des émeutes qui ont éclaté dans les banlieues multiraciales à travers la France.
Ce ne sont pas, pour la plupart, des émeutes politiques – bien qu’elles soient influencées par, et vont dangereusement enflammer, la politique empoisonnée de la France.
Ce ne sont pas des émeutes religieuses. Beaucoup de très jeunes émeutiers peuvent avoir un sentiment d’identité musulmane assiégée, mais ils sont motivés par la colère plutôt que par leur religion. C’est une insurrection, pas une Intifada.
Ce ne sont pas, à proprement parler, de véritables émeutes raciales. La grande majorité des millions d’habitants laborieux des banlieues métissées qui entourent les villes françaises ne sont pas concernés.
Ils sont plutôt les principales victimes de la destruction de voitures, bus, tramways, écoles, bibliothèques, magasins et centres sociaux qui a commencé après qu’un garçon de 17 ans a été abattu par un agent de la circulation à Nanterre, juste à l’ouest de Paris, mardi dernier. Les parents et autres adultes commencent maintenant (tardivement) à tenter de contenir cette explosion de violence de la part de jeunes hommes et de garçons dès l’âge de 12 ans.
Les émeutes sont, en un sens, anti-France ; mais ils sont aussi, en partie, mimétiquement français. Les doléances descendent plus rapidement dans la rue en France que dans d’autres pays. Les pires excès du mouvement provincial des gilets jaunes, majoritairement blanc, en 2018-2019 se sont rapprochés, en termes de violence aveugle, de ce que nous avons vu la semaine dernière.
Les émeutes sont, à coup sûr, anti-police et anti-autorité.
Les jeunes hommes d’origine africaine et maghrébine sont beaucoup plus susceptibles d’être interpellés par la police française que les jeunes hommes blancs. Dix-sept personnes, pour la plupart d’origine africaine ou nord-africaine, ont été abattues au cours des 18 derniers mois après avoir refusé d’obéir aux ordres de la police d’arrêter leurs voitures.
La dernière grosse explosion en banlieue, ou banlieuesa duré trois semaines en octobre-novembre 2005. La nouvelle éruption montre des signes de ralentissement après seulement six jours mais a déjà franchi de nouvelles frontières.
Les émeutes de 2005 se sont limitées aux banlieues elles-mêmes. Il y a eu des attaques contre des bâtiments et des transports publics mais peu de confrontation directe avec la police. Il n’y avait presque pas de pillages et de pillages.
A cette occasion, la police a été attaquée avec des feux d’artifice, des cocktails Molotov et des fusils de chasse. Des magasins et des centres commerciaux ont été perquisitionnés. Les émeutes ont percé la barrière invisible entre les banlieues intérieures et les villes françaises prospères – bien qu’une menace d’attaque sur les Champs Elysées à Paris samedi soir ait été de peu.
Les pillages opportunistes semblent surtout être l’œuvre de très jeunes. Les violences plus ciblées – dont l’attaque d’une voiture en flammes contre le domicile d’un maire de la banlieue sud de Paris samedi soir – sont plus organisées et plus obscurément politiques.
Il existe des rapports convaincants sur l’implication du mouvement d’ultra-gauche, majoritairement blanc, Black Bloc, qui a tenté d’établir des liens avec la jeunesse des banlieues ces dernières années.
Mais cela reste largement une insurrection sans but : un cri de fureur, un rejet anarchique des formes de gouvernement même locales ; un acte de guerre des gangs au sens large ; un concours de destruction performative entre jeunes hommes mécontents de banlieues et de villes à travers la France.
L’autre grande et menaçante différence avec 2005 est le contexte politique national. Il y a dix-huit ans, la France était un pays dominé par les partis traditionnels du centre-droit et du centre-gauche. Aucun politicien de premier plan n’a encouragé les émeutes. Peu ont cherché à en tirer profit en suggérant que la France faisait face à une guerre civile raciale ou religieuse.
Aujourd’hui, la politique française est partagée entre une gauche radicale, le centre confus et réformiste du président Emmanuel Macron et une droite dure et extrême qui pense en termes explicitement raciaux.
Le dirigeant d’extrême gauche Jean-Luc Mélenchon et certains de ses plus proches alliés ont exaspéré même d’autres politiciens de gauche en refusant de condamner les émeutes, voire les pillages. « Je n’appelle pas au calme, j’appelle à la justice », a déclaré Mélenchon (malgré le fait que le policier qui a tiré inexplicablement sur Nahel, 17 ans, mardi dernier a déjà été inculpé d’homicide).
Pendant ce temps, une extrême droite puissante mais divisée presse Macron de réprimer violemment les émeutiers (malgré le fait qu’un autre décès, même accidentel, pourrait envoyer les émeutes dans une nouvelle dimension incontrôlable).
Les adolescents dans la rue sont presque tous français, pas immigrés. Et pourtant, le rival de Marine Le Pen, Eric Zemmour – repris par des éditoriaux du Figaro de centre-droit généralement plus prudent – a parlé d’une « guerre » avec « des enclaves étrangères parmi nous ».
Ce langage incendiaire n’est pas nouveau. Le Pen, Zemmour et d’autres refusent habituellement de reconnaître que les banlieues multiraciales contiennent des millions de travailleurs – pour la plupart nés en France – sans lesquels les villes prospères ne pourraient pas survivre.
Ils refusent également de reconnaître les preuves substantielles de brutalité et de discrimination raciale de la part de la police française dans son travail certes ingrat dans le banlieues.
Le garçon abattu à Nanterre n’était pas encore né au moment des émeutes de 2005. Une nouvelle génération de jeunes a grandi au cours des 18 dernières années dans la suspicion, ou la conviction, qu’une grande partie du reste de la France ne les acceptera jamais comme Français.
Beaucoup de ces Français regarderont les événements de la semaine dernière et leurs préjugés et leurs peurs seront confirmés ou approfondis.
Les émeutes s’apaiseront avec le temps. Plus de 4 milliards d’euros ont déjà été dépensés pour améliorer la vie dans les banlieues au cours des deux dernières décennies. On en trouvera sans doute d’autres pour tenter d’inverser l’orgie d’automutilation de la semaine dernière.
Il est plus difficile de voir ce qui peut renverser la spirale de la méfiance, de l’incompréhension, du rejet et de la peur.