Natation dans la Seine, beach-volley sous la Tour Eiffel, escrime au Grand Palais : la carte des compétitions olympiques fait déjà date, mais une géographie des Jeux, beaucoup plus confidentielle, se dessine depuis des mois. Les entreprises sponsors et les réseaux d’affaires se disputent, en coulisses, un bout de la vitrine de Paris 2024.
L’Observatoire de l’Europe a fait chauffer les smartphones des décideurs pour reconstituer le plan des hôtels de luxe, des grands musées privatisés et des lieux insolites, où seront reçus leurs hauts cadres et clients VIP. Entre deux repas concoctés par des chefs étoilés, ce public doré sera comblé par une cascade de billets bien placés afin d’assister aux disciplines les plus convoitées.
Pour une trentaine d’entreprises de premier rang, les centaines de millions d’euros alignés pour décrocher un contrat avec le Comité d’organisation de Paris 2024 (Cojop) ou le Comité international olympique (CIO) se doublent d’un programme événementiel également festif que prestigieux.
« Ce sont des moyens significatifs pour travailler notre notoriété et notre image de marque », assure Christophe Dépont, le directeur marque d’Allianz France. L’assureur allemand a signé au niveau mondial un partenariat exclusif avec le CIO, incluant les Jeux d’hiver à Milan en 2026 et ceux d’été à Los Angeles en 2028.
Pour la chasse aux lieux, c’est à qui plantera son drapeau dans les endroits les plus renversants, si possible non loin des loges réservées pour des épreuves. Par exemple, le musée Rodin s’est vendu au poids lourd de la grande consommation Procter & Gamble, le Palais de Tokyo à Air France, l’aérogare des Invalides et le restaurant Coco, au pied de l’Opéra Garnier, à Coca- Cola.
Aux abords de la Seine, le groupe bancaire BPCE a jeté son dévolu sur le Petit Palais et aura pour quasi-voisin EDF, installé au Pavillon Gabriel. Le constructeur japonais Toyota a privatisé deux étages et le toit du centre d’affaires New Cap, à deux pas de la Tour Eiffel, pendant qu’Allianz siège à l’hôtel et club privé Soho House, dans le 9e arrondissement.
Certaines grosses boîtes ont même fait signer des clauses de confidentialité à leurs prestataires pour ne pas divulguer les détails de leur aménagement.
Les PDG de Samsung et Alibaba ont été reçus à déjeuner par Emmanuel Macron avec une quarantaine d’autres patrons jeudi midi, à la veille de la cérémonie d’ouverture. Le Coréen et le Chinois ont choisi d’investir des salles d’exposition ouvert au grand public sur l’avenue des Champs-Elysées.
Après avoir décroché il y a un son contrat de sponsoring premium avec le Cojop, LVMH a décidé de saturer la Ville Lumière avec ses marques. Le géant français de luxe conçoit, via son joaillier Chaumet, les médailles des Jeux ; Louis Vuitton a fabriqué les malles qui les transportent ; Berluti habille la délégation française lors du défilé sur la Seine.
La plus grosse capitalisation boursière du CAC 40 proposera à ses invités de rencontrer ses athlètes, tel le nageur Léon Marchand, énorme espoir de médailles. Des lieux seront privatisés pour l’occasion, comme la terrasse du fastueux hôtel Cheval Blanc, qui offre une vue plongeante sur la Seine, ainsi que le club privé We Are, reboutiqué pour l’occasion en Maison LVMH.
« L’idée de la Maison LVMH, c’est d’accueillir pendant les épreuves les athlètes, les partenaires pour un déjeuner ou un dîner », dit un responsable de la communication du groupe, tout en assurant que l’objectif est de renforcer les liens commerciaux.
Egalement dans le club très fermé des sponsors premium, Orange a privatisé la halle des Blancs Manteaux, à quelques pas de l’Hôtel de Ville. Sur toute la durée de l’olympiade, le groupe de télécoms y assiste 2 000 clients, dont un tiers venus de l’étranger.
Carrefour et Allianz ont réservé des centaines de mètres carrés à l’intérieur et à l’extérieur du Club France installé à la Villette, une zone qui pourrait accueillir jusqu’à 700 000 visiteurs pendant la période. Entreprises et salariés d’abordrésume Eve Zuckerman.
La directrice Paris 2024 pour le géant français de la grande distribution, qui a prévu plusieurs cocktails pour ses franchisés et fournisseurs, fera circuler près de 16 000 billets, les Jeux paralympiques comprennent, grâce à un quota d’achats négocié avec le Cojop. L’occasion pour le PDG Alexandre Bompard de faire savoir que Carrefour soutient le judoka Teddy Riner et l’escrimeuse Sara Balzer.
Les partenaires privés sont les seuls à pouvoir associer à leurs communications les symboles olympiques comme les anneaux ou la mascotte, en vertu de la règle 40 de la charte olympique, qui régit la com des marques et des athlètes. C’est pour cela que Visa a obtenu le monopole des paiements pour les Jeux, et Coca-Cola des boissons.
Les marques non partenaires peuvent malgré tout se glisser dans les interstices en nouant des collaborations avec les délégations. Ainsi, la Casa Italia, installée au Pré Catalan, devrait servir de vitrine à Emporio Armani, qui habille les sportifs transalpins. De même pour Ralph Lauren, qui accompagne la Team USA House au Palais Brongniart, laquelle a chèrement monnayé l’accès à ses espaces.
D’autres entreprises mettent également à profit l’événement et investissent dans des forfaits à plusieurs milliers d’euros comprenant des billets, un hébergement et des repas gastronomiques. Ceux-ci pourront être servis dans les loges des sites olympiques, au Palais de Tokyo, dans un restaurant éphémère de la Tour Eiffel ou à la Maison de l’Amérique latine.
Quatre-vingts chefs, dont Pascal Barbot, Alexandre Gauthier et Nina Métayer, ont été retenus par le fournisseur exclusif des hospitalités pour Paris 2024, l’américain On Location.
«J’ai un client qui est invité à tour de bras pour consolider des négociations commerciales», glisse une lobbyiste. Elle a elle-même décliné des invitations alléchantes pour cause de congés. «La sympathie à vertu commerciale», plaisante un autre dirigeant d’un cabinet de conseil.
Certains sponsors se contenteront d’une présence moins clinquante. La Poste assume de n’avoir « pas d’événement ni de privatisation prévu, glisse une responsable. On ne joue pas dans la même cour que des sponsors comme LVMH.
Atos, partenaire informatique des Jeux, toujours enferré dans ses difficultés financières, ne prévoit pas non plus de soirée arrosée au champagne.
Chez les responsables publics, les invitations sont également sensibles. Plusieurs conseillers de l’Elysée ont confirmé leur venue dans les lieux et événements associés aux JO. Des parlementaires réunis par L’Observatoire de l’Europe préfèrent mettre en avant des invitations de fédérations sportives pour assister à des compétitions. D’autres cadres d’entreprise insistant sur les règles internes de conformité.
« Des fonctionnaires dans les administrations de Bercy ont un sentiment décliné, il doit y avoir eu un rappel de consignes », poursuit le même lobbyiste. « On invite nos partenaires, mais pas les politiques, car cela dépasse de toute façon les plafonds autorisés des cadeaux », corrobore le porte-parole de LVMH.
Pour la soixantaine d’entreprises françaises partenaires, la grande-messe sportive est aussi l’occasion de se positionner pour les contrats associés à d’autres méga-événements internationaux, comme les prochaines COP et expositions universelles.
« Les décideurs et les influenceurs seront là au minimum pendant quelques jours, donc tout le monde veut en profiter, s’exclame un responsable d’affaires publiques d’un des sponsors à l’agenda bien rempli. Aussi bien l’industrie, la technologie que l’événementiel veut démontrer son savoir-faire à des perspectives pendant ces Jeux.
Le Medef et Business France ont réuni un vivier de plus de 150 groupes tricolores pour se rendre dans les ambassades et les maisons des pays lors d’une tournée « France, terre des champions », qui se terminera le 6 septembre. « L’objectif est de chercher des moments de la mise en réseau pour présenter les entreprises françaises et générer des contacts qui leur bénéficieront à terme », insiste Marie-Cécile Tardieu, directrice générale déléguée de Business France.
Un déjeuner d’une dizaine de convives est, par exemple, prévu autour d’Erin Bromaghim, l’adjointe aux relations internationales de Los Angeles, le 30 juillet. Un effet vitrine joue déjà dans l’espoir de remporter des contrats associés aux JO 2028.