David Lavantureux, 39, co-owner of Domaine Lavantureux, is photographed at the property in Chablis, Burgundy region, France, 25 September 2024.

Milos Schmidt

« Je suis épuisé » : les viticulteurs français font face à des pertes de 60 % et Chablis est le plus touché par les intempéries

Le gel, les champignons et les précipitations record ont laissé les vignerons français « épuisés ».

Par une fraîche matinée de fin septembre, au cœur du vignoble chablisien, les vendangeurs transportent de gros et lourds seaux sur leurs épaules, trempés de sueur, alors qu’ils gravissent la pente très raide du vignoble du Vau de Vey.

C’est le dernier jour des vendanges au domaine Roland Lavantureux, et les ouvriers cueillent à la main les derniers raisins de Chardonnay prisés qui seront finalement transformés en un Premier Cru brillant et haut de gamme mis en bouteille par le domaine.

Mais les amateurs de vin du monde entier pourraient avoir du mal à mettre la main sur le « millisime » 2024, un vin issu de la récolte d’une seule année. Il sera disponible en plus petites quantités que d’habitude.

Une grande partie du territoire viticole français a été confrontée à l’une des années les plus humides jamais enregistrées en 2024 dans un contexte de changement climatique, après des années de défis pour les vignobles et la qualité du vin causés par la sécheresse et la chaleur.

Au domaine de Lavantureux, les vendanges n’ont duré que neuf jours, soit environ la moitié du temps habituel, après une année de rigueur climatique imprévisible marquée par le gel, la grêle, des précipitations records et la propagation d’un champignon dangereux qui a mis les producteurs de Chablis en haleine.

« C’est mon année la plus difficile »

«Je travaille ici depuis 2010. C’est mon année la plus difficile», déclare le vigneron David Lavantureux, qui suit les traces de son père Roland, lui-même vigneron. « Et tous les anciens vous diront la même chose. Cela a été une année très difficile car la météo était très imprévisible. Rien ne nous a été épargné. »

Le calvaire a commencé en avril avec le gel. Puis, en mai, une double tempête de grêle a frappé la région. Puis vint une pluie incessante, jusqu’aux vendanges. Selon la Fédération des vins de Bourgogne, quelque 1 000 hectares de vignes du pays chablisien ont été touchés par la tempête de mai. Et l’excès d’humidité a permis à un champignon destructeur de se développer.

Une fois implantée, la maladie entraîne d’énormes pertes de récoltes et peut également affecter la qualité du vin. Avec son frère Arnaud, David s’est battu pour lutter contre le mildiou avec différents traitements, emportés par la pluie et qui ne se sont pas révélés efficaces.

« Sur notre domaine, nous envisageons des pertes de 60 à 65 pour cent », explique David. « Ça va être une année de faibles rendements. »

Un vendangeur présente des raisins Chardonnay attaqués par le mildiou au Domaine Lavantureux, à Chablis, en Bourgogne, France, le 25 septembre 2024.
Un vendangeur présente des raisins Chardonnay attaqués par le mildiou au Domaine Lavantureux, à Chablis, en Bourgogne, France, le 25 septembre 2024.

Les conditions humides frappent les viticulteurs de toute la France

L’impact climatique ne s’est pas limité au domaine de Lavantureux. Les conditions humides partout en France ont fait des ravages dans de nombreuses régions viticoles cette année. Le mildiou, combiné aux épisodes de gel et de grêle, ont réduit la production globale.

Le ministère français de l’Agriculture estime qu’il s’élèvera à 39,3 millions d’hectolitres, soit en dessous des niveaux de 2023 (-18 %) et de la moyenne des cinq dernières années (-11 %).

« Cela a été une année très difficile, physiquement et mentalement, raconte Arnaud. « Nous sommes soulagés que la récolte soit terminée. Je suis épuisé. »

Les défis de cette année influenceront inévitablement les vins produits dans la cave familiale, donnant lieu à un millésime 2024 aux caractéristiques distinctes.

« Les bilans ne sont pas du tout les mêmes », ajoute Arnaud. « Il y a plus d’acidité. La maturité est moins optimale. Mais le but est d’élaborer le vin pour qu’au final, l’équilibre soit le plus parfait possible. »

Arnaud Lavantureux, 35 ans, est photographié entre des fûts de vin Chardonnay dans la cave de la propriété, à Chablis, en Bourgogne, France, le 25 septembre 2024.
Arnaud Lavantureux, 35 ans, est photographié entre des fûts de vin Chardonnay dans la cave de la propriété, à Chablis, en Bourgogne, France, le 25 septembre 2024.

Comment les vignerons français s’adaptent-ils au changement climatique ?

Situé dans la partie nord de la Bourgogne, le vignoble de Chablis bénéficie traditionnellement d’un climat favorable : des hivers froids, des étés chauds et des précipitations annuelles comprises entre 650 et 700 millimètres.

Mais le changement climatique modifie ces conditions, apportant un temps inhabituellement doux, des précipitations plus abondantes et des gelées printanières récurrentes qui étaient moins courantes dans le passé.

Les dégâts dus au gel sont particulièrement frustrants. Un phénomène similaire a frappé le vignoble français ces dernières années, entraînant d’importantes pertes financières. Et les scientifiques pensent que les gelées dévastatrices de 2021 ont été rendues plus probables par le changement climatique.

« Il fut un temps où l’on pensait qu’avec le réchauffement climatique qui s’installait, Chablis serait à l’abri du gel », raconte David. « Et finalement, au cours des 15 dernières années, c’est revenu encore plus fort. »

Pour s’adapter, les vignerons ont adopté des solutions créatives. Couper les vins plus tard permet de retarder le débourrement et de réduire la vulnérabilité aux gelées tardives, tandis que garder un feuillage plus large au-dessus des fruits protège les raisins du soleil brûlant lors des étés chauds.

En cas de menace de gel, de nombreux producteurs utilisent des méthodes coûteuses, comme allumer des bougies dans les vignobles. Ils installent également des lignes électriques pour réchauffer les vignes ou pulvérisent de l’eau sur les bourgeons pour créer une fine couche de glace qui garantit que la température des fleurs reste autour du point de congélation mais ne descend pas beaucoup plus bas.

Sur tout le territoire bourguignon, des dispositifs anti-grêle ont également été déployés pour tenter de diminuer l’intensité des averses de grêle.

« Cela aide à réduire les risques, mais cela ne garantit jamais une protection à 100 % », explique David. « Nous l’avons encore constaté cette année avec plusieurs tempêtes de grêle, dont deux particulièrement violentes. »

Un vendangeur récolte des raisins Chardonnay dans les vignobles du Domaine Lavantureux, à Chablis, en Bourgogne, France, le 25 septembre 2024.
Un vendangeur récolte des raisins Chardonnay dans les vignobles du Domaine Lavantureux, à Chablis, en Bourgogne, France, le 25 septembre 2024.

La demande pour Chablis augmente

Heureusement pour la famille Lavantureux, deux très bonnes années en 2022 et 2023 devraient permettre d’atténuer les pertes financières induites par la récolte réduite de 2024 alors que la demande internationale de Chablis reste solide, notamment aux Etats-Unis.

En juin, l’association des vins de Bourgogne a déclaré que les exportations de vins de Chablis vers les États-Unis avaient atteint 3 millions de bouteilles, générant 368 millions d’euros, soit une augmentation de 19 pour cent par rapport à l’année précédente.

« Nous avons laissé cette récolte derrière nous », déclare Arnaud Lavantureux. « Il est désormais temps de penser à la suivante. »

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