On estime que plus de 1,7 million de Palestiniens ont été déplacés depuis le début du conflit le 7 octobre, y compris un certain nombre d’entre eux qui ont fui la Bosnie lors de la guerre des années 1990 et sont désormais contraints de retourner dans ce pays européen.
Tout juste marié à une Bosnienne, Samir El-Barawy quitte Sarajevo en 1991. La région est en proie au chaos : le siège de la capitale bosniaque est sur le point de commencer.
Il est rentré chez lui, dans la bande de Gaza, pour chercher un refuge sûr face au conflit.
Aujourd’hui, quelque 32 ans plus tard, il a été contraint d’abandonner son pays natal pour fuir vers la Bosnie.
S’adressant à l’AFP, l’homme de 59 ans explique : « J’ai tout quitté, mais je suis en vie ».
Il s’exprimait quelques jours seulement après son arrivée dans un centre de réfugiés à Salakovac, dans le sud du pays.
Il avait fui avec sa famille son domicile à Beit Lahia, au nord de la bande de Gaza.
En 1991, il faisait partie des nombreux Palestiniens étudiant à Sarajevo.
Ils furent accueillis à l’époque par la Yougoslavie, dont faisait alors partie la Bosnie.
Lorsque le conflit a éclaté, le père de sa femme Sutka les a encouragés à partir, leur disant que « ça va exploser ici ».
Ils sont partis accompagnés de leur jeune fille Dalila.
Samir El-Barawy s’est occupé pendant des années d’une plantation de fraises sous serre, à seulement « 500 mètres de la frontière israélienne ».
Les affaires marchent longtemps et il exporte chaque année des milliers de tonnes de fruits, notamment vers l’Europe.
Au cinquième jour de la guerre, déclenchée par l’attaque sans précédent du mouvement islamiste palestinien Hamas contre Israël le 7 octobre, des tracts lancés depuis les airs par Israël sont tombés sur Beit Lahia.
« On nous a dit d’aller vers le sud via la route Salah ad-Din », qui traverse la bande de Gaza, explique El-Barawy.
Sa famille a ensuite passé plusieurs semaines à l’abri dans une école de l’ONU, avant de parvenir, comme d’autres binationaux et quelques blessés, à quitter l’enclave en guerre via le point de passage de Rafah vers l’Egypte.
Environ 240 personnes ont été kidnappées en Israël lors de l’attaque du Hamas qui a causé la mort de 1.200 personnes, en grande majorité des civils, selon les autorités israéliennes.
Depuis lors, Israël a juré d’« anéantir » le mouvement islamiste – et a bombardé sans relâche la bande de Gaza.
Une trêve humanitaire de quatre jours à Gaza est entrée en vigueur vendredi, après des jours de bombardements israéliens qui ont fait plus de 14 800 victimes – dont 6 150 enfants – morts et des centaines de milliers d’autres déplacés, selon le gouvernement du Hamas.
La maison de Samir et Sutka a été prise pour cible « le sixième jour de la guerre », dit-il, ajoutant : « C’était comme un tremblement de terre ».
Accompagnés de leurs deux filles, d’une de leurs belles-filles et de leurs petits-enfants, soit une quinzaine de personnes au total, ils ont de nouveau quitté le lieu qu’ils considéraient comme leur maison.
« Nous avons vu des cadavres le long de la route, des morts dans les voitures. Des chiens erraient autour des cadavres. Il y avait une odeur très forte », raconte El-Barawy à propos du voyage vers la sécurité.
« Nous avons décidé de ne plus jamais y retourner. Ce qui reste de ma vie, je veux le vivre en paix. Il n’y a plus de vie là-bas. »
D’autres personnes déplacées ont un peu plus d’espoir pour l’avenir de Gaza et du peuple palestinien.
« J’y retournerai dès la fin de la guerre », explique à l’AFP le docteur Ahmed Shahin.
Cet homme de 55 ans a été évacué le 16 novembre avec un groupe de plusieurs dizaines de personnes, composé de Bosniaques et de leurs proches.
Shanin avait d’abord pensé qu’il ne retournerait jamais chez lui à Jabalia, dans la région nord de Gaza.
Ce pédiatre, qui a étudié la médecine en Bosnie dans les années 1990, s’est porté volontaire pour travailler dans un hôpital du nord de la ville de Gaza au début du conflit.
Il a vu des choses terribles, notamment une femme tuée au cours de son neuvième mois de grossesse.
« Nous avons fait une césarienne pour sauver son bébé. La mère est décédée des suites d’un traumatisme crânien.
Les conditions à l’hôpital sont très vite devenues précaires. « Pas de médicaments, d’opérations sans anesthésie, d’amputations, pas d’eau pour se laver, pour stériliser… », dit-il.
Au fur et à mesure que la guerre avançait, « les arrivées de cadavres et de blessés s’intensifiaient » et le médecin ne pouvait plus tenir.
Alors qu’il étudiait en Bosnie, il avait obtenu la nationalité bosniaque et a donc quitté avec sa femme, leurs trois filles et leur fils de 17 ans la maison qu’ils avaient construite.
Fuyant dans un état de « paralysie totale », la décision de partir a été encore plus difficile.
C’est également dans cette maison que leur enfant aîné, Ali, a été tué par un missile en juillet 2014, lors d’une précédente flambée entre le Hamas et Israël en juillet 2014.
« Ali aurait eu 23 ans aujourd’hui », dit Shahin.
« Ce qui se passe à Gaza est une honte mondiale, dit le médecin en retenant ses larmes.
« Le monde assiste à la destruction en direct de bâtiments remplis d’enfants et de femmes, regarde le sang couler alors qu’il fait encore chaud – et cela ne fait rien. Ce n’est pas juste. »