En août, le Grand Palais avait été le théâtre de plusieurs épreuves d’escrime, lors des Jeux olympiques de Paris. Dans deux mois, il accueillera les compétiteurs mondiaux de l’intelligence artificielle, que la France tentera de mettre « en garde » à l’occasion de l’AI Action Summit.
« C’est un sommet international, pour lequel nous allons recevoir plus de 95 chefs d’Etats, des acteurs du secteur de l’intelligence artificielle venus du monde entier, des chercheurs et des acteurs de la société civile. Mais bien sûr, c’est un sommet qui a lieu à Paris », a indiqué à L’Observatoire de l’Europe Anne Bouverot, envoyée spéciale du président Emmanuel Macron pour l’organisation du sommet, lors d’un entretien conjoint avec Martin Tisné, chargé de la thématique. de « l’IA et le bien commun ».
Ancienne coprésidente du comité interministériel visant à échafader une stratégie dans le domaine de l’intelligence artificielle, Bouverot souhaite que les écosystèmes français et européens de l’intelligence artificielle puissent prendre la lumière.
Ils ont en tout cas une chance de saisir pour concurrencer les Etats-Unis et la Chine, estime-t-elle. Et la balle est désormais dans le camp de la Commission européenne. «Nous aimerions qu’elle puisse annoncer, à l’occasion du sommet, le début de sa feuille de route sur l’intelligence artificielle», précise-t-elle.
« Un certain nombre d’initiatives nécessaires au développement, que ce soit sur la formation des talents, la puissance de calcul ou le financement sont plus naturellement décidées à l’échelon européen. Nous continuons d’espérer des développements au-delà de ce qui a déjà été dit », ajoute-t-elle.
L’autre enjeu du sommet sera de fédérer les pays sur des initiatives communes à tous les pays volontaires, expliquent de concert Anne Bouverot et Martin Tisné. Ce dernier veut présenter en février une fondation, ou une organisation internationale, consacrée aux « communes numériques » afin de valoriser une démarche ouverte des technologies. « Il y a une fragmentation au niveau mondial des organisations d’intérêt général, et nous avons tout simplement besoin de travailler à une échelle différente », explique-t-il auprès de L’Observatoire de l’Europe.
Selon Tisné, l’objectif est de faire de cette organisation un espace de partage de données d’entraînement de qualité, afin que l’intelligence artificielle puisse explorer des secteurs de pointe. Le tout « en faisant la part entre le respect fondamental de la vie privée et les besoins collectifs », détaille-t-il, citant pour exemple le sujet des données de santé, « qui est parmi le plus difficile », notamment sur le plan de leur collecte et de leur exploitation, étant donné leur caractère sensible.
« Je ne vais pas promettre qu’on fera des miracles en quarante-huit heures de sommet sur le domaine le plus compliqué, mais je pense que si l’on veut être sérieux dans la démarche d’explorer l’impact positif de l’ intelligence artificielle, il faut travailler sur les domaines de la santé et de l’éducation. C’est critique», insiste-t-il.
Depuis plusieurs mois, Martin Tisné, qui dirige AI Collaborative, sonde et consulte les acteurs et représentants d’entreprises d’IA via un groupe WhatsApp dédié au sujet. L’objectif est tant de les convaincre de se joindre au projet qui de demander des financements : il espère pouvoir abonder le projet avec des financements publics et privés, à égalité.
Après l’AI Safety Summit organisé par le Royaume-Uni à Bletchley Park et concentré sur les risques posés par l’intelligence artificielle, puis le sommet de Séoul, en Corée du Sud, la France espère faire de son événement un rendez-vous davantage axé sur « les opportunités » de l’intelligence artificielle.
«Nous sommes à un moment du développement de l’intelligence artificielle où nous avons accès à des choses plus concrètes, avec des exemples d’applications dans beaucoup de domaines», estime Anne Bouverot pour appuyer le changement de vision entre le sommet de Paris et celui de Bletchley Park.
Prévu sur deux journées, les 10 et 11 février, le sommet parisien a progressivement étendu son agenda pour répondre aux attentes — et aux récriminations. Une coalition sur la soutenabilité environnementale de l’IA est envisagée, de même que des « journées culturelles » qui doivent permettre de faire dialoguer le secteur de l’IA et de la culture — et en creux les ayants droit, qui ont demandé plus de place au sein de l’événement. Des « journées scientifiques » sont également prévues pour tenter de fédérer le monde académique, tandis que les start-ups et entreprises bénéficieront d’un temps de réseautage à Station F.
La question de la gouvernance de l’intelligence artificielle sera l’un des enjeux les plus importants du sommet, Emmanuel Macron ayant appelé à plusieurs reprises à une « gouvernance mondiale ».
Si Anne Bouverot court les événements internationaux depuis l’été pour tenter de mettre les cinq continents autour de la table des discussions en février, elle promet surtout à ce stade une « clarification » des relations entre instances de gouvernance, aujourd’hui éparpillées. L’OCDE, le G7, le G20, mais aussi dans une certaine mesure l’Organisation internationale du travail (OIT), a déjà développé des observatoires ou se penche sur le sujet.
Anne Bouverot prévoit ainsi de s’appuyer sur le partenariat mondial sur l’IA, qui avait été créé en 2020 sous l’impulsion de la France et du Canada. « Il est adossé à l’OCDE dans un cadre inclusif. C’est l’OCDE qui l’anime, mais ce partenariat n’est pas limité (à ses) membres », précise-t-elle.
Reste à savoir si les multiples axes de travail sauront amadouer les deux géants du parti — la Chine et les Etats-Unis —, alors que la réélection de Donald Trump laisse présager un durcissement de leurs bras de fer technologique. Des responsables de l’AI Action Summit ont d’ores et déjà pris langue avec l’équipe du président élu et espèrent trouver des points de convergence autour de sujets consensuels, comme la protection de l’enfance.