Pourquoi le glyphosate n’est-il toujours pas interdit ? C’est la question que posent aux politiques les victimes de cet herbicide, alors que la Commission européenne prolonge pour dix ans son autorisation.
Le glyphosate est un herbicide utilisé pour éliminer les mauvaises herbes. Il a été commercialisé pour la première fois en 1974 et, à l’époque, ses effets sur la santé étaient inconnus. Mais son utilisation a depuis suscité de vifs débats autour des dangers de ce qui est devenu le pesticide le plus utilisé au monde.
En novembre, l’Union européenne a renouvelé son autorisation pour dix ans.
Quiberon, dans le nord-ouest de la France, abrite Ludovic Maugé, un ancien paysagiste de 52 ans. Sa vie a été détruite lorsqu’on lui a diagnostiqué un cancer dû à son travail avec le glyphosate.
Depuis 2020, la vie de Ludovic est devenue un combat quotidien. Il a passé six mois en soins intensifs et a dû subir 12 chimiothérapies successives.
« Cela remonte à 20 ans. Nous trouvions (du glyphosate) un peu partout. Nous travaillions simplement avec un pulvérisateur sur le dos, portant un t-shirt sans rien en dessous. »
« Les désherbants sont si puissants qu’ils attaquent le joint du pulvérisateur, ce qui provoque automatiquement des fuites. En fait, nos dos sont souvent trempés », explique Ludovic, ajoutant : « Quand je suis tombé malade, je n’ai pas vraiment fait le lien avec le glyphosate. Jusqu’au moment, bien sûr, où les analyses de sang ont révélé que mon sang en était empoisonné.
Les deux tiers des Européens réclament une interdiction totale des pesticides comme le glyphosate, selon un récent sondage. Des ONG et des centaines de citoyens sont descendus récemment dans les rues de Bruxelles pour faire entendre leur voix. Parmi les manifestants se trouvait João Camargo, chercheur en agro-industrie.
« Nous devons continuer à lutter contre le glyphosate car la décision d’approuver et de continuer à promouvoir ce poison pendant encore dix ans est inadmissible.
« C’est un enjeu sanitaire, un enjeu agricole et un enjeu d’avenir ». Nous devons empêcher que ce poison continue à se propager », a-t-il déclaré.
Le « lobby des pesticides » : connaît-on toute l’ampleur du danger ?
Ludovic n’a plus la force de poursuivre en justice la société agrochimique Monsanto, qui produisait des herbicides à base de glyphosate. Pourtant, aujourd’hui, de nombreux procès ont été gagnés dans le monde contre le géant allemand Bayer, qui a racheté Monsanto en 2018.
François Lafforgue est un avocat spécialisé dans ces questions. Il fut le premier à pouvoir faire le lien entre la pathologie de ses clients et l’utilisation d’herbicides et de pesticides. C’est lui qui a gagné le premier procès contre Monsanto.
« Nous sommes confrontés à un véritable lobby des pesticides qui tente de cacher le danger des pesticides pour qu’ils continuent à être utilisés par les agriculteurs et leurs employés », a-t-il expliqué.
« Ce lobby intervient à tous les niveaux. Il intervient d’abord au niveau européen lorsque les substances actives sont approuvées. Les études qui ont été prises en compte pour ce renouvellement d’approbation ne sont pas concluantes, et surtout, les études qui auraient dû être prises en compte , qui démontrent la dangerosité de ces substances actives, ont été exclues pour de mauvaises raisons par les autorités européennes », a argumenté François Lafforgue.
Au Parlement européen, nous avons rencontré Gilles Lebreton, député européen du parti d’extrême droite français Le Rassemblement National favorable au renouvellement de l’autorisation du glyphosate, mais pour une durée limitée à cinq ans. Il reconnaît les méfaits que peut causer le glyphosate.
Nous avons demandé s’il était possible de faire passer les intérêts économiques avant la santé publique.
« Pour moi, ce n’est pas exactement comme ça que le problème se pose », a-t-il répondu, « car ce ne sont pas seulement des intérêts économiques. C’est aussi un problème de sécurité alimentaire. Il faut notamment produire suffisamment de céréales pour nourrir la population ».
« Pour moi, la faute est aux responsables de la politique agricole commune, qui ont poussé pendant des années en faveur d’une agriculture industrielle », a déclaré Gilles Lebreton.
L’effet du glyphosate sur les femmes enceintes
A quelques kilomètres de la ville française de Vienne, Sabine Grataloup et Théo, une mère et son fils, ont remporté une belle victoire. Pour la première fois en France, les méfaits du glyphosate sur les bébés de femmes enceintes ont été officiellement reconnus.
« Ici, nous sommes dans le manège où nous montions à cheval, et sur lequel j’ai appliqué un désherbant à base de glyphosate. C’était quelque chose que je faisais régulièrement à l’époque. Mais il s’avère que je l’ai fait au tout début de ma grossesse. « , a déclaré Sabine à L’Observatoire de l’Europe.
Sabine n’avait aucune idée à l’époque à quoi elle exposait son corps.
« C’était très compliqué car à la naissance. J’aurais dû mourir », raconte Théo. « J’ai alors subi de nombreuses opérations. Au total, j’ai subi 54 anesthésies générales. »
Dans le cas de Sabine et Théo, la caisse française d’indemnisation des victimes des pesticides a reconnu le lien entre les malformations de Théo et l’usage de glyphosate par sa mère. Il perçoit une indemnité mensuelle d’environ 1 000 €.
Nous avons demandé à Sabine si elle pensait que Monsanto était au courant des dangers du glyphosate.
« (Dans les) Monsanto Papers, je ne veux pas me tromper ici, je pense que c’était en 2017, nous avons découvert de fausses études indépendantes qui étaient bien sûr en faveur du glyphosate. Il y avait des courriels internes reconnaissant qu’ils avaient testé le glyphosate seul, mais pas la formulation, par exemple. Et que, donc, le produit avait été autorisé sur la base d’informations pour le moins partielles (…) volontairement partielles. »
« Le produit en lui-même est dangereux, d’accord. Mais c’est surtout la bêtise de sa gestion, qui est bien plus révoltante que le produit lui-même. Combien de temps faut-il avant qu’il soit interdit ? C’est épouvantable », a conclu Théo.