Gagner gros et rapidement : comment les athlètes professionnels gèrent leur argent

Milos Schmidt

Gagner gros et rapidement : comment les athlètes professionnels gèrent leur argent

Les carrières des athlètes professionnels sont souvent courtes, mais les plus chanceux gagnent des millions, et rapidement. Forts de leur richesse durement gagnée, beaucoup choisissent de faire appel à des conseillers professionnels pour éviter une ruine financière qui n’est parfois qu’un mauvais investissement.

Jean-Charles Castelletto s’est acheté une ceinture griffée avec son premier salaire. Dix ans plus tard, les revenus du footballeur international camerounais ont été multipliés par 30. Pour gérer son argent, il s’appuie sur un conseiller financier spécialisé dans le patrimoine des sportifs professionnels.

Castelletto, 28 ans, dit qu’il n’est pas du genre à « devenir fou ». Il parle de son argent ouvertement et discrètement.

« Vivre dans un environnement de football est très dur », explique à l’AFP le père de trois enfants, assis à côté de son épouse Sabrina. « Quand on est seul, c’est compliqué. J’ai un conseiller en gestion de patrimoine depuis trois ans. J’attendais de lui un travail minutieux et tout s’est mis en place progressivement.

Les perspectives financières liées au fait d’être un athlète professionnel ne sont pas toujours faciles. Les carrières sont souvent courtes, chaotiques, avec des revenus disparates et peuvent s’arrêter brutalement à tout moment. Ainsi, s’appuyer sur des gestionnaires d’actifs professionnels peut s’avérer utile.

Jean-Charles Castelletto de Nantes, à gauche, défie le ballon avec Josh Wilson-Esbrand de Reims lors d'un match entre Nantes et Reims, dimanche 5 novembre 2023.
Jean-Charles Castelletto de Nantes, à gauche, défie le ballon avec Josh Wilson-Esbrand de Reims lors d’un match entre Nantes et Reims, dimanche 5 novembre 2023.

Castelletto fait partie des 120 clients d’Elite Patrimoine, société de gestion française créée il y a 15 ans, qui accueille des clients avec un salaire annuel minimum de 300 000 euros – certains gagnent plus de 15 millions d’euros.

« Nous ne sommes pas des magiciens », a déclaré Frédéric Schatzle, le patron de l’entreprise qui compte 13 salariés. « Notre travail consiste à rassembler des actifs financiers et immobiliers pour que l’athlète puisse commencer confortablement sa deuxième carrière professionnelle. »

« Nous devons optimiser sur de courtes périodes et nous disons aux athlètes : « Vous profitez de la vie, mais vous économisez. Lorsque vous gagnez 100, au lieu de m’en donner 10, vous m’en donnez 80 et vous vivez avec 20′ », a ajouté Schatzle.

Dans les locaux de l’entreprise à Toulouse, les chaussures XXL évoquent des basketteurs de renom de la NBA, comme Rudy Gobert (38 millions de dollars par an), ou Evan Fournier (19 millions de dollars par an).

« Aimants d’argent »

Elite Patrimoine gère également les finances de la basketteuse Céline Dumerc. Elle détient le record le plus élevé de 262 sélections par équipe et est l’une des rares femmes sur le marché des actifs sportifs en France.

« Quand on débute dans le basket féminin, on sait qu’il n’y a pas beaucoup d’argent à gagner », explique Dumerc à l’AFP. « Ensuite, j’ai signé un contrat à Ekaterinbourg en Russie. En deux ans, j’ai gagné plus que mes deux parents dans toute leur vie !

Céline Dumerc de la France lors de la seconde moitié d'un match de basket-ball féminin contre l'Australie, le vendredi 29 juillet 2016.
Céline Dumerc de la France lors de la seconde moitié d’un match de basket-ball féminin contre l’Australie, le vendredi 29 juillet 2016.

Le marché des actifs sportifs compte également des clients pilotes de F1, mais aussi des joueurs de handball, de rugby, de tennis et d’e-sport. Cette dernière est en pleine expansion, avec des prix élevés et des revenus pouvant atteindre 3 millions de dollars par an, selon Laurent Mesnil, conseiller d’Elite Patrimoine.

Mais le football reste l’acteur phare de l’entreprise.

« Aujourd’hui, pour les plus gros salariés du football français, nous sommes au-dessus des 30 millions annuels, sans parler de Kylian Mbappé du PSG ou de Karim Benzema d’Arabie Saoudite », a déclaré Schatzle, soulignant qu’il y a environ 5 000 sportifs professionnels en France, tous sports confondus.

Le journal français L’Equipe indique que 1 361 d’entre eux sont des footballeurs, citant une enquête réalisée en 2021 par le syndicat des footballeurs professionnels UNFP.

L’Equipe a également lancé une enquête pour la période 2022/2023, qui révèle que les salaires mensuels moyens en Ligue 1 (l’équivalent français de la Premier League anglaise) varient entre 20 000 et 1 million d’euros au PSG.

Le conseil en gestion de patrimoine est devenu un service que les agents doivent proposer pour attirer les sportifs, selon Jean-François Brocard, professeur de sciences économiques au CDES, une université d’économie du sport.

Il a déclaré que les conseils financiers peuvent parfois conduire à de mauvaises expériences, voire à des fraudes. « C’est de plus en plus fréquent dans le football, surtout avec la paupérisation des athlètes », a déclaré Brocard. « Lorsqu’ils viennent de milieux à faibles revenus, leurs familles les considèrent comme des « faiseurs d’argent » et refusent de laisser les conseillers financiers s’occuper de leurs revenus. Ils essaient de s’en occuper eux-mêmes, et cela peut conduire à des catastrophes. »

‘Mon père a dit…’

Bruno Bellone est l’un des premiers athlètes professionnels à avoir rendu public ses difficultés financières dans les années 1980. Il faisait partie de l’équipe de France qui a remporté l’Euro de football en 1984.

L’ex-athlète se souvient encore des semaines qu’il a passées à vivre dans sa voiture après avoir tout perdu, avant qu’un de ses coéquipiers, Jean Tigana, ne l’aide. « Aujourd’hui, je ne dois plus rien à personne, et c’est une belle chose », confie-t-il à l’AFP.

Une grave blessure l’oblige à mettre fin prématurément à sa carrière en 1990, alors qu’il n’a que 28 ans. A cette époque, un des amis de son père s’occupait de son argent.

Le Français Bruno Bellone (11 ans) marque un deuxième but contre l'Espagnol Luis Arconada lors de la finale France-Espagne du Championnat d'Europe en France, le 27 juin 1984.
Le Français Bruno Bellone (11 ans) marque un deuxième but contre l’Espagnol Luis Arconada lors de la finale France-Espagne du Championnat d’Europe en France, le 27 juin 1984.

« Mon père disait qu’il était un bon gars », se souvient Bellone. « C’était un promoteur immobilier qui utilisait mon argent pour développer sa propre entreprise. J’ai divorcé, j’ai perdu ma carrière… Et ce type m’avait seulement assuré pour ce qui se passait en dehors du terrain. J’ai tout perdu. 12,5 millions de francs (1,9 million d’euros).»

Depuis, d’autres footballeurs se sont exprimés sur des problématiques similaires, comme Ludovic Giuly ou Yohan Mollo. Le footballeur international français Paul Pogba a récemment fait la une des journaux à cause du chantage financier de ses proches.

Il existe de nombreux autres exemples de familles qui gèrent mal les revenus des athlètes, comme le père de la joueuse de tennis allemande Steffi Graf qui a commis une fraude fiscale avec l’argent de sa fille, ou la joueuse de tennis espagnole Arantxa Sánchez qui, selon elle, est responsable de la dette élevée de sa famille.

Le tennis n’est pas un sport aussi lucratif qu’on pourrait le penser. Le vainqueur de Roland Garros 2023 a effectivement gagné 2,3 millions d’euros, mais seuls quelques-uns gagnent de telles sommes.

« Ceux qui gagnent convenablement de l’argent aujourd’hui font partie du top 100 des joueurs. Ceux qui gagnent de l’argent en jouant au tennis font partie des 200 ou 250 meilleurs joueurs. En France, ils ne sont que 15», explique Morgan Menahem, ancien agent et manager d’une douzaine de joueurs, dont Jo-Wilfried Tsonga et Arnaud Clément.

« Un joueur de tennis est comme une entreprise qui fait des affaires partout dans le monde et dont les fondations doivent être solidifiées dès le début de sa carrière. De nombreux joueurs ne prennent pas les choses suffisamment au sérieux », a-t-il ajouté.

Selon Menahem, contrairement aux sports collectifs, les joueurs de tennis démarrent leur saison avec rien. Ils paient leurs propres déplacements, entraîneurs et professionnels de santé, ils ne savent pas où ils joueront ni quand, et ils n’ont aucune idée de la fin de la saison pour eux. Il prévient également que « les proches peuvent constituer un gros problème ».

L’avertissement de Platini

Le footballeur star à la retraite Michel Platini, 68 ans, veut mettre en garde les jeunes générations.

« Quand tu t’appelles Mbappé, Zidane, Platini, tu as toujours du monde autour, tout le monde t’aime. Les gens vous flattent et les choses sont faciles », a-t-il déclaré. « C’est le message que je veux que les gens entendent : ne faites pas des fantasmes de vos proches une réalité. Ils investissent avec votre argent, et c’est dangereux », a-t-il expliqué.

Enseigner et expliquer comment gérer l’argent est important, selon Battiston et Violeau, société de gestion d’actifs bordelaise.

« Les athlètes sont des compétiteurs et veulent des objectifs. On commence par la fiscalité, puis l’assurance en cas de sinistre, l’assurance vie, les investissements et l’immobilier » explique Romain Battiston. La grande majorité (85 %) de ses 120 clients sont des sportifs.

« Il y a un vrai tabou autour de l’argent, surtout en France. Les conseillers en gestion de fortune sont ceux qui peuvent vraiment s’attaquer au problème. Ce sont les seuls professionnels qui resteront dans la vie de l’athlète une fois sa carrière terminée», souligne l’athlète récemment retraité Cyriaque Rivieyran, nouveau client de Battiston et Violeau.

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