Avec une approche prudente et une dose d’humilité, Global Gateway pourrait réaliser pour l’UE ce que la BRI n’a pas encore réalisé pour la Chine : une influence durable à un coût acceptable, écrivent Rémi Meehan et Earl Wang.
Le scepticisme quant à la capacité de l’Union européenne à mettre en œuvre de grandes idées est presque un cliché dans les cercles de politique étrangère.
C’est peut-être la raison pour laquelle les médias et les têtes parlantes ont pour la plupart rejeté ou ignoré Global Gateway, l’ambitieuse stratégie de financement du développement de l’UE de 300 milliards d’euros, ou « connectivité » dans le langage bruxellois.
Les critiques sont connues : Global Gateway est trop petit pour être efficace. Elle est alourdie par la bureaucratie et les normes sociales et environnementales.
Pourtant, malgré son démarrage lent, les sceptiques seraient imprudents de l’annuler trop tôt. En décembre dernier, l’UE a signé un accord de partenariat économique historique avec le Kenya – le premier avec un État africain depuis 2016 – visant une coopération plus étroite en matière de commerce, d’investissement et de développement durable.
Aujourd’hui, Global Gateway bénéficie d’une configuration unique pour réussir là où d’autres initiatives similaires de financement du développement ont déçu.
Le contexte géopolitique du financement du développement a considérablement évolué au cours de la dernière décennie. Autrefois leader incontesté du financement du développement, la Chine a discrètement réduit ses investissements dans l’Initiative de la Ceinture et de la Route (BRI) au cours des quatre dernières années.
Pendant ce temps, la demande de nouvelles dépenses d’infrastructure dans les économies en développement reste à un niveau record. Le déficit mondial de financement des infrastructures au cours des 15 prochaines années est estimé à 15 000 milliards de dollars (13 700 milliards d’euros).
Avec le décollage de Global Gateway, l’UE est bien placée pour intervenir là où la Chine recule, tout en tirant les leçons de ses erreurs.
La BRI en Chine : défis croissants et fortunes en déclin
Avant le lancement de la BRI en 2013, seuls 5 % du portefeuille de prêts chinois à l’étranger étaient alloués à des pays en difficulté financière.
En 2022, il était passé à 60 %. En effet, la liste des pays coincés dans les prêts douteux de la BRI ne cesse de s’allonger.
Lorsque la Chine accepte de retarder le paiement des intérêts ou de fournir un refinancement d’urgence, elle impose souvent des conditions strictes, sapant ainsi l’image de Pékin en tant que partenaire de développement bienveillant.
Dans son acte d’agression financière peut-être le plus flagrant, la Chine a pris le contrôle du port de Hambantota, stratégiquement situé au Sri Lanka, en 2022, à la suite de la faillite dramatique du Sri Lanka, suscitant des cris de néocolonialisme et de néo-impérialisme. D’autres exemples troublants abondent.
Au Monténégro, un projet d’autoroute qui a échoué était assorti de conditions de prêt qui ont permis à la Chine de s’emparer du principal port du Monténégro.
Alors que davantage de prêts de la BRI se sont détériorés, la Chine est également confrontée à des pressions financières croissantes dans son pays. Il y a tout juste un mois, Moody’s a abaissé la perspective de la note de la Chine à négative.
Prudence : L’empreinte de la sagesse
Les restructurations et les insolvabilités imminentes des emprunteurs de la BRI présentent des opportunités pour l’UE. Bien qu’elle soit la plus grande économie du monde, l’UE a eu du mal à transformer son poids économique en influence stratégique sur la scène mondiale.
Global Gateway offre l’opportunité de changer cette dynamique et de renforcer l’influence mondiale de l’UE.
Pour réussir là où la BRI a trébuché, Global Gateway a raison de donner la priorité aux investissements prudents et d’éviter une extension excessive.
Même si seulement 66 milliards d’euros sur la capacité totale de 300 milliards d’euros de Global Gateway sont actuellement engagés, ces petites sommes peuvent néanmoins avoir un impact réel.
Le développement durable est plus réalisable au niveau des projets, en particulier lorsque les projets sont soigneusement sélectionnés, suivent les meilleures pratiques et impliquent profondément les parties prenantes locales.
Comme le démontrent les défis de développement de la Chine à l’étranger, le développement durable ne se résume pas à de grands chiffres. Le modèle public-privé de Global Gateway peut accroître l’impact de ses investissements, augmentant ainsi le nombre de projets réussis.
Des structures de financement mixtes public-privé peuvent créer un profil risque/récompense plus attractif pour les investisseurs, attirant ainsi des capitaux supplémentaires du secteur privé.
Global Gateway peut également fournir un financement inférieur au marché pour certaines parties de projets, permettant ainsi aux pays en développement de lever des capitaux supplémentaires aux taux du marché.
Combinée à son engagement envers les normes sociales et environnementales de l’UE, l’approche d’investissement collaborative de Global Gateway permet de garantir que Global Gateway évitera les réactions négatives qui ont tourmenté de nombreux investissements gouvernementaux dans la BRI.
Concentrez-vous sur vos points forts
Il faut reconnaître que Global Gateway se concentre, à juste titre, sur cinq « domaines de partenariat » dans lesquels l’UE dispose d’un avantage concurrentiel. Il s’agit notamment du numérique, du climat, des transports, de la santé et de l’éducation.
Ces domaines correspondent étroitement à l’expertise existante de l’UE et s’intègrent également parfaitement au discours de l’UE selon lequel Global Gateway est une « offre fondée sur des valeurs » qui reflète les normes sociales et environnementales de l’UE.
Avec ce langage, l’UE présente Global Gateway comme une option plus conviviale et plus durable pour le financement du développement.
Même si certains régimes autocratiques ou autoritaires peuvent considérer cette « offre fondée sur la valeur » comme un inconvénient, et malgré le recul démocratique mondial au cours de la dernière décennie, de nombreuses personnes dans les pays en développement préfèrent encore la démocratie à toute autre forme de gouvernement.
Afrobaromètre, une organisation de recherche panafricaine non partisane, a constaté que 70 % des personnes interrogées en Afrique ont déclaré que la démocratie était leur forme de gouvernement préférée.
Les recherches de l’Arab Opinion Index ont démontré des résultats similaires dans tout le Moyen-Orient.
« Réduire les risques » en Chine
La présentation par l’UE de Global Gateway comme une autre « option d’investissement » pour les économies en développement est également stratégiquement judicieuse. Un refrain commun parmi les économies en développement est qu’elles ne veulent pas choisir entre la Chine et les États-Unis.
En présentant Global Gateway comme un moyen permettant aux pays en développement de « réduire les risques » liés à la Chine s’ils choisissent de le faire, Global Gateway respecte le pouvoir décisionnel de ces nations et interagit avec elles en tant que partenaires.
De plus, la « réduction des risques » fonctionne dans les deux sens. Tout comme les économies en développement peuvent diversifier leur stock d’investissements étrangers, l’UE réorganiserait volontiers certaines de ses chaînes d’approvisionnement de la Chine vers d’autres économies plus fiables – une notion de « délocalisation alliée » ou « de délocalisation amie ».
La Chine a toujours été le fournisseur mondial indispensable de matières premières nécessaires à la fabrication des batteries de véhicules électriques, des panneaux solaires et des éoliennes.
Déjà, les projets Global Gateway en Namibie, au Kazakhstan et en République démocratique du Congo visent à garantir l’approvisionnement de l’Europe en matières premières essentielles aux technologies vertes.
Tous aspects considérés, malgré les innombrables critiques formulées à l’encontre de Global Gateway, la stratégie reste une opportunité unique pour l’UE de développer sa marque de développement et de développer une influence stratégique à la hauteur de sa force économique.
Les prétendues faiblesses de Global Gateway – sa taille, l’accent mis sur les meilleures pratiques et sa dépendance à l’égard du secteur privé – pourraient s’avérer être des fonctionnalités plutôt que des bugs.
Avec une approche prudente et une dose d’humilité, Global Gateway pourrait réaliser pour l’UE ce que la BRI n’a pas encore réalisé pour la Chine : une influence durable à un coût acceptable.