Les femmes ignorent souvent la discrimination salariale dans leur travail, car les entreprises peuvent garder les salaires secrets. La transparence des salaires résoudrait ce problème, écrit le professeur Roland Erne.
Le droit à un salaire égal pour un travail de valeur égale existe depuis des années. L’un des premiers pays d’Europe à mettre en œuvre des lois sur l’égalité de rémunération pour les femmes fut l’Islande en 1961, suivi par d’autres pays.
Malgré cela, partout en Europe, les femmes gagnent encore beaucoup moins que les hommes : en 2022, l’écart salarial entre hommes et femmes était de 12,7 % dans l’UE, ce qui signifie que les femmes gagnaient 87,30 € pour 100 € gagnés par les hommes.
L’écart salarial persistant entre les sexes a même conduit au concept de Journée de paie des femmes – un jour chaque année où la femme moyenne cesse symboliquement de travailler gratuitement, sur la base d’une comparaison salariale avec celle d’un homme moyen. En 2024, pour le Royaume-Uni, ce jour était le 21 février.
Dans certaines régions du monde, l’écart salarial entre hommes et femmes est bien pire, cette date symbolique pourrait donc tomber encore plus tard dans l’année.
S’il existe des lois pour prévenir les disparités salariales entre hommes et femmes, pourquoi ces lois ne garantissent-elles pas la protection salariale des femmes ?
La réponse réside dans les lois elles-mêmes
Si les femmes veulent faire valoir les droits énoncés dans les lois sur l’égalité de rémunération, elles doivent poursuivre leur employeur en justice.
Les procès contre un employeur ne sont pas faciles à gagner car ils peuvent garder les salaires secrets. De plus, il existe un risque de représailles de la part des employeurs contre les salariés.
L’adoption de lois du travail qui rendent l’égalité de rémunération juridiquement contraignante ne suffit pas pour réellement parvenir à l’égalité de rémunération.
Entre 1996 et 2007, par exemple, il n’y a eu que 31 procès pour l’égalité salariale en Allemagne, 16 en France et un en Pologne, ce qui montre à quel point il peut être difficile pour les salariés de garantir que les lois sur l’égalité salariale soient respectées par les employeurs. Avoir un droit et le faire mettre en œuvre sont deux choses très différentes.
Un exemple des limites des mécanismes d’exécution vient de Suisse. En 1996, le législateur suisse a adopté la loi sur l’égalité entre hommes et femmes, protégeant le principe de l’égalité de rémunération pour un travail de valeur égale pour les hommes et les femmes. En 1999, ils ont également appliqué des mesures similaires pour les travailleurs migrants, mettant fin à l’inégalité de traitement juridique entre les travailleurs de différentes nationalités.
Même si tous deux consacrent légalement le principe de l’égalité de rémunération pour les femmes et les travailleurs migrants, ils nécessitent des mécanismes d’application très différents.
L’application de la loi protégeant l’égalité de rémunération entre hommes et femmes reposait sur des litiges : les plaignants individuels devaient passer par le système judiciaire.
Le cas des travailleurs détachés
Toutefois, l’application de l’égalité de rémunération pour les « travailleurs détachés » selon les normes du pays d’accueil ne repose pas sur des procédures judiciaires.
Un « travailleur détaché » est un salarié envoyé par son employeur pour effectuer une prestation de service dans un autre État membre de l’UE ou dans un pays associé au marché unique de l’UE (comme la Suisse) à titre temporaire.
Au lieu de cela, les syndicats suisses, les associations d’employeurs et les autorités régionales ont le droit de procéder à des contrôles obligatoires de la masse salariale d’une entreprise. Ils ont également le droit d’imposer des sanctions en dehors du système judiciaire ou d’exclure des entreprises des appels d’offres publics si elles n’indemnisent pas les travailleurs détachés conformément aux normes locales.
Cela permet aux travailleurs détachés de l’étranger et victimes de discrimination salariale d’alerter directement un syndicat sans avoir à craindre de représailles de la part des employeurs.
Chaque année, les partenaires sociaux suisses et les autorités régionales vérifient les comptes de paie de dizaines de milliers d’entreprises pour faire respecter l’égalité salariale selon la nationalité, tandis que les tribunaux suisses n’examinent qu’une centaine de cas de discrimination salariale liée au sexe.
En 2020, une loi suisse révisée sur l’égalité entre hommes et femmes oblige désormais les entreprises à analyser leur écart salarial entre hommes et femmes par l’intermédiaire d’un organisme indépendant et à communiquer les résultats aux salariés.
Néanmoins, les soi-disant « mesures d’accompagnement » sur l’égalité de rémunération pour les travailleurs détachés envoyés en Suisse décrites ci-dessus offrent encore de meilleurs remèdes pour faire respecter l’égalité de rémunération selon l’origine nationale que selon le sexe.
Qu’impliquerait une plus grande transparence des salaires ?
Non seulement l’Islande a été l’un des premiers pays à mettre en œuvre des lois sur l’égalité de rémunération, mais elle est également devenue le premier pays au monde à imposer légalement la transparence des salaires entre les hommes et les femmes.
Depuis 2018, chaque entreprise islandaise comptant 25 employés ou plus exige un certificat prouvant qu’elle rémunère de manière égale tous ceux qui occupent les mêmes fonctions. Les pays de l’UE seront désormais soumis à des normes similaires.
En 2023, le Parlement européen et le Conseil européen ont adopté une nouvelle directive européenne visant à renforcer le principe de l’égalité de rémunération entre hommes et femmes pour un travail égal ou de valeur égale.
Cette nouvelle loi oblige les États membres de l’UE à ajuster leurs lois nationales sur l’égalité salariale, en renforçant la transparence salariale et l’application de l’égalité salariale.
Une fois adopté, chaque salarié aura le droit de connaître le salaire moyen de tous les salariés effectuant un travail équivalent dans la même entreprise. Chaque entreprise de plus de 100 salariés sera également tenue de rendre compte régulièrement de l’écart salarial entre hommes et femmes.
Les femmes ignorent souvent la discrimination salariale dans leur travail, car les entreprises peuvent garder les salaires secrets. La transparence salariale à travers cette directive permettra non seulement aux femmes d’être informées des salaires dans leur entreprise afin qu’elles puissent prendre les mesures nécessaires en cas d’écart salarial, mais permettra également une évaluation appropriée des raisons qui sous-tendent les inégalités salariales.
En outre, les États membres de l’UE seront autorisés à l’avenir à compiler et à publier eux-mêmes des informations sur les salaires par entreprise, sur la base des données fournies par les employeurs aux autorités fiscales et de sécurité sociale.
Si l’écart salarial est supérieur à 5 % et ne peut être objectivement justifié, l’entreprise doit convenir de mesures correctives avec son syndicat ou un autre organe représentatif des salariés, tel qu’un comité d’entreprise, conformément au droit national du travail.
D’autres mesures, telles que l’allègement de la charge de la preuve ou une meilleure protection contre les actes de vengeance des plaignants, renforcent également la protection salariale des femmes et l’égalité salariale.
Cette directive est entrée en vigueur en juin 2023 et les États membres disposent de trois ans pour la transposer en droit national. L’horloge tourne.