La décision politique de Tunis de mobiliser des ressources pour augmenter les dépenses sans répondre à la nécessité de réduire les dépenses, de réduire les effectifs du gouvernement et de réduire l’empreinte économique de l’État est un désastre imminent, écrit Sadok Rouai.
Le président tunisien Kaïs Saïed a récemment déclaré que l’autonomie de la banque centrale ne devait pas être synonyme d’indépendance vis-à-vis de l’État.
Saïed a insisté sur le fait que l’autonomie s’applique à la politique monétaire mais pas au financement du budget de l’État. Cela fait suite au récent report de la mission du FMI chargée de discuter de l’accord sur le fonds monétaire pour la Tunisie.
La déclaration du président contre l’autonomie de la Banque centrale a marqué le point culminant d’une série d’attaques contre sa souveraineté, visant à renverser l’article 25 de son statut actuel qui interdit le financement direct du budget de l’État.
Le gouverneur de la banque, Marouane El Abassi, avait précédemment averti que le financement du budget par la banque centrale entraînerait une hausse incontrôlable de l’inflation et reproduirait le scénario vénézuélien dans le pays.
Mais quels sont les motifs qui sous-tendent les efforts troublants de Saïed pour renverser l’article 25 ?
Le rejet populiste de la consolidation du régime d’un seul homme
Plus d’un an s’est écoulé depuis que la Tunisie a signé un accord préliminaire de 1,9 milliard de dollars (1,73 milliard d’euros) avec le FMI, dirigé par l’équipe économique de l’ancienne cheffe du gouvernement Najla Bouden, le 15 octobre 2022.
L’accord ciblait les déséquilibres financiers au moyen de mesures telles que la réduction des subventions non ciblées, la réduction de la masse salariale du secteur public et la réforme des entreprises publiques déficitaires.
Le rejet populiste de Saïed de l’accord du FMI, le citant comme un outil de l’impérialisme occidental, fait suite à ses mesures visant à consolider le pouvoir d’un homme depuis septembre 2021.
Gouvernant la Tunisie unilatéralement par des décrets, contournant la constitution et réprimant les critiques, Saïed a supervisé une aggravation de la crise économique marquée par une pauvreté croissante, des pénuries de produits essentiels et une flambée des prix.
Il considère que la mise en œuvre des réformes du FMI pourrait déclencher des protestations, posant ainsi un défi à son contrôle politique.
L’engagement à mettre en œuvre des réformes cruciales pour la finalisation de l’accord avec le FMI a donc été longtemps retardé.
Cette résistance s’est encore intensifiée avec le récent limogeage par Saïed du ministre de l’économie et du plan, qui avait dirigé les négociations avec le FMI et restait attaché à la mise en œuvre des réformes convenues.
Une solution rapide ne suffira pas
Dans l’intervalle, confrontées à un accès limité au financement étranger, les autorités se sont fortement appuyées sur le financement local, notamment celui du système bancaire.
Ils ont accumulé des arriérés auprès des fournisseurs étrangers et locaux. La Tunisie a ainsi connu une baisse significative des importations et de la distribution des produits subventionnés, entraînant de fréquentes pénuries.
Les banques locales sont confrontées à une capacité limitée pour financer le budget de l’État, ce qui suscite des appels pour pousser la Banque centrale à le faire. Il s’agit d’une alerte rouge : la Tunisie doit cesser de dépendre de solutions à court terme en ce moment périlleux.
Les donateurs bilatéraux doivent soutenir vigoureusement les réformes économiques systémiques et la souveraineté des banques centrales dans le cadre d’un accord avec le FMI. Il n’existe pas d’autre voie pour l’avenir économique de la Tunisie.
Les partisans des amendements au statut de la Banque centrale soutiennent que la réintroduction du financement budgétaire direct, dans les limites légales, serait durable et aurait un impact minimal sur l’inflation.
Ils soutiennent qu’un tel financement éliminerait les coûts d’intermédiation imposés par le système bancaire.
Cependant, cette perspective néglige le risque d’abus potentiels et d’utilisation abusive de la loi, offrant au gouvernement une solution pratique mais temporaire.
La décision politique de mobiliser des ressources pour augmenter les dépenses sans répondre à la nécessité de réduire les dépenses, de réduire les effectifs du gouvernement et de réduire l’empreinte économique de l’État est un désastre imminent.
L’histoire se répète
L’histoire économique de la Tunisie devrait servir de mise en garde contre toute compromission de l’indépendance de la Banque centrale.
Au début des années 1980, la mauvaise gestion populiste de l’économie a conduit à une augmentation du déficit budgétaire de 2,8 % du PIB en 1980 à 8,1 % en 1983.
À l’instar de ce à quoi nous assistons aujourd’hui encore dans le pays, l’État a privilégié les raccourcis pratiques plutôt que les réformes structurelles nécessaires mais difficiles.
À partir de 1982, le ministre tunisien des Finances et de la Planification de l’époque a demandé au gouverneur de la Banque centrale d’exécuter une série d’opérations comptables qui fourniraient un financement direct au Trésor au-delà des limites du budget. Ces transactions représentaient 5,8% du PIB à la fin de 1983.
À la fin des années 1980, cette approche s’est avérée manquer de vision et s’est soldée par un échec, et la Tunisie a finalement dû recourir à l’aide du FMI pour remédier à ses déséquilibres financiers.
Malgré les efforts initiaux visant à sauvegarder l’indépendance de la Banque centrale, les ingérences se sont poursuivies, marquées par un roulement élevé de gouverneurs prématurément démis de leurs fonctions. Initialement stable, avec trois gouverneurs en poste pendant 22 ans depuis sa création en 1958 jusqu’aux années 1980, les nominations ultérieures – à l’exception de l’actuelle – ont vu sept gouverneurs sur dix destitués prématurément en raison de considérations politiques.
Le gouvernement tunisien doit voir la lumière
Les donateurs bilatéraux doivent souligner l’impératif de préserver l’indépendance de la Banque centrale tunisienne et de faire progresser sa modernisation, parallèlement aux négociations cruciales pour un accord avec le FMI.
L’interdiction du financement direct du budget par la Banque centrale est en vigueur depuis 2006. Si la Tunisie fait marche arrière et invoque des politiques qui se sont révélées être des échecs évidents dans les années 80, cela entraînera la chute libre de l’économie fragile du pays.
La Banque centrale de Tunisie a réalisé des progrès notables en matière de transparence, mais des améliorations supplémentaires sont nécessaires.
Il s’agit notamment d’empêcher les représentants du gouvernement de rejoindre son conseil d’administration et d’établir des critères clairs pour la nomination et la révocation de son gouverneur et de ses administrateurs, de respecter les délais légaux pour la publication du rapport annuel, d’engager des experts externes pour les évaluations politiques (comme le montrent des initiatives réussies en Angleterre, en Australie, Irlande, Chili, Espagne et ailleurs), rendant les archives accessibles aux chercheurs et annonçant les décisions importantes par le biais de conférences de presse.
Le caractère inévitable des réformes économiques structurelles en Tunisie aujourd’hui est parfaitement clair.
Le parlement du pays ayant récemment adopté le budget 2024, le moment est opportun pour ce débat. Les bailleurs de fonds bilatéraux et les institutions multilatérales doivent persister à encourager la Tunisie à s’engager dans des négociations significatives avec le FMI et à sauvegarder l’indépendance de ses institutions.
L’avenir économique de la Tunisie en dépend.