FILE: A crew member of the fishing vessel Sophie Louise II, repair

Milos Schmidt

Eurovues. La crise de la pêche dans l’UE exige une action immédiate et non un optimisme déplacé

Un avenir prospère pour la pêche est encore à notre portée. C’est l’héritage sur lequel les décideurs politiques doivent s’engager aujourd’hui, pas demain. Fermer les yeux sur les réalités de notre situation ne mène nulle part, écrivent Pascale Moehrle et le Dr Monica Verbeek.

Un nouveau rapport publié par la Commission européenne le 14 janvier, Les pêcheurs du futur, dresse quatre scénarios différents pour la pêche et les écosystèmes marins d’ici 2050, du meilleur au pire.

Ceux d’entre nous qui connaissent l’état actuel de nos mers reconnaissent que les pires scénarios se dessinent déjà, jetant le doute sur les projections plus optimistes du rapport.

Au lieu de mers prospères, de pratiques durables et de moyens de subsistance équitables, nous avons de vastes étendues de fonds marins marqués et stériles – vestiges d’une exploitation incontrôlée – et des écosystèmes marins en chute libre, aggravés par les effets du changement climatique.

Les scénarios les plus optimistes supposent que des ajustements politiques progressifs, des progrès technologiques et des évolutions du marché conduiront à un secteur de la pêche durable.

Toutefois, ces hypothèses reposent sur des fondements irréalistes. Des éléments clés de la politique commune de la pêche (PCP) ne sont toujours pas mis en œuvre et les subventions continuent d’alimenter les pratiques industrielles mêmes qui sont à l’origine de l’effondrement écologique.

Voler face aux expériences vécues

Dans les communautés touchées telles que Thorupstrand au Danemark, la privatisation incontrôlée des quotas (l’attribution ou le transfert de droits de pêche à des particuliers ou à des entreprises, souvent par le biais de mécanismes basés sur le marché) a poussé les pêcheurs au point de rupture.

Les subventions néfastes (qui la rendent artificiellement rentable malgré son inefficacité et ses coûts environnementaux élevés) et les exonérations de taxes sur les carburants ont perpétué une pêche industrielle destructrice au détriment des opérations à petite échelle.

L’optimisme du rapport va à l’encontre de ces expériences vécues et risque de retarder une action urgente.

Le rapport reste vague sur l’exclusion des pêcheurs artisanaux, des communautés côtières et des ONG des processus décisionnels, renforçant ainsi les inégalités dans l’allocation des ressources.

Les harengs sont entassés dans le filet d'un bateau de pêche revenant d'une prise dans le port de Niendorf, dans la mer Baltique, dans le nord de l'Allemagne, avril 2021
Les harengs sont entassés dans le filet d’un bateau de pêche revenant d’une prise dans le port de Niendorf, dans la mer Baltique, dans le nord de l’Allemagne, avril 2021

Le chalutage de fond, une méthode de pêche destructrice où de lourds filets sont traînés le long du fond marin, continue de dévaster les fonds marins et la biodiversité, même dans les prétendues zones marines protégées (AMP), les régions désignées de l’océan où l’activité humaine est gérée ou restreinte pour sauvegarder les écosystèmes.

Malgré les engagements de l’UE, seuls deux États membres ont pris des mesures pour interdire le chalutage de fond dans les AMP, laissant la plupart des zones sans protection.

Ces échecs sont aggravés par un manque d’application et une régression dans la gouvernance des pêches, illustrées par les nombreuses poursuites judiciaires intentées par des groupes environnementaux devant les tribunaux nationaux l’année dernière en France, en Espagne, en Allemagne, en Suède et aux Pays-Bas.

Cinq millions de moyens de subsistance en jeu

Ne pas gérer correctement les AMP coûte cher aux Européens, car des AMP bien protégées, exemptes de pêche destructrice, offrent de vastes avantages économiques en plus de la biodiversité et de la résilience climatique, car elles stimulent la pêche artisanale, le tourisme et les activités récréatives dans de nombreuses régions côtières de l’UE.

De nombreux exemples à travers l’Europe ont eu des impacts socio-économiques positifs, tels que le parc national marin de Kosterhavet (Suède), la réserve marine d’Os Miñarzos (Espagne) et l’AMP de Torre Guaceto (Italie).

Le secteur de l’économie bleue emploie près de 5 millions de personnes dans l’UE, et la création d’AMP efficaces est essentielle pour soutenir les secteurs importants qui opèrent autour et à proximité des AMP, comme la pêche, la navigation de plaisance, la plongée et la pêche à la ligne.

La fenêtre du changement se ferme. Les cinq prochaines années détermineront si la pêche européenne pourra survivre à la crise actuelle. L’action immédiate doit inclure l’application complète de la PCP, l’interdiction du chalutage de fond dans toutes les AMP et la réorientation des subventions vers les pêcheries à faible impact.

Ulrik Koelle Hansen, à gauche, remet une caisse de plie à un employé d'entrepôt à Bagenkop, Danemark, octobre 2016.
Ulrik Koelle Hansen, à gauche, remet une caisse de plie à un employé d’entrepôt à Bagenkop, Danemark, octobre 2016.

Le rapport reste vague sur l’exclusion des pêcheurs artisanaux, des communautés côtières et des ONG des processus décisionnels, renforçant ainsi les inégalités dans l’allocation des ressources.

Les flottes industrielles, qui bénéficient souvent de l’essentiel des distributions de quotas et des subventions, dominent le secteur tandis que les pêcheurs traditionnels sont confrontés à un accès réduit aux ressources.

Même s’il met en avant les opportunités économiques liées aux pratiques durables, il ne parvient pas à remédier à la précarité économique du secteur actuel.

Le chalutage de fond industriel persiste parce qu’il est artificiellement soutenu par des subventions, notamment des exonérations de taxes sur les carburants, malgré son inefficacité économique et ses dommages écologiques. Il est urgent de procéder à une comparaison détaillée des coûts de la pêche industrielle par rapport aux avantages de la transition vers des méthodes à faible impact.

Nous ne pouvons pas continuer à fermer les yeux sur la situation

La fenêtre du changement se ferme. Les cinq prochaines années détermineront si la pêche de l’UE pourra survivre à la crise actuelle. L’action immédiate doit inclure l’application complète de la PCP, l’interdiction du chalutage de fond dans toutes les AMP et la réorientation des subventions vers les pêcheries à faible impact.

Sans ces mesures, les pires scénarios décrits dans le rapport se produiront bien avant 2050.

Si elles sont bien gérées, les pêcheries ont le potentiel de fournir une alimentation saine et de soutenir les communautés locales tout en respectant l’environnement marin. L’Europe dispose de tous les outils à sa disposition pour y parvenir – et en effet, là où les règles de la PCP ont été bien mises en œuvre, nous avons vu les stocks de poissons rebondir, avec des bénéfices positifs pour les pêcheurs qui en dépendent.

Un avenir prospère pour la pêche est encore à notre portée – un avenir où les pêcheries durables prospèrent, où les communautés côtières sont responsabilisées et où les écosystèmes océaniques sont restaurés.

C’est l’héritage sur lequel les décideurs politiques doivent s’engager aujourd’hui, pas demain. Fermer les yeux sur les réalités de notre situation ne mène nulle part.

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