PARIS — L’oasis n’était-elle qu’un mirage ? En suspens depuis plus de six ans, un fonds de dotation abondé par l’Arabie saoudite doit être créé pour soutenir le patrimoine français, une contrepartie prévue dans un accord signé en 2018 entre Paris et Riyad pour moderniser la région saoudienne d’AlUla.
Le montant de ce fonds a fait le grand écart, au gré des changements de ministres de la Culture et des relations entre la France et le royaume saoudien. Désormais, la somme sur la table plafonnerait à 50 millions d’euros.
C’est loin, très loin des « 800 millions d’euros (des) premières estimations », regrettent trois sénatrices, qui ont impliqué l’Agence française pour le développement d’AlUla (Afalula) à l’occasion d’un rapport sur l’Arabie saoudite, présentée fin octobre en commission des Affaires étrangères.
Une première proposition française, réalisée en amont du accord entre Paris et Riyad, s’élèverait même à plus de 1 milliard d’euros.
Plusieurs interlocuteurs, auxquels L’Observatoire de l’Europe a garanti l’anonymat, dressent un historique en yoyo de cet engagement toujours pas tenu, et évoquaient, encore l’année dernière, un chèque d’au moins 200 millions d’euros.
Ces ordres de grandeur ont toujours été des «hypothèses franco-françaises» aux «montants fantaisistes», qui n’ont jamais reçu la validation finale des autorités saoudiennes, assure aujourd’hui une source ministérielle au fait des pourparlers.
« Nos prédécesseurs ont fait preuve de naïveté. Avec le cours actuel du baril de pétrole, même les Saoudiens, aussi riches soient-ils, n’ont plus les moyens de cette ambition», a entérine le même interlocuteur.
Au moment où le président de la République Emmanuel Macron et le prince héritier Mohammed ben Salmane ont signé l’accord intergouvernemental à Paris, le 10 avril 2018, aucune dotation n’est explicitée.
La création de ce fonds de soutien est présentée comme une contrepartie de la « reconnaissance de l’engagement » des Français pour développer sur dix ans le mégaprojet d’AlUla, un « musée vivant à ciel ouvert » pour transformer le royaume en destination touristique.
La diplomatie culturelle française voit alors dans ce futur un possible doublé, après les 400 millions d’euros décrochés auprès des Émiriens pour l’exploitation de la marque du musée du Louvre à Abu Dhabi, ouverte en novembre 2017.
Mais peu de temps après la signature, l’assassinat en octobre 2018 du journaliste Jamal Khashoggi, critique du pouvoir saoudien, tend les relations entre Macron et le prince héritier, et ajourne la naissance du fonds de dotation.
Dans un numéro de la revue Politique Internationale de l’automne 2019, le président d’Afalula, Gérard Mestrallet (auquel a succédé Jean-Yves Le Drian), espérait encore que ce fonds serve « à financer notamment des ouvrages civils, des ponts anciens, des châteaux de province ou des petites Les églises qui, contrairement à Notre-Dame, n’ont pas la chance de mobiliser les donateurs ».
S’ensuivent plusieurs années de silences, de relances, de négociations lentes et de revues à la baisse. La concurrence de visions entre les ministères des Affaires étrangères et de la Culture n’aide pas à faire avancer le dossier, auprès d’une Arabie saoudite qui, regardante sur les sites patrimoniaux à aider, ne veut pas être réduite à un guichet.
« Tout a été fait pour que ça traîne et que la somme diminue. Si, avant, les Saoudiens voulaient peut-être faire plaisir à des pays, ils pensent aujourd’hui d’abord à eux», interprète le président d’un établissement culturel.
Il faut attendre le 31 2022 pour qu’un premier comité franco-saoudien de suivi de l’accord intergouvernemental se réunisse pour mettre au point les modalités, en présence notamment de Jean-Yves le Drian et Roselyne Bachelot, alors respectivement ministre des Affaires étrangers et ministre de la Culture.
Deux autres voyages des ministres Catherine Colonna (Affaires étrangères) en février 2023 et Rima Abdul-Malak (Culture) en mars 2023 fondent l’espoir, finalement vain, de réactiver les échanges entre les deux pays pour travailler à la signature d’un accord spécial, mentionné dans le bref compte-rendu qu’en fait l’ambassade de France à Riyad.
Avant ce déplacement, plusieurs établissements culturels avaient fait réaliser des idées de projets de restauration, qui pourraient être les récipiendaires du bon vouloir saoudien.
La moindre avancée reste poussive, et les progrès se font à bas bruit pour ne pas générer un nouveau malentendu. « Si cela se concrétise, c’est une bonne nouvelle. Mais ce n’est plus l’intention de départ, qui dépassait le simple mécénat. Il aurait dû prendre l’initiative de créer la structure pour faire respecter cet engagement aux Saoudiens», juge une ancienne partie prenante désillusionnée.
L’ex-ministre de la Culture Franck Riester observe que l’Arabie saoudite « n’y a jamais mis de stop ». « C’est un dossier de long cours avec des interlocuteurs parfois moins mobilisés et réactifs, à qui il faut montrer ce que cela leur rapporterait. Cela n’est pas pour autant un signe de moindre performance», relativise celui qui a été en poste en octobre 2018 et juillet 2020.
Ces derniers mois, la perspective d’un prochain déplacement d’Emmanuel Macron en Arabie saoudite est décrite en coulisses comme une dernière occasion de concrétiser enfin la mise en place du fonds. Envisagée pour début décembre, la date de ce voyage n’est à ce stade pas confirmée par l’Elysée.
Vendredi 15 novembre, une délégation de la commission royale saoudienne d’AlUla se déplacea à Paris pour une réunion de travail sur le suivi de l’accord, à laquelle assisteront Rachida Dati et Jean-Noël Barrot, actuels ministres de la Culture et des Affaires. étrangères.
Lorgnant les marchés liés à l’organisation de l’Exposition universelle de 2030 à Riyad (pour laquelle la France a fait campagne), Rachida Dati veut maintenant voir plus loin qu’AlUla. « Une vingtaine de besoins dans différents endroits et domaines » ont été identifiés par les Français, avance une source ministérielle. Des ambitions en béton ou des constructions sur du sable ?