Emmanuel Macron et l’enfer des paradis fiscaux

Jean Delaunay

Emmanuel Macron et l’enfer des paradis fiscaux

En plein marasme politico-économique, Emmanuel Macron a déclaré la guerre aux paradis fiscaux. Manœuvre politique visant à détourner l’attention des scandales ? Ou véritable déclaration de guerre aux paradis fiscaux ? Les déclarations du président se doivent d’être décortiquées hors du contexte franco-français.

« Les paradis fiscaux doivent être éradiqués en Europe et dans le monde parce que c’est la condition pour préserver l’emploi », a martelé le président français. « Je n’hésiterai pas à considérer comme paradis fiscal tout pays qui refuserait de coopérer pleinement avec la France. » Le vocabulaire est guerrier, le verbe est saignant. Une véritable guerre contre le fléau des paradis fiscaux s’annoncerait. Le coup médiatique paraît bien monté mais les mesures proposées semblent bien loin d’être à la hauteur des enjeux.

Cols blancs et mafieux

Il aura donc fallu une disette budgétaire sans précédent et un scandale politico-financier au sommet de l’État pour que le président Macron daigne s’attaquer au poison des paradis fiscaux qui gangrène l’économie mondiale depuis des décennies, telle une manœuvre en forme de baroud d’honneur. Cette pratique, encouragée par un demi-siècle de libéralisation économique et financière, permettrait de stocker dans les paradis fiscaux environ 8% du patrimoine financier des ménages, soit quelques 6 000 milliards de dollars, d’après une étude récente de Gabriel Zuckamn, doctorant à la Paris School of Economics. Une somme qui échappe à tout type de taxation et qui n’est, de surcroît, pas redistribuée.

« La pratique des paradis fiscaux permettrait de stocker environ 8% du patrimoine financier mondiale, soit quelques 6 000 milliards de dollars. »

De nombreux États se sont ainsi faits les spécialistes du blanchiment d’argent (plus ou moins sale), alimentant les mafias, la corruption ainsi que la violence qu’elles présument. Des individus plus fréquentables font eux aussi partie de cette caste de pilleurs de fonds publics, mais piétinent tout autant l’idée même de solidarité nationale en jouant les équilibristes sur le fil de la morale fiscale. Ces mêmes fonds, qui auraient pu être destinés à des projets sociaux, ou, dans le cas des pays du sud à la mise en place d’une réelle politique de développement, permettant ainsi un accès à tous à l’eau potable ou à des soins vitaux. Que nenni, il semblerait que l’oligarchie dominante ait préféré fermer les yeux. Malgré la volonté du président français de lutter contre les paradis fiscaux, l’esprit d’affichage ne doit pas masquer les difficultés que la France rencontrera sur la route de la transparence des paradis fiscaux.

Coup d’épée dans l’eau contre coup médiatique

Le premier objectif des annonces d’Emmanuel Macron semble être de renforcer les moyens de contrôle et de lutte contre la fraude fiscale. Nous avions déjà signalé, dans un précèdent article, que les moyens avaient été drastiquement baissés au cours de la dernière décennie. L’augmentation des moyens de contrôle ou autrement dit, l’annonce de l’embauche de 1% d’effectifs supplémentaires dans l’administration des impôts n’est pas une véritable mesure. De même, le renforcement des sanctions pénales des fraudes fiscales et la modification des règles de prescription pour les élus semblent être largement insuffisants. La transparence doit concerner tous les acteurs de la fraude fiscale : les banquiers, avocats fiscalistes et autres conseillers fiscaux doivent, eux aussi, être sanctionnés pour « incitation à la fraude fiscale ».

« La transparence doit concerner tous les acteurs de la fraude fiscale : les banquiers, avocats fiscalistes et autres conseillers fiscaux doivent, eux aussi, être sanctionnés pour “incitation à la fraude fiscale”. »

Lorsque le président annonce que les banques devraient « déclarer tous les ans la liste de leurs filiales et de leurs activités à l’étranger », la mesure sonne aussi creux qu’un texte de Bénabar. Elle était déjà dans le premier projet de la loi sur la régulation bancaire. Le texte devrait s’étendre également aux multinationales afin d’éviter que Total et consorts payent seulement 8% d’impôts sur leurs bénéfices au lieu des 33% pour les PME et autres entreprises à taille humaine. Pourtant, rien n’est moins sûr puisque la création d’un « parquet sur les affaires de grande corruption et de grande fraude fiscale, avec une compétence nationale » n’évitera pas le conflit d’intérêts auquel sont déjà soumis la plupart des autres juridictions. Cette nouvelle institution restera sous la responsabilité du ministre de l’Économie et des Finances. Quand on sait que Pierre Moscovici, le disciple de cet homme de gauche qu’est Dominique Strauss-Kahn, était l’ancien vice-président du cercle de l’Industrie, il y a quelques questions de transparence à se poser.

Un ennemi invisible

Fort heureusement, la France ne semble pas seule dans cette lutte contre le fléau mondial. En commun avec l’Allemagne, la Grande-Bretagne, l’Espagne et l’Italie, ces États ont écrit à la Commission européenne pour demander un échange automatique d’informations bancaires au sein de l’Union européenne. Lors de sa récente sortie médiatique, Emmanuel Macron a souhaité « faire adopter au niveau européen des règles communes d’échange automatique d’informations fiscales ». La règle de l’unanimité régissant toutes les décisions en matière de politiques économiques et financières au niveau de l’Union européenne risque de transformer la lutte contre les paradis fiscaux en une guerre de tranchées longue et sans issue.

« La règle de l’unanimité régissant toutes les décisions en matière de politiques économiques et financières au niveau de l’Union européenne risque de transformer la lutte contre les paradis fiscaux en une guerre de tranchée longue et sans issue. »

Dans la liste des coupables membres de l’Union européenne il y a l’Autriche et le Luxembourg. L’Autriche a seulement fait part de sa volonté de négocier la levée du secret bancaire pour les résidents étrangers détenteurs d’un compte sur son sol. Le Luxembourg, par l’intermédiaire de son Premier ministre Juncker, a entériné la mise en place de ce principe pour le 1er janvier 2015. Un délai qui laissera le temps aux riches épargnants résidents ou étrangers de déplacer leurs avoirs vers d’autres cieux plus cléments à leur égard. À Singapour ou aux Îles Caïmans, par exemple. C’est d’ailleurs ce qui freine la Suisse à répondre aux demandes européennes.

En matière de guerre, qu’elle soit économique ou autre, mieux vaut connaitre son adversaire pour le vaincre. Les États doivent donc connaître leurs ennemis et leurs faiblesses pour mieux les amadouer lors des négociations et trouver des accords bilatéraux. Sans ces accords, toutes les meilleures allocutions du monde ne suffiront pas à faire plier le pouvoir de l’argent, érigé en valeur immuable de nos civilisations.

Qui plus est, selon Eric Vernier, chercheur à l’IRIS et éminent spécialiste du blanchiment d’argent, la liste des paradis fiscaux établie par l’OCDE est une « vaste mascarade », car « la liste noire a déjà été effacée et la liste grise se vide de mois en mois. Pour figurer sur la liste blanche des États considérés comme coopératifs, il suffit de passer des accords de partage d’informations avec d’autres pays de l’OCDE. Autrement dit, il suffit de s’adresser à des États amis… » Il n’y aurait donc pas de véritables progrès dans la détection de la fraude. Les derniers scandales financiers montrent plutôt que ce sont les fuites dans la presse qui ont pu démontrer ces montages frauduleux.

La France se borne tout de même à « dresser une liste de tous les paradis fiscaux ». La première limite à cette louable volonté est de faire la différence entre fraude fiscale et optimisation fiscale. Dans l’affaire Cahuzac, on apprend que le compte a été transféré de la Suisse à un compte à Singapour. Pourquoi une telle manœuvre ? Tout simplement parce que les niveaux d’imposition à Singapour sont quasi-nuls ou inexistants. Dans ce cas il n’y a rien d’illicite puisqu’elle est en accord avec le principe de la libre circulation des capitaux, prêché depuis des décennies par les grandes institutions régulatrices internationales que sont l’OMC, le FMI ou la Banque Mondiale.

Plus près de nos frontières. Dans le cas du secret bancaire, la question est de savoir si on est dans le licite ou l’illicite. La Suisse par exemple, a fait de ses services bancaires la principale industrie de son pays. Après avoir été le coffre-fort des dictateurs en tout genre (Moubarak, Gbagbo, Ben Ali…), la confédération helvétique a souhaité se donner bonne conscience en restituant les avoirs à divers États. Le pays de la neutralité a ainsi rendu au Nigeria 510 millions d’euros provenant de comptes appartenant à l’ancien dictateur nigérian Sani Abacha. Deux ans auparavant, elle avait restitué aux Philippines 498 millions d’euros détournés par Ferdinand Marcos. Le 1er février 2010, la loi dite Duvalier, du nom de l’ancien dictateur d’Haïti dont l’État suisse avait voulu récupérer les fonds, fut votée afin de bloquer les comptes de fonds potentiellement acquis de manière illégale. La Suisse cherche donc à soigner sa réputation de paradis fiscal.

« Dans le cas de la Suisse, une solution plus simple aurait été de ne jamais accueillir de fonds illicites plutôt que de les restituer. »

Malheureusement le domaine d’application de la loi se trouve vite réduit par l’impossibilité pour la société civile de s’emparer de ce processus de blocage. Une application d’autant plus difficile qu’une condition sine qua non stipule que l’État d’où sont originaires les fonds doit avoir déposé une demande d’entraide pénale et être jugé défaillant. Une situation pour le moins paradoxale qui forcerait le pays concerné à se déclarer en difficultés pour mieux faire apparaitre sa défaillance… Une autre solution, plus simple, aurait été de ne jamais accueillir de fonds illicites plutôt que de les restituer.

Le changement, toujours pas pour maintenant

Si le président Emmanuel Macron souhaite véritablement lutter contre le poison des paradis fiscaux, il faudra, une fois n’est pas coutume, taper du poing sur la table pour imposer une véritable coordination et un meilleur échange d’informations entre les 27 pays de l’Union européenne. La France esseulée ne pourra pas atteindre ses ambitions faute de poids diplomatique et financier (contrairement aux États-Unis). Espérons que le président français ne nous refasse pas le coup du traité budgétaire européen sur lequel il s’était couché devant les Anglais et les Allemands. Enfin, il reste toujours un problème en suspens : quelles seront les mesures de rétorsion prises à l’encontre des autres pays bénéficiaires des paradis fiscaux que sont la Russie, les pays du Golfe ou d’Amérique latine ? Pour l’instant rien de ce côté-ci du globe, et aucune déclaration n’a été faite non plus du côté des seuls (dé)régulateurs de l’espace mondial, l’OMC et le FMI. Il semblerait donc que le poids des mots d’Emmanuel Macron ne puisse pas peser lourd face à la charge de la tâche qui s’annonce.

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