PARIS — Pour faire face au dérapage des finances publiques en 2024, le gouvernement Attal a gelé cet été les dépenses de l’Etat à hauteur de 16,5 milliards d’euros. L’Observatoire de l’Europe en a obtenu la répartition précise.
Les crédits gelés (ou « mis en réserve », selon le jargon de Bercy) touchent tous les ministères, y compris la Transition écologique, la Défense et la Justice, selon un document transmis au milieu de l’été aux députés de la commission des Finances.
Le montant total des enveloppes ainsi bloquées est passé de 7,6 à 16,5 milliards d’euros par rapport à la loi de finances pour 2024. Un « surgel » censé permettre de maîtriser le dérapage du déficit public.
Si tous les yeux sont pour l’instant rivaux sur l’élaboration du budget 2025, le nouveau Premier ministre Michel Barnier apportera dans les prochaines semaines à débloquer (ou annuler) ces crédits.
Alors que l’Europe entière se réarme depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, Bercy a par exemple choisi de geler de l’argent destiné aux programmes budgétaires de la Défense.
Sur les 33 milliards d’euros de crédits de paiement ouverts cette année, le ministère de l’Economie en a gelé 2,6 milliards en tout — soit 753 millions d’euros de plus que la mise en réserve initialement prévue par la loi de finances 2024.
La sauvegarde de la loi de programmation militaire 2024-2030, qui prévoit 413 milliards d’euros de dépenses sur sept ans, est incluse dans le pacte législatif du chef des députés de droite Laurent Wauquiez et la liste de priorités de Gabriel Attal, président du groupe macroniste à l’Assemblée.
Cependant, certains industriels de la défense commencent déjà à s’inquiéter. Plusieurs d’entre eux font état de retards de commandes et de paiement, craignant que les cibles pour 2024 ne soient pas atteintes.
D’autant plus que les forces armées sont souvent une cible de choix pour Bercy.
« Dans les dépenses militaires, il y a beaucoup d’investissements, d’achats de matériels, de munitions, donc c’est vrai que c’est plus facile de reporter (les crédits) en disant aux fournisseurs que ce sera pour l’année. prochaine, plutôt que de repousser des dépenses d’allocations sociales», décrypte l’expert spécialiste des finances publiques François Ecalle.
La Transition écologique est l’autre portefeuille où les gels budgétaires pourraient faire des dégâts.
Les coupes de février avaient déjà ciblé les dépenses en faveur du climat, en sabrant dans les aides à la rénovation énergétique ou dans le Fonds vert.
Ce dernier, créé pour aider à mener des projets de verdissement dans les collectivités locales, voit encore son enveloppe gelée de 400 millions supplémentaires pour les prochaines années.
Au sein des différents programmes budgétaires consacrés à l’écologie, 800 millions d’euros ont été suspendus. Si ces crédits étaient finalement annulés, cela correspondrait à une diminution de l’ordre de 14% du budget en faveur de l’environnement, a souligné le président de la commission des Finances, le député Eric Coquerel (LFI).
Hors dépenses de personnel, c’est même une baisse de 16%, selon nos calculs.
Le programme urbanisme et territoires, qui gère une partie des aides à la rénovation thermique des bâtiments, subit un gel de 456 millions d’euros — soit 369 millions de plus que ce que prévoyait la mise en réserve initiale.
En novembre, Michel Barnier et la nouvelle équipe de Bercy devront trancher sur une annulation complète ou partielle des crédits bloqués. Deux options s’offrent à eux : soit un projet de loi de finances rectificative (PLFR), soit le projet de loi de finances de fin de gestion (PLFG).
Ayant déjà annulé 10 milliards d’euros de crédits en février par décret, le gouvernement ne pourra plus procéder par voie réglementaire. Le montant cumulé des crédits annulés sans passer par le Parlement ne peut en effet dépasser un certain plafond, fixé à 1,5% des crédits ouverts en loi de finances.
Avant de quitter le ministère de l’Economie, Bruno Le Maire avait plaidé pour une annulation totale de ces 16,5 milliards d’euros. Un coup d’effaceur radical qui serait inédit, mais difficilement réalisable dans les faits.
« On ne peut pas annuler l’intégralité de la réserve, il est possible d’annuler 80%, mais cela dépend des dépenses imprévues des ministères en cours d’année », analyse un ancien ministre de Bercy.
Nombre d’entre elles «sont automatiques, notamment les dépenses de personnel, qu’on ne va pas stopper à la fin de l’année», rendant une coupe soudaine quasiment impossible, appuie François Ecalle.
L’année dernière, l’exécutif avait gelé des crédits à hauteur de 14 milliards d’euros, pour n’en annuler que 5 in finelors de la loi de finances de fin de gestion.
Pour l’instant, le nouveau ministre des Comptes publics n’a pas encore dévoilé le tri réservé aux enveloppes gelées. Lors de sa toute première audition devant les députés, Laurent Saint-Martin a laissé entendre que « certains surgels de crédits annoncés par le gouvernement précédent devront être maintenus ».