Les ministres de l’Economie et des Finances de l’Union européenne ont conclu mercredi un accord visant à réformer les règles budgétaires du bloc, une avancée rendue possible uniquement après que l’Allemagne et la France ont trouvé un terrain d’entente.
Berlin et Paris étaient assis depuis des mois à des côtés opposés de la table, le premier poussant à des sauvegardes automatiques pour réduire les niveaux d’endettement et le second plaidant pour une plus grande flexibilité afin de créer suffisamment d’espace pour les dépenses dans les secteurs stratégiques.
Leurs ministres des Finances, Christian Lindner et Bruno Le Maire, ont intensifié ces dernières semaines leurs contacts bilatéraux pour tenter de sortir de l’impasse. Cet effort s’est concrétisé mardi soir lorsque les deux hommes politiques se sont rencontrés à Paris et ont annoncé un compromis. Le Maire s’est ensuite entretenu avec son homologue italien, Giancarlo Giorgetti, pour s’assurer que les trois plus grands pays du bloc étaient de la partie.
« Nous avons trouvé le bon équilibre », a déclaré Le Maire aux côtés de Lindner.
« Nous avons besoin de finances publiques durables partout en Europe. D’un autre côté, il est également nécessaire, et tout le monde en est conscient, d’investir davantage dans la transition climatique et la défense. »
« Nous avons parcouru un très long chemin », a-t-il ajouté. « Il y a un an, nos positions étaient radicalement différentes. Grâce au travail acharné que nous avons accompli ensemble, avec le soutien de nombreux États membres, dont l’Italie (…), nous sommes parvenus à cet accord. »
Linder a déclaré que son pays, qui est en pleine crise budgétaire suite à un arrêt choc de la Cour constitutionnelle, n’aurait jamais accepté des « règles qui ne sont pas strictes ».
« Strictes dans le sens où (les règles) sont crédibles, suffisantes et efficaces pour conduire à une baisse des niveaux d’endettement et à des voies fiables vers une réduction des déficits », a noté Linder. « Les anciennes règles étaient strictes sur le papier mais pas dans leur application. »
Le compromis franco-allemand a ouvert la voie aux 27 États membres pour conclure un accord préliminaire lors d’une vidéoconférence mercredi soir, rapprochant ainsi la refonte d’une conclusion réussie.
En prévision de la réunion virtuelle, l’Espagne, actuel titulaire de la présidence tournante du Conseil, avait préparé un texte juridique modifié réduisant au strict minimum le nombre de questions en suspens. Résultat, l’appel vidéo a duré à peine deux heures.
Seuls deux éléments restaient à décider : la rapidité avec laquelle les pays doivent respecter l’objectif de déficit et l’écart maximum autorisé par rapport à leurs engagements budgétaires.
La réforme doit encore être négociée avec le Parlement européen, un processus qui devrait être relativement rapide pour garantir que le nouveau cadre soit en place au moment où les gouvernements prépareront leurs prochains budgets.
Une réforme recherchée
Les règles budgétaires, qui remontent à la fin des années 1990, obligent les 27 États membres à maintenir leurs déficits budgétaires à moins de 3 % du produit intérieur brut (PIB) et leurs niveaux de dette publique à moins de 60 % du PIB – des seuils que beaucoup dépassent actuellement après des années. d’injecter beaucoup d’argent pour amortir l’impact de crises consécutives.
La réforme, proposée par la Commission européenne en avril, ne touche pas aux objectifs de 3 % et de 60 %, que certains économistes considèrent comme arbitraires et obsolètes, mais apporte des modifications considérables à la manière dont ces deux chiffres doivent être atteints dans la pratique.
Chaque État membre sera invité à concevoir un plan budgétaire à moyen terme pour réduire son déficit à un rythme crédible et placer la dette sur une « trajectoire plausible de baisse ». Les plans spécifiques à chaque pays seront d’abord négociés entre la Commission et les capitales sur la base d’une « trajectoire technique » fournie par Bruxelles et ensuite approuvée par le Conseil.
Les ajustements budgétaires nécessaires pour atteindre – ou du moins s’approcher – des niveaux de 3 % et 60 % seront réalisés sur quatre ans et pourraient être prolongés jusqu’à sept ans en échange de réformes et d’investissements supplémentaires.
Tout au long du processus, l’Allemagne, aidée par des pays « frugaux » partageant les mêmes idées, tels que les Pays-Bas, l’Autriche, la Suède et le Danemark, a insisté sur le fait que les ajustements devaient être associés à des sauvegardes numériques et homogènes pour garantir une réduction annuelle de la dette excessive et des niveaux de déficit.
Mais la France, dont la dette dépasse depuis longtemps le seuil de 90 %, a résisté à cette approche belliciste, arguant que des normes automatiques seraient contre-productives, décourageraient les investissements dans des secteurs stratégiques et étoufferaient la croissance économique.
Les échanges entre Paris et Berlin ont dominé les plus de huit mois de débat sur la réforme, à tel point que les autres États membres ont dû attendre une percée franco-allemande avant d’aller de l’avant.
Entre-temps, le temps presse : la refonte doit être approuvée d’ici la fin de l’année car les règles précédentes devraient être réactivées au 1er janvier après avoir été suspendues en mars 2020 pour faire face au choc du COVID-19. pandémie.
L’accord préliminaire conclu mercredi reprend bon nombre, sinon la totalité, des principales revendications exprimées par l’Allemagne, qui comptait un plus grand nombre d’alliés que la France et donc un pouvoir de négociation plus fort.
Les règles réformées seront soutenues par deux sauvegardes numériques, l’une basée sur la dette et l’autre basée sur le déficit.
En outre, les États membres qui dépassent les seuils contraignants et s’écartent des engagements pris dans le cadre de leurs plans à moyen terme seront soumis par défaut à la procédure dite de déficit excessif (PDE). Le lancement d’une EDP entraînera des amendes si l’acte répréhensible persiste. Les amendes seront progressives pour les rendre plus crédibles et, surtout, elles ne seront pas plafonnées, une concession essentielle à la coalition frugale.
La France a cependant obtenu une disposition visant à établir une « marge de résilience » dans la sauvegarde du déficit qui permettra aux pays qui ne respecteront pas l’objectif de 3 % de créer des « tampons fiscaux » pour faire face aux chocs économiques. Ce mécanisme garantira que les dépenses stratégiques pourront continuer à circuler à tout moment, même dans des conditions défavorables.
La hausse des taux d’intérêt sera prise en compte avant que la Commission ne lance une procédure de déficit excessif, une nouvelle victoire pour Paris.
En revanche, l’Italie, qui partageait les préoccupations françaises, a obtenu une référence explicite pour prendre en compte les dépenses publiques provenant des projets de défense et de la Facilité pour la reprise et la résilience (RFF). L’Italie est de loin le plus grand bénéficiaire du RFF, avec un total de 122,6 milliards d’euros de prêts et 71,8 milliards d’euros de subventions.