Au Sénat, les points chauds sur le chemin d'un « budget de la raison »

Martin Goujon

Au Sénat, les points chauds sur le chemin d’un « budget de la raison »

PARIS — Sur le budget, la Chambre haute aura des airs de chambre froide, par opposition à la bouillonnante Assemblée nationale. Le gouvernement compte sur la sagesse des sénateurs pour remettre d’équerre son projet de loi de finances et atterrir à l’objectif, promis et répété, d’un déficit de 5% du PIB en 2025.

Ces derniers jours, les élus du Palais du Luxembourg ont été brossés dans le sens du poil par l’exécutif, qui espère s’appuyer sur la large majorité droite-centre-macronistes pour aboutir d’ici au 12 décembre, date du vote solennel , à un « budget de la raison », indique Jean-François Husson (LR).

S’il ya « une convergence globale, ça ne veut pas dire accord total », prévient le rapporteur général du budget.

Voici les mesures qui vont faire débat sur le volet recettes du projet de loi de finances.

Habituellement peu friande de impôts, la droite sénatoriale semble se résoudre à un alourdissement de la fiscalité pour les plus fortunés et les grandes entreprises, au nom de « l’état d’urgence budgétaire ».

En commission, la surtaxe sur l’impôt sur les sociétés, qui touchera 440 grandes entreprises pour un rendement de 8 milliards d’euros en deux ans, n’a pas été modifiée.

En séance, si quelques amendements résultant d’initiatives individuelles proposent de réduire ou d’augmenter le taux ou encore de limiter à une seule année l’effectivité de la taxe (ou, au contraire, la pérenniser), la contribution exceptionnelle ne devrait pas connaître de chamboulement.

Preuve en est, les sénateurs pourraient même, via un amendement validé en commission des Finances, de la « frontière » davantage en mettant en place un dispositif antiévitement. Afin d’éviter que certaines entreprises « ne parviennent, par des stratégies d’optimisation, à sortir du périmètre de la taxe, en artificiellement leur chiffre d’affaires pour le deuxième exercice d’application de la taxe ».

Il devra toutefois surveiller quelques propositions similaires, émanant de plusieurs groupes (LR, UC, RDPI) plaidant pour exclure du champ d’application de la contribution les entreprises exploitant des infrastructures de transport de longue distance (transport routier, ferroviaire ou guidé, aérien et maritime), déjà concerné par un prélèvement spécifique l’an dernier.

La taxe sur les rachats d’actions pourrait être retouchée, à en juger par une poignée de propositions de réécriture de l’article. Nombre d’entre elles tentent d’asseoir la taxe sur la valeur actuelle des actions rachetées et non leur valeur nominale, c’est-à-dire comptable, mais aussi de relever son taux de 8% à 10%. Ou, à l’inverse, de l’abaisser à 6%.

Adoré des secteurs industriels et pharmaceutiques, le crédit d’impôt recherche devrait finalement être légèrement toiletté. Alors que le ministre de l’Economie Antoine Armand avait promis de maintenir reprises de ne pas toucher à la niche fiscale la plus coûteuse (7,6 milliards d’euros en 2024) au nom de la compétitivité, Bercy a finalement ouvert la porte à recentrage de son assiette sur les dépenses de recherche et de développement.

Comme le propose une récente revue de dépenses de l’Inspection des finances, un amendement de Jean-François Husson, concerté avec le gouvernement, propose la suppression du dispositif « jeunes docteurs » et d’exclure de l’assiette de la niche des revenus tirés de certains brevets (IP Box), ainsi que des dépenses de normalisation (travaux menés par les entreprises pour adapter leurs produits aux normes) et de veille technologique.

Les start-up ne sauraient être épargnées dans l’effort budgétaire global, a fait comprendre le gouvernement ces dernières semaines. On ne sait pas encore à quelle sauce sera mangé le crédit d’impôt innovation, réservé aux PME. Le gouvernement veut le restreindre, mais plusieurs sénateurs LR, derrière Olivier Rietmann, proposent de le proroger jusqu’en 2027.

A l’Assemblée, le gouvernement avait décidé de proposer un avis de sagesse concernant un amendement similaire aux députés EPR Paul Midy et Louise Morel, à condition d’en baisser le taux.

La navette parlementaire a calmé les sénateurs. A en juger par le faible nombre d’amendements de suppression, la modération de la hausse de la taxe sur l’électricité proposée par Jean-François Husson fait consensus : le rapporteur compte empêcher le gouvernement de remonter cette taxe au-delà de son niveau d’avant-crise énergétique.

Son choix d’augmenter légèrement la fiscalité sur le gaz en contrepartie semble un peu moins consensuel et déplaît à Bercy. Surtout que le gaz est déjà affecté par ce budget : un article prévoit de rehausser la TVA des chaudières. Là encore, les sénateurs sont prudents et, plutôt que de tout supprimer, préfèrent contenir la hausse de la TVA à 10 % ou exclure les chaudières hybrides.

L’alourdissement du malus automobile devrait lui aussi être retouché par les sénateurs, sans être balayé entièrement comme à l’Assemblée. En l’occurrence, la majorité à la Chambre haute, par l’implication de la rapporteure des crédits « écologie » Christine Lavarde (LR), compte adoucir et lisser le durcissement du dispositif, mais aussi pénaliser les SUV électriques trop lourds.

Les économies demandées par le gouvernement aux collectivités s’annoncent déjà comme le principal point d’achèvement entre l’exécutif et les sénateurs, qui doivent leur mandat aux élus locaux.

L’enjeu consistera à « trouver le chemin d’une juste participation des collectivités locales au redressement des comptes », a prévenu le ministre des Comptes publics, Laurent Saint-Martin, lundi matin à la tribune. Les sénateurs refusaient catégoriquement d’emprunter celui tracé dans la copie initiale, qui conduirait à un coupé de 5 milliards d’euros.

Au Congrès des maires, Gérard Larcher a fait savoir qu’il voulait réduire le rabot à 2 milliards d’euros. En clôture du même événement, Michel Barnier est revenu sur le projet de priver de 800 millions d’euros le Fonds de compensation pour la TVA (FCTVA), une des sources de financement des collectivités pour leurs investissements. La réduction de l’enveloppe n’aura finalement pas d’effet rétroactif, a confirmé lundi Laurent Saint-Martin.

La concession risque d’être insuffisante aux yeux des sénateurs qui proposent, toujours par la voie de Jean-François Husson, de supprimer la mesure.

Le plus gros morceau, le « Fonds de précaution » de 3 milliards d’euros, une ponction sur les recettes des 450 plus grandes collectivités, devrait être remodelé et élargi à 3 000 d’entre elles, tout en limitant son impact, comme le souhaite la droite sénatoriale.

Pour faire passer la pilule auprès des départements, dont une cinqquantaine aux finances délicates pourrait être exonérée de contribution, les frais de notaire seront relevés à hauteur de 1 milliard d’euros.

Sujet récurrent de l’examen du budget chaque année, les 474 «dispositifs fiscaux dérogatoires» (ou niches fiscales) n’échapperont pas à une réévaluation de leur situation.

Stéphane Sautarel (LR) veut en supprimer 40 d’un coup, pour un gain évalué à 351 millions d’euros.

La première niche en faveur des ménages (près de 7 milliards d’euros en 2025), le crédit d’impôt pour l’emploi d’un salarié à domicile (le Cisap) animera aussi les débats. Les députés ont échoué à le raboter, plusieurs sénateurs vont tenter leur chance.

Emmené par Viviane Artigalas, le groupe socialiste a déposé un amendement visant à réduire son champ d’application en cadrant davantage les possibilités d’en bénéficier et en excluant « la maintenance, l’entretien ou la vigilance temporaire des résidences principales et secondaires ». L’écologiste Raymonde Poncet-Monge et ses collègues proposent d’abaisser le plafond du crédit par ménage à 2 000 euros (contre 12 000 actuellement) pour certaines activités.

Pour la majorité, Antoine Lefèvre (LR) a déposé un amendement pour « recentrer le crédit d’impôt sur les publics prioritaires afin de renforcer son caractère social tout en limitant les dérives d’usages respectés ».

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