Artwork by Claire Fontaine at Holy See Pavilion

Milos Schmidt

À l’intérieur de l’exposition révélatrice des prisons du pavillon du Vatican à la Biennale de Venise

L’exposition, Avec mes yeux, place la vue et la perception au cœur de ses préoccupations et transforme de manière controversée le pavillon du Vatican d’une prison pour femmes en une galerie.

En plus de présenter une œuvre d’art contemporain spectaculaire et surprenante, la Biennale de Venise est l’occasion d’accéder à certains de ses bâtiments rarement ouverts.

Cette année, le pavillon du Vatican peut revendiquer le titre de lieu le plus insolite. Si vous avez déjà visité la ville du canal, il est très peu probable que vous soyez entré dans ce bâtiment : l’exposition du Saint-Siège se trouve dans la prison pour femmes de Venise.

Dans un sens, le pavillon du Vatican est une œuvre d’art performante d’une durée de plusieurs mois à laquelle le visiteur participe. L’expérience va bien au-delà des œuvres d’art sur les murs : il s’agit de l’interaction avec les détenus et de l’aperçu de leur monde derrière les murs. Comme l’écrivent les organisateurs, « l’objet de la discussion sera l’art, la poésie, l’humanité et la bienveillance ».

L’exposition s’intitule Con i miei occhi (Avec mes yeux), extrait d’un fragment de poésie inspiré d’un texte sacré ancien et d’un poème élisabéthain. « Je ne t’aime pas avec mes yeux » (Shakespeare, Sonnet 141) fait écho à une phrase du Livre de Job : « Maintenant mon œil te voit ».

« Un fondu enchaîné, devenant progressivement une action où voir est synonyme de toucher, de regard, d’embrasser avec l’œil, faisant dialoguer vue et perception », lit-on dans la description plutôt obscure du pavillon.

Les affiches aux slogans graphiques de Corita Kent - qui a passé une partie de sa vie comme religieuse
Les affiches graphiques avec slogans de Corita Kent – qui a passé une partie de sa vie en tant que religieuse

L’expression prend tout son sens à l’arrivée à la prison, un bâtiment du XIIIe siècle sur la Giudecca qui a commencé comme couvent avant de devenir une maison de redressement pour mères célibataires et travailleuses du sexe. La vue et la perception sont au cœur de l’expérience – pour commencer, il faut remettre son téléphone.

L’exposition se découvre également à travers le dialogue et l’interaction avec les détenues qui jouent le rôle de guides, vêtues de l’uniforme bleu foncé et blanc conçu et cousu dans les ateliers de l’établissement. Elles expliquent les œuvres, mais laissent également des commentaires sur les espaces et les services pénitentiaires.

Des pieds aux films : les œuvres d’art sont exposées au Pavillon du Vatican

L’exposition regorge d’œuvres exceptionnelles sélectionnées par les commissaires Chiara Parisi et Bruno Racine. La plus spectaculaire est peut-être celle des pieds sales de l’artiste italien Maurizio Cattelan. Cette photographie géante orne la façade de la chapelle de la prison, faisant référence au tableau Lamentation sur le Christ mort d’Andrea Mantegna.

Sur un mur d’une cour, une œuvre du collectif palermitain Claire Fontaine présente un grand texte au néon indiquant « Siamo con voi nella notte » (Nous sommes avec vous dans la nuit) – un message de solidarité envers les détenus du monde extérieur.

Les pieds sales de l'artiste italien Maurizio Cattelan.
Les pieds sales de l’artiste italien Maurizio Cattelan.

Il y a aussi les affiches graphiques avec les slogans de Corita Kent – qui a passé une partie de sa vie en tant que religieuse – et les dalles volcaniques émaillées peintes par l’artiste Simone Fattal avec des extraits de poésie écrite par les détenues. Les détenues ont également contribué à un film de l’artiste Marco Perego dans lequel elles jouent aux côtés de Zoë Saldaña, l’épouse de Perego. Il s’agit d’un portrait profondément émouvant de l’amitié féminine et de la vie intérieure.

Le pavillon du Vatican suscite des inquiétudes concernant la collaboration des prisonniers

Le fait de permettre à des personnes extérieures d’avoir un aperçu d’une vie habituellement à l’abri des regards du public n’est pas sans susciter la controverse. Deux conservateurs italiens qui ont déjà exposé dans le pénitencier ont fait part de leurs inquiétudes quant au fait que le pavillon encourage le voyeurisme. Ils évoquent également des inquiétudes quant au travail non rémunéré des prisonniers qui organisent des visites et collaborent à des œuvres d’art.

Si la vue est au cœur de l’exposition, elle signifie inévitablement que le visiteur s’attarde aussi sur son contraire, ce qui est caché. Non seulement vous repartez sans photos, mais vous n’êtes pas autorisé à poser des questions personnelles aux femmes emprisonnées et vous ne pouvez pas non plus connaître leurs noms de famille. Est-ce pour protéger la vie privée des détenus ou pour contrôler ce qu’ils communiquent aux visiteurs ?

À la fin du mois de novembre et à la clôture de la Biennale, les œuvres d’art présentes dans la prison seront retirées, mais quel sera l’impact durable sur les prisonniers ?

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