La liaison ferroviaire à grande vitesse Lyon-Turin consiste à creuser ce qui sera le plus long tunnel ferroviaire du monde, mais son bilan carbone sera-t-il trop dommageable ?
Le premier des sept tunneliers géants a été assemblé dans une usine allemande il y a deux semaines et, une fois qu’ils seront tous mis en action dans un an, ils accéléreront considérablement l’excavation à travers la base du Mont Cenis en Savoie, en France.
Pendant ce temps, les travaux se poursuivent également avec l’utilisation de machines plus traditionnelles pour couper environ 500 mètres de roche chaque jour.
Les ouvriers du bâtiment de la société publique Tunnel Euralpin Lyon Turin (TELT) doivent creuser suffisamment de roche pour créer deux tunnels de 57,5 km de long, soit six kilomètres de plus que le tunnel sous la Manche.
Lorsqu’il sera finalement terminé en 2032, cela signifiera moins de camions et plus de trains des deux côtés de la frontière – s’il est terminé à temps. Le projet a subi de nombreux retards, principalement liés à des revers de financement au fil des ans.
Mais sera-t-il toujours considéré comme bénéfique pour l’environnement, comme il l’était dans les années 1990 lorsqu’il est finalement terminé en 2032 ?
Stéphane Guggino, Délégué Général de La Transalpine Lyon-Turin, soutient le projet :
« L’urgence, c’est qu’il y a trois millions de camions qui passent chaque année entre la France et l’Italie. Si vous ne creusez pas de tunnels, vous gardez les camions sur les routes. »
Mais le forage d’un tunnel à la frontière franco-italienne menace les ressources en eau, plus que jamais mises à rude épreuve, selon les écologistes.
Alberto Poggio de la Commission Technique de l’Union de la Montagne du Val de Suse a déclaré à L’Observatoire de l’Europe que les données parlent d’elles-mêmes :
« Nous avons calculé que la construction de l’ensemble de la ligne Turin-Lyon entraînera un apport net de 10 millions de tonnes de dioxyde de carbone dans l’atmosphère. Les estimations indiquent que 600 à 1 000 litres d’eau par seconde d’eau seront rejetés des tunnels pendant les travaux.
« C’est un peu comme une grande partie de Turin ou une grande partie de Lyon qui manque d’eau. »
Le TGV Lyon-Turin aura-t-il un impact positif sur les émissions de CO2 ?
Selon le TEL site du projet, « Le tunnel de base du Mont Cenis est une intervention prioritaire dans le cadre des objectifs de décarbonation du Green Deal. »
La réduction des émissions serait au cœur du projet qui a deux objectifs principaux :
– Favoriser les déplacements en train en divisant par deux les temps de parcours entre Lyon et Turin.
– Favoriser le transfert de 25 millions de tonnes de fret de la route vers le rail chaque année.
Il s’agit d’un enjeu majeur, étant donné que le fret représente 80 % du trafic sur la ligne.
À l’heure actuelle, il faut environ sept heures pour rejoindre Milan depuis Paris en train. Avec la future ligne à grande vitesse, cela prendrait deux heures de moins.
Là, ça commence à devenir attractif pour les voyageurs de prendre le train plutôt que l’avion », précise Stéphane Guggino. A l’heure actuelle, la liaison aérienne Paris-Milan, d’un trajet d’1h30, est empruntée par plus de 50 000 passagers par mois.
Les promoteurs du projet estiment également que des infrastructures rapides, fiables et efficaces seront incitatives pour les transporteurs de marchandises. L’objectif est de transférer près de la moitié du trafic de la route vers le rail.
La construction de la voie Lyon-Turin émettra environ 10 millions de tonnes de CO2, qui, selon TELT, seront compensées après 15 ans d’utilisation de la ligne. Après cela, TELS soutient que grâce au transfert de marchandises de la route vers le rail, l’infrastructure devrait produire des résultats en termes de réduction de CO2.
En 120 ans d’utilisation, la nouvelle ligne devrait permettre d’économiser un million de tonnes d’équivalent CO2 par an.
Ces chiffres ont été revus à la hausse en 2020 par un rapport de la Cour des comptes européenne, qui estime qu’il faudrait au minimum 25 ans – et peut-être même 50 ans si la ligne est sous-utilisée – pour compenser les émissions liées à la construction.
Cette estimation a été remise en cause par Transalpine, qui a reproché à l’auteur du rapport, Yves Crozet, économiste et président du groupe de réflexion Union Routière de France, son manque de neutralité vis-à-vis du projet Lyon-Turin.
Pour les écologistes opposés au projet, le coût environnemental de la ligne l’emporte sur son utilité dans le contexte de la crise climatique.
« Nous pensons que nous allons résoudre les problèmes en remplaçant les anciennes technologies par de nouvelles. Mais nos limites planétaires ne permettent plus tout cela », déclare l’eurodéputée verte Gwendoline Delbos-Corfield. « Il s’agit aussi de réduire, d’être sobre et de ne plus construire de choses inutiles car leur construction même cause des dommages environnementaux ».
2. Pourquoi ne pas utiliser la voie ferrée existante ?
La question de l’utilisation de la ligne ferroviaire existante est au cœur du débat sur le TGV Lyon-Turin.
Une ligne reliant Lyon à Turin existe déjà. Il traverse un tunnel historique de 14 kilomètres de long sur le Mont Cenis. Creusé en 1871, le tunnel a été rénové en 2012 pour faciliter le transport des marchandises. Il est complètement modernisé. Il ne manque que quelques aménagements, et il en coûterait beaucoup moins cher de les réaliser que de creuser de nouveaux tunnels », a déclaré Philippe Delhomme, co-président de l’association Vivre et Agir en Maurienne.
Selon les opposants au projet, cette « ligne historique » est sous-utilisée. L’ONG Les Amis de la Terre, l’association Vivre et Agir en Maurienne et le parti La France ont fait valoir que la ligne existante serait « capable d’assurer un report modal massif de 16 millions de tonnes par an, soit l’équivalent du poids transporté par un million de poids lourds » – l’objectif fixé par le TELT.
Cependant, il affirme que 162 trains de marchandises pourront traverser le nouveau tunnel chaque jour, contre environ 50 qui circulent actuellement quotidiennement sur la ligne existante.
3. Quel impact le projet aura-t-il sur les ressources en eau ?
L’assèchement des ressources en eau est l’aspect le plus controversé de ce projet.
L’un des principaux défis est la disponibilité limitée de cette ressource vitale dans les régions traversées par le projet. En effet, les zones touchées par le projet de construction connaissent déjà une réduction du débit d’eau en raison des changements climatiques.
D’une part, un projet de cette envergure est extrêmement consommateur d’eau. La construction de tunnels et de voies ferrées nécessite de grandes quantités d’eau pour les travaux de terrassement, le bétonnage et le lavage des matériaux. Cette demande a un impact significatif sur les réserves existantes, compromettant davantage l’approvisionnement en eau des communautés locales et de l’écosystème environnant.
« Mais l’eau nécessaire pour construire le tunnel est dérisoire par rapport à la quantité d’eau gaspillée en raison de l’interception des ressources naturelles lors des opérations d’excavation », a expliqué Alberto Poggio, ingénieur et membre de la Commission technique de l’Union Montana du Val di Susa.
Le plus grand danger est l’excavation. En forant dans les montagnes, on risque de puiser dans les réservoirs d’eau naturels. Dans un rapport de 2021, TELT a confirmé que certaines de ces ressources étaient menacées. L’eau extraite ne serait pas utilisée dans les travaux mais serait évacuée par les galeries pour éviter les inondations.
4. Comment le paysage sera-t-il affecté ?
Le paysage alpin qui traverse la frontière franco-italienne est déjà visiblement affecté. « Dans le Val di Susa, la qualité de vie est devenue problématique à plusieurs points de vue », explique Alberto Poggio. « La présence de chantiers commence à devenir une nuisance, du point de vue des matériaux et pour l’impact environnemental constaté par des contrôles qui sont assez faibles mais, commencent à indiquer des criticités », a poursuivi l’expert.
Selon l’ingénieur, le paysage est aussi compromis par la présence de décharges où sont stockés les matériaux utilisés sur les chantiers : « Quand je fais une fouille, ce qui sort, la roche concassée, doit être définitivement éliminé. Une partie de cette élimination a été réalisée en déversant le matériau dans des zones identifiées de la même vallée. Cela s’est déjà produit en Maurienne et aussi sur le site de la Maddalena di Chiomonte, où un tunnel auxiliaire a été creusé et les déchets utilisés ont été déversés le long de façon permanente ».
C’est le même scénario en France : « Des prairies ont été éventrées, des forêts ont déjà été rasées pour stocker de futurs déchets », explique Philippe Delhomme. « Les petits villages voient de plus en plus de camions transporter des déchets ou des marchandises, et sont évidemment agacés par la poussière, le bruit… A vol d’oiseau, je suis à 1,4 kilomètre d’une déchetterie. Bon, j’entends les camions, j’entends le bruit des engins. Ce n’est plus acceptable aujourd’hui. »
Et les terres agricoles sont également menacées. « Nous sommes dans une zone Beaufort qui stipule que 70 % du fourrage nécessaire à la fabrication de ce fromage pour le bétail est indispensable, et il ne peut être indispensable que si les prairies sont irriguées. Mais avec moins d’eau, l’irrigation ne sera pas possible », commente Philippe Delhomme.
Mais pour le TELT et ses partisans, ce sont des enjeux qu’il faut relativiser.
« Quand on construit des infrastructures, il y a toujours un impact écologique, c’est évident. C’est une réalité, a déclaré Stéphane Guggino. « Mais ces impacts écologiques doivent être mesurés par rapport aux bénéfices écologiques, sur le très long terme et de ce point de vue, c’est toujours positif. »