Les partis traditionnels ont besoin d’un centrisme radical, et non d’un mimétisme populiste

Martin Goujon

Les partis traditionnels ont besoin d’un centrisme radical, et non d’un mimétisme populiste

Les commentaires politiques publiés au lendemain des élections européennes du mois dernier ont tenté de trouver les raisons pour lesquelles les électeurs se tournent vers les marges politiques. Pourquoi leurs opinions deviennent-elles plus extrêmes ?

Mais le succès des partis populistes nationaux en Europe n’est peut-être pas tant lié à leur attractivité qu’au manque de renouvellement des partis démocratiques traditionnels. Et pour contrer cet extrémisme, les partis traditionnels ont besoin d’un centrisme radical, et non d’un mimétisme populiste.

Par exemple, selon les données d’un nouveau sondage de Datapraxis, les raisons du changement politique que nous observons sont largement mal comprises. La plupart des électeurs qui ont voté pour les partis populistes nationaux aux élections européennes n’étaient pas principalement motivés par leurs politiques, mais plutôt par un désir de changement. Leur vote était davantage motivé par un manque de confiance dans les partis et les dirigeants traditionnels que par un profond attachement aux idées défendues par ces partis populistes.

Ces données suggèrent qu’avant les élections de juin au sein du bloc, moins d’un quart des électeurs qui se sont tournés vers les partis populistes nationaux l’ont fait principalement parce qu’ils pensaient qu’ils avaient les meilleures politiques.

Près de la moitié des personnes interrogées estiment également que le système politique de leur pays est défaillant, un chiffre qui atteint 7 sur 10 en Italie et en France. Dans la plupart de ces pays, une large majorité des personnes interrogées s’accordent à dire que la plupart des hommes politiques sont déconnectés des citoyens ordinaires et que la plupart des hommes politiques sont davantage détestés qu’appréciés.

La politique européenne semble prise dans un bras de fer entre la montée des partis populistes nationaux, alimentée par le désenchantement, et, d’un autre côté, une forte mobilisation des jeunes électeurs – notamment des femmes – qui se mobilisent pour défendre la démocratie et les valeurs libérales. Et beaucoup de ceux qui votent encore pour les partis centristes le font souvent uniquement pour voter contre l’extrême droite.

Les élections sont désormais essentiellement une compétition entre le désespoir d’un véritable changement et la résistance fondée sur des valeurs contre le recul démocratique.

Il y a des leçons à tirer de cette situation. Par exemple, la mobilisation contre l’extrême droite a remporté un succès spectaculaire lors des élections législatives françaises. La coalition du Nouveau Front populaire, constituée en un temps record, a réuni les partis progressistes et de centre-gauche du pays dans un mariage de convenance pour empêcher une élection législative dirigée par l’extrême droite. Cette coalition a été suivie par un renouvellement du Front républicain au second tour, unissant la gauche et le centre-droit, ce qui a empêché le Rassemblement national d’obtenir la majorité des sièges.

Mais si les progressistes peuvent trouver un peu de réconfort dans cette alliance démocratique à court terme, il leur faut faire bien plus que simplement s’y opposer. Pour gagner, les partis démocratiques traditionnels doivent développer un nouveau centrisme radical. Ils ont besoin d’une injection d’idées nouvelles, de nouveaux visages et d’une volonté d’agir en fonction des priorités des électeurs avec courage et pragmatisme.

Sans un tel renouvellement du leadership politique, sans rapprochement des hommes politiques avec les citoyens qu’ils servent – ​​par le biais d’assemblées citoyennes et d’autres formes de démocratie délibérative – la confiance dans la politique établie ne fera que s’effriter. Et les partis centristes, qui croient à tort que la majorité des électeurs a changé leurs valeurs, risquent de participer à une course vers le bas, en cédant à des politiques extrêmes dans une tentative malavisée de les reconquérir.

Cette approche est vouée à l’échec. Elle ne peut qu’aider les populistes nationaux en laissant leurs idées incontestées. Et surtout, elle risque de faire des partis traditionnels une pâle imitation de leurs adversaires, les détournant de leur véritable mission : proposer des politiques ambitieuses et intelligentes qui sauront toucher l’électorat.

Les électeurs ne sont pas forcément attachés aux extrêmes, certains aspirent simplement à être entendus. | Alex Wroblewski/AFP via Getty Images

Les déboires actuels du président français Emmanuel Macron devraient servir de leçon à ses pairs centristes. Plus tôt cette année, dans une tentative de séduire les électeurs du Rassemblement national, son gouvernement a fait passer une loi sur l’immigration très critiquée avec les voix du parti d’extrême droite – une législation que la cheffe de l’opposition Marine Le Pen a qualifiée de « victoire idéologique ». Et après avoir présidé à un virage à droite du gouvernement, Macron est perçu négativement par une écrasante majorité.

Les centristes doivent éviter ce type de raisonnement, en partant du principe que les questions qui obsèdent les populistes nationaux sont également de la plus haute importance dans l’esprit des électeurs. Bien que les partis centristes négligent souvent les priorités des électeurs, dans la plupart des pays, les questions qui préoccupent le plus le public sont les préoccupations quotidiennes – le coût de la vie, les soins de santé et les opportunités économiques – et ce sont ces questions qui ont tendance à être les plus importantes pour les électeurs.

En même temps, pour réussir, les partis centristes doivent dénoncer le triste bilan des partis populistes nationaux dans les pays où ils ont exercé le pouvoir politique. Prenons l’exemple de la Pologne : les politiques du parti nationaliste Droit et Justice (PiS) – comme l’interdiction quasi totale de l’avortement – ​​étaient si polarisantes que même de nombreux électeurs conservateurs ne pouvaient plus les soutenir, et le parti a été évincé du pouvoir en octobre dernier. Après presque une décennie au pouvoir, il a été défait par une mobilisation des électeurs autour de valeurs libérales fondamentales.

Mais une fois encore, les adversaires du PiS ont bénéficié de puissants mouvements sociaux portés par la jeunesse qui se sont ralliés aux populistes nationaux. En vérité, les centristes traditionnels doivent leur succès aux récentes élections européennes à cette énergie fondée sur des valeurs, et non à leurs programmes politiques. Et les partis centristes élus doivent agir rapidement pour rembourser cette dette en s’engageant dans le processus de renouveau. Ils ne peuvent pas compter indéfiniment sur ces mouvements. Ils doivent créer leur propre dynamique politique tant qu’il en est encore temps.

Les électeurs ne sont pas forcément attachés aux extrêmes, certains aspirent simplement à être entendus et à avoir un gouvernement représentatif et inclusif qui associe la rhétorique à l’action. L’avenir de la politique démocratique dépend de la capacité des partis établis, du centre-gauche au centre-droit, à restaurer la confiance des électeurs grâce à une approche centriste renouvelée – ce qui nécessite un véritable engagement en faveur du renouvellement institutionnel, un dialogue humble avec l’électorat et la réaffirmation des valeurs fondamentales de la démocratie libérale.

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