Les conseillers ministériels préparent leur CV pour le monde d'après

Martin Goujon

Les conseillers ministériels préparent leur CV pour le monde d’après

PARIS — Dans les cabinets ministériels, la sidération a laissé place à la peur du vide. Depuis l’annonce de la dissolution de l’Assemblée, quelque 200 collaborateurs occupant des postes de chef de cabinet, de conseiller communication ou parlementaire, préparent leur reconversion.

Contrairement à leurs collègues aux postes dits « techniques », issus majoritairement de l’administration et qui bénéficient de la sécurité de l’emploi, ces profils recrutés sur contrat n’ont pas de filet de sécurité.

Depuis plusieurs jours, ces futurs ex-conseillers envoient leurs curriculums en masse aux cabinets de communication d’influence et d’affaires publiques.

Dans les rangs des mastodontes Havas et Publicis, mais aussi de Taddeo, Vae Solis ou Image 7, on s’amuse ces derniers jours de la pluie de candidatures, d’appels du pied et de SMS pour « prendre un café » ou « faire le point pour la suite ».

Ces agences, déjà peuplées d’anciens parlementaires, conseillers et hauts fonctionnaires, font office de portes de sortie naturelles pour les collaborateurs ministériels.

«Elles sont presque là pour ça : staffer les cabinets qui se constituant et récupérer les conseillers quand les cabinets se dissolvent», sourit un routard des affaires publiques.

Si les va-et-vient entre les ministères et les agences sont habituels en période de remaniement ou d’élections, l’afflux simultané d’autant de candidats — en provenance des ministères, de l’Assemblée et dans une moindre mesure de l ‘administration — fait craindre à plusieurs une saturation du marché.

« On va être très nombreux sur le marché du travail pour des emplois plus ou moins similaires avec des profils similaires », relate une conseillère d’un ministre parti en campagne, qui se dit « s’inquiète, mais pas catastrophe ».

Composé majoritairement de trentenaires aux profils souvent identiques, le petit monde des collaborateurs ministériels avait l’habitude de se serrer les coudes, n’hésitant pas à donner un coup de main au confrère qui cherchait à se « recaser dans le privé ». Mais en ces temps incertains, l’heure n’est plus à l’entraide.

« On sait tous que l’on cherche, mais on ne se le dit pas trop, on ne donne pas trop ses pistes pour ne pas se faire doubler », raconte une conseillère en poste au Quai d’Orsay. «Il ya un côté un peu secret et chacun pour sa pomme, je ne vais pas aller donner mes plans à des communicants qui ne sont pas mes potes», abonde un conseiller de Bercy qui parle sous condition d’anonymat, comme tous ceux encore en poste centralisé par L’Observatoire de l’Europe.

Dans les bureaux des agences et cabinets de lobbying, on observe cette grande agitation avec une pointe d’empathie pour ceux passés par la politique, et surtout avec l’intention d’en tirer profit.

« Les agences ont beaucoup plus de marges de manœuvre pour sélectionner les profils aujourd’hui qu’il y a quelque temps », analyse un cadre chez Havas.

D’autant que la période estivale n’est jamais la plus propice aux recrutements, qui plus est en pleine recomposition du paysage politique. « Ce n’est pas en ce moment qu’on va examiner des candidatures, il y a trop d’incertitude », relève Laurent Mazille, président de l’Association des professionnels des affaires publiques (Apap).

« Hormis pour les quelques profils stars, les collaborateurs des ministres surexposés (comme Bruno Le Maire, Gérald Darmanin, NDLR), personne ne se précipitera », anticipe un dirigeant d’une grande agence, qui prédit qu’une centaine de députés chercheront également à se recycler.

Si les places s’annoncent chères, elles sont cependant plus nombreuses que par le passé. « C’est une aubaine, il ya un marché des affaires publiques qui est vraiment dynamique en France, où l’on commence à s’acculturer de plus en plus, à ces métiers de l’influence et de la gouvernance », note Roxane. Fournier, directrice générale de Mavence, un cabinet de chasse de tête spécialisé dans les affaires publiques et institutionnelles.

Parmi les conseillers désireux de rejoindre un cabinet de lobbying, plusieurs redoutent d’être « moins bankables » et de voir leurs marges de négociation salariale réduites. Les boîtes ont-elles intérêt à recruter des macronistes et leur carnet d’adresses, s’il y a une majorité Rassemblement national ou Nouveau Front populaire ?

« Si ce sont des gens qui ont été très exposés politiquement, il faut se poser la question, mais ce n’est pas mon premier critère, je recrute pour des compétences avant tout », tranche Fabrice Alexandre à la tête du cabinet Communication & Institutions , qui prévoit d’embaucher dans les prochaines semaines.

S’il existe une certaine défiance du monde privé vis-à-vis des profils politiques, en particulier les militants qui se mouillent sur les réseaux sociaux, selon Roxane Fournier, les profils de chef de cabinet et conseiller parlementaire restent « appréciés en raison de leurs grandes capacités de coordination et leur capacité de faire le lien ».

A ces nombreuses craintes des conseillers s’ajoutent celle de la perte d’adrénaline et un sentiment de déclassement, pour ces accoutumés au rythme effréné de la vie politique et aux dorures des ministères.

«Il y en a qui vont passer d’avoir un stagiaire, un chargé de mission, une assistante et une direction de la communication à se démerder tout seuls, ça va leur faire tout drôle», sourit le conseiller de Bercy.

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