PARIS — 100 milliards ou plus ? La responsable socialiste Valérie Rabault a ouvert le champ de division au sein du Nouveau Front populaire (NFP), mardi, en estimant que les dépenses du programme de la coalition de gauche représentaient un coût de 106 milliards d’euros entre 2024 et 2027. a suffi de quelques heures pour que La France insoumise prenne ses distances avec l’annonce, indiquant qu’il s’agissait là d’une « vision personnelle » du programme économique.
Pourtant, l’union des gauches va devoir accorder ses violons rapidement. Jeudi matin, les figures de proue des différentes forces politiques en présence sont auditionnées par la CPME, le Medef, l’U2P et la CCI France. Les organisations patronales veulent cuisiner Jordan Bardella (Rassemblement national) et son allié venu de la droite Eric Ciotti, Bruno le Maire (Renaissance), Edouard Philippe (Horizons), Bruno Retailleau (Les Républicains), Eric Coquerel et Boris Vallaud (NFP) sur la crédibilité économique de leurs projets.
En coulisses, chaque parti mobilise ses réseaux d’experts pour construire et chiffrer des programmes réécrits pour une campagne éclair.
Pour le NFP, dont la crédibilité économique est attaquée par les oppositions et interrogée par les milieux d’affaires, l’enjeu est de taille. Les négociateurs de LFI, du PS, des Écologistes et du PCF sont entourés d’un aréopage de plus d’une cinquantaine d’économistes qui alimentent en notes les mesures proposées. Il y a les visages médiatiques, comme le couple Julia Cagé-Thomas Piketty, ou Michaël Zemmour et Anne-Laure Delatte qui enchaînent les sollicitations depuis la naissance de la coalition.
Aux côtés de hauts fonctionnaires de l’Insee et de la Cour des comptes, aux noms restés confidentiels, d’autres universitaires de tous horizons de la gauche se sont mobilisés dès l’annonce de la dissolution dans des boucles de discussion, pour apporter leurs contributions écrites.
A LFI, des économistes de l’Institut La Boétie comme Eric Berr, Léo Charles ou Cédric Durand ont réactivé les réseaux de la campagne présidentielle en vue d’une tribune de soutien, à paraître avant le premier tour et actualisant le travail fourni en 2022 .
Au PS, l’équipe d’une dizaine d’experts coordonnée par Simon-Pierre Sengayrac, consultant et enseignant en finances publiques, a apporté, jusqu’à la veille de l’audition devant les patrons, des éléments de comparaison avec les programmes concurrents pour alimenter la prestation de Boris Vallaud. « L’objectif est de fédérer toutes les initiatives pour aboutir à quelque chose de commun », signale Eric Berr.
Le chiffrage du programme fait encore l’objet de plusieurs réunions entre les partis depuis lundi. Ceux-ci s’appuient sur plusieurs documents et tableaux récapitulatifs, qui synthétisent notamment les recettes fiscales supplémentaires apportées par la suppression des niches fiscales et sociales, ou le rétablissement de l’ISF et de l’taxe de sortie.
Un document consulté par L’Observatoire de l’Europe et transmis hier aux équipes de campagne avancée, en fonction des scénarios retenus et des paramètres des réformes, une fourchette basse de 60 milliards d’euros jusqu’à une fourchette haute de 122 milliards. Une autre estimation se situe plutôt entre 100 et 130 milliards. La clarification est attendue avant le week-end.
Le parti de Jordan Bardella tente également de mettre en avant les experts, tant du secteur public que du secteur privé, qui alimenteraient ses propositions. Dans le premier cercle : Renaud Labaye, ancien de Bercy passé par HEC, secrétaire général du groupe à l’Assemblée nationale jusqu’à la dissolution et proche conseiller de Marine Le Pen ; et Jean-Philippe Tanguy, député sortant en campagne. Tous deux sont accompagnés de « quatre, cinq personnes » extérieures au parti, précise Renaud Labaye à L’Observatoire de l’Europe.
L’officine, à la composition gardée secrète, est surnommée « les nouveaux Horaces », référence au groupe d’experts des Horaces qui prêtent leurs connaissances à Marine Le Pen.
Labaye, Tanguy et ces nébuleux néo-Horaces ont utilisé le programme de Marine Le Pen pour la dernière présidentielle comme premier croquis. Ils en ont estompé un certain nombre de mesures, au nom de la « dégradation des finances publiques », et du délai et des contraintes d’une cohabitation, justifient encore Labaye.
Cela se traduit par une reculade sur plusieurs mesures phares du RN, comme la suppression de la TVA sur les produits de première nécessité, qui se fera « dans un second temps », dit Jordan Bardella au Parisien.
Les modifications doivent également prendre en compte l’ADN du président dissident de LR, Eric Ciotti. Celui-ci a investi l’économiste et entrepreneur Sébastien Laye dans la 10e circonscription des Hauts-de-Seine face à Gabriel Attal. «Je participe déjà à des campagnes politiques en alimentant en idées économiques», précise l’intérêt, encarté chez LR, qui pourra confronter sur le terrain le bilan éco du Premier ministre.
Dans la majorité, rares sont les économistes à s’afficher publiquement en défense du bilan des sortants dans le programme coordonné par Rayan Nezzar, conseiller d’Attal. Les inspirateurs d’antan les plus connus de la première campagne du président en 2017, comme Jean Pisani-Ferry, Antoine Bozio et Philippe Aghion, ont depuis pris leurs distances ou vogué vers de nouvelles fonctions.
Les économistes Olivier Blanchard et Jean Tirole, auteurs du rapport sur les grands défis économiques qui a alimenté le programme d’Emmanuel Macron version 2022, ont pour leur part choisi de publier une tribune pour ensevelir sous les critiques des programmes du NFP et du RN.
Quant à Horizons, « on ne va pas proposer des chiffres du jour au lendemain », temporise le directeur de la communication du parti, Romain Champel. La formation d’Edouard Philippe entend pour sa part s’appuyer sur les groupes de travail de son pôle idées, piloté par le sénateur de Seine-et-Marne Louis Vogel et la députée sortante Naïma Moutchou. Celui-ci planche toujours sur des propositions pour les législatives.