Un patchwork de 4 200 hectares de forêt est en train d’être adapté à la hausse des températures.
Dans le massif de la Moulière, dans le département de la Vienne, la stratégie française de lutte contre le changement climatique s’appelle la « forêt mosaïque ».
Ici, un bouleau conquérant pousse parmi les chênes, et un jeune pin remplace ses cousins mourants.
L’été se transforme en automne dans l’ancienne forêt royale au nord-est de Poitiers. Il reste vert, mais certains feuillus ont perdu leurs branches et les pins sylvestres sont roussis. La France a connu moins d’incendies de forêt qu’en 2022, mais le dépérissement se poursuit toujours à un faible niveau.
« Le stress climatique est comme une tempête silencieuse : il provoque tout autant de dégâts, mais c’est moins perceptible. La grande différence, c’est que cette tempête ne s’arrête pas », explique Albert Maillet, directeur des forêts et des risques climatiques à l’Office national des forêts. (ONF).
Gestionnaire des forêts publiques françaises – 17 millions d’hectares en France métropolitaine – l’ONF cherche des solutions dans la perspective d’un « scénario +4°C d’ici 2100 ». La France s’est réchauffée d’environ 1,8°C depuis le début du 20e siècle.
L’adaptation au changement climatique est un immense défi
« Nous essayons de faire absorber en 10 ans à la forêt un choc thermique de 10 000 ans », explique Albert Maillet. La solution réside dans la diversification des espèces, dit-il, voire dans l’introduction d’espèces « méridionales » ou « étrangères » plus au nord.
La France est « le seul pays d’Europe à la confluence de quatre zones bioclimatiques : atlantique, continentale, montagneuse (alpine) et méditerranéenne. Et peut-être bientôt tropicale sèche dans une partie de la zone sud », souligne Albert Maillet.
Dans la forêt domaniale de Moulière, tous les scénarios d’adaptation sont déjà en place. Antoine Bled, directeur de l’antenne Poitou-Charentes de l’ONF, déroule une carte de gestion forestière.
De petits carrés irréguliers composent le dessin du massif : bleu pour la régénération naturelle (sans plantation) et beige pour les îles vieillissantes (arbres abritant oiseaux et insectes).
Les différents types de gestion vont du saumon au bordeaux pour les résineux, et du vert tendre au kaki pour les feuillus. Les parcelles mixtes se déclinent en blond et orange ; les landes sont entourées de bleu et les réserves sont hachurées de marron.
Ce patchwork de 4 200 hectares forme la « forêt mosaïque ».
Comment la mosaïque aidera-t-elle les forêts à faire face au changement climatique ?
Le motif de la carte « illustre la stratégie de l’ONF face au changement climatique », explique la directrice générale Valérie Metrich-Hecquet.
Sur la parcelle 242, des chênes centenaires prospèrent dans une forêt régulière sous laquelle poussent des hêtres et des charmes. Il s’agit ici de protéger le patrimoine français : des bois remarquables destinés à la tonnellerie, l’art de fabriquer des tonneaux, des cuves, des seaux et des cuves.
Le forestier Christophe Chopin est responsable du programme de recherche « Renecofor », créé il y a 25 ans pour évaluer la réaction des écosystèmes forestiers au changement climatique.
« Nous évaluons le niveau de croissance des arbres, la date d’apparition et de chute des feuilles et la production de glands », explique-t-il.
L’ONF récolte les glands de ce terroir « remarquable », connu pour la qualité de ses arbres, pour assurer la pérennité de la « génétique exceptionnelle » du chêne sessile. Il s’est désormais adapté au climat local et « pourrait être planté plus au nord » à l’avenir.
A quelques kilomètres de là, sur la parcelle 237, le chêne est toujours roi. Mais cette fois en futaie irrégulière, accompagnée de pins maritimes, de frênes et de noisetiers. Les châtaigniers, touchés par le chancre, ont dépéri, tandis que le bouleau a fait son entrée.
« Là où nous avons plus de parcelles mixtes, les sols et les écosystèmes fonctionnent mieux », note Antoine Bled.
« On perd 30 à 40 pour cent de productivité si le sol ne fonctionne pas correctement en termes d’eau. »
Introduire de nouveaux arbres dans les zones en souffrance
L’étape suivante est « l’aide à la migration », où des arbres venus d’ailleurs sont plantés pour s’adapter aux conditions changeantes. Sur la parcelle 85, le pin sylvestre et le chêne sessile sont en difficulté. Les feuillus captent l’essentiel des réserves d’eau du sol.
Sur 7 hectares, l’ONF favorise la régénération naturelle en introduisant plus au sud des chênes et des pins laricio, qu’il espère mieux adaptés. Les plants poussent à l’ombre de chênes centenaires, entourés d’un fin grillage qui les protège des dents des animaux sauvages.
Ailleurs, des pins turcs et un sapin espagnol sont testés sur de petites surfaces, « pour qu’on puisse revenir à l’état où c’était avant », explique Albert Maillet.
Quoi que fassent les humains pour intervenir, insiste-t-il, « les nouveaux boisements se développeront plus lentement ».
« Récolter du bois dans une forêt mosaïque est plus compliqué que dans une forêt ordinaire, mais c’est moins compliqué que dans une forêt en voie de disparition. »