« Écraser des animaux est une aberration » : la technologie évite aux poussins mâles d'être tués par l'industrie des œufs

Jean Delaunay

« Écraser des animaux est une aberration » : la technologie évite aux poussins mâles d’être tués par l’industrie des œufs

Voici comment la France utilise le « sexage in-ovo » après avoir partiellement interdit l’abattage des poussins mâles plus tôt cette année.

Au début de cette année, la France a promis d’interdire l’abattage des poussins mâles dans la filière œufs. La pratique est interdite en Allemagne depuis 2022.

Selon les nouvelles règles, les couvoirs doivent utiliser le sexage in-ovo pour déterminer le sexe des embryons avant leur naissance.

Auparavant, les poussins mâles – inutiles à l’industrie de la ponte et appartenant à une race différente de celles utilisées pour la production de viande – étaient écrasés peu de temps après l’éclosion.

Aujourd’hui, l’intelligence artificielle (IA) contribue à améliorer le bien-être animal dans l’industrie des œufs.

Comment fonctionne le sexage in-ovo ?

La société allemande Agri Advanced Technologies (AAT) utilise la spectroscopie pour déterminer le sexe d’un œuf.

En projetant de la lumière à travers la coquille de l’œuf, ses machines peuvent déterminer le sexe de l’embryon avec une précision de 97 % en calculant le spectre lumineux.

Cette technologie ne fonctionne que sur les poules rousses, qui présentent une couleur de plumes spécifique au sexe lorsque le duvet commence à se former lors de l’incubation. Ils représentent 85 pour cent de la production française.

Actuellement, le sexe des embryons peut être déterminé au jour 13 sur 21 d’incubation, les poussins mâles ayant des plumes blanches. À terme, l’entreprise vise à pouvoir sexer les ovules le quatrième jour.

Le processus non invasif laisse la coque intacte, ce qui signifie qu’il n’y a aucun risque de contamination.

D’autres méthodes de sexting in-ovo, telles que celles utilisant l’imagerie par résonance magnétique (IRM) alimentée par l’IA, peuvent être utilisées pour les œufs bruns et blancs. En attendant que celles-ci soient développées, l’interdiction française d’abattre les poussins mâles ne s’applique qu’aux œufs bruns.

Des technologies invasives telles que la détection de biomarqueurs, qui utilisent un liquide changeant de couleur pour déterminer le sexe d’un œuf, et l’analyse de l’ADN peuvent également être utilisées.

Des robots sont utilisés pour séparer les œufs selon leur sexe

Chez AAT, les employés amènent des chariots remplis d’œufs, qui sont ensuite déchargés par robot au début d’une ligne automatisée.

Au 13ème jour d’incubation, les œufs sont brièvement éclairés par le bas et l’intelligence artificielle entre en action.

« Le spectre de l’image est analysé par ordinateur. La coque reste intacte, il n’y a aucun risque de contamination bactérienne», explique Anke Förster, de la société allemande AAT, qui fait partie du groupe EW.

Des ventouses bleues saisissent les œufs et les séparent selon les commandes de l’algorithme. Les embryons femelles retourneront à l’incubateur pour éclore une semaine plus tard.

Les œufs non fécondés et ceux contenant des mâles sont transformés en nourriture animale.

La machine développée par AAT, baptisée Cheggy, peut analyser 20 000 œufs par heure.

Le couvoir Lohmann (également filiale du groupe EW) en Vendée, dans l’ouest de la France, possède deux de ces machines et prévoit d’en installer une troisième pour « sexer » jusqu’à 60 000 œufs par heure.

Le couvoir est l’un des cinq établissements français spécialisés dans l’approvisionnement en poussins femelles – futures poules pondeuses.

Pourquoi les poussins mâles sont-ils tués dans l’industrie des œufs ?

Dans le monde des œufs, hormis les quelques coqs destinés à la reproduction, les mâles sont superflus, les poules produisant sans eux 1,5 billion d’œufs non fécondés par an.

Les poussins mâles sont donc éliminés après éclosion, généralement par écrasement, une pratique que l’Allemagne et la France ont interdite respectivement en 2022 et 2023.

Dans le monde, environ 7 milliards de poussins mâles sont abattus chaque année dans l’industrie des œufs.

Le problème ne se pose pas dans la production de viande de poulet : mâles et femelles sont élevés ensemble et abattus avant leur maturité sexuelle.

À l’AAT, les poussins mâles non détectés avant leur éclosion sont soumis au gazage de CO2 – la seule méthode encore légale en France – et finiront dans les zoos pour nourrir des rapaces et des reptiles.

C’est aussi le sort des poules blanches mâles. Une dérogation à la loi française permet de continuer à les éliminer après éclosion. En effet, la profession et le gouvernement français considèrent la technologie trop immature et trop coûteuse pour déterminer leur sexe avant l’éclosion.

Le sexage in-ovo sera-t-il appliqué aux œufs blancs à l’avenir ?

Deux couvoirs français peuvent cependant « sexer » des poules blanches.

Ils ont investi dans une technologie fonctionnant avec l’IRM, proposée par la société allemande Orbem. Il identifie les ovaires et les testicules des futurs poussins, permettant de les trier quelle que soit la couleur des plumes.

Mais le tarif est bien inférieur : 3 000 œufs par heure et par machine. Orbem suggère d’installer plusieurs IRM pour augmenter la capacité de sexage.

Bénédicte Lanckriet, responsable du couvoir de Lanckriet en Picardie, dans le nord de la France – qui possède deux de ces machines – est heureuse d’être à la pointe du sexage des œufs.

« Écraser des animaux est une aberration. Désormais, nous ne couvrons que ce dont nous avons besoin », dit-elle. Mais cette technologie coûte cher.

« On mange de l’argent avec ça, ce n’est pas rentable du tout », estime Bénédicte. Rendre cette pratique obligatoire dans toute l’Europe augmenterait la demande de poules sexées sur œufs et réduirait les coûts, ajoute-t-elle.

Mais pour le consommateur, le coût supplémentaire n’est que d’environ trois centimes pour six œufs.

Laisser un commentaire

quatre × quatre =