Rejoignez-nous pour un voyage à Carpi, Modène et Sassuolo en Italie où ce week-end, Festivalfilosofia vise à sortir la philosophie des amphithéâtres étouffants et sur les places publiques. L’écrivaine Alice Carnevali, née à Carpi, partage ses souvenirs de cet événement et comment il a joué un rôle important dans sa vie.
Carpi, Modène et Sassuolo sont trois villes situées au cœur de l’Émilie-Romagne, une région située au nord de l’Italie. Ils doivent leur renommée aux constructeurs automobiles emblématiques Ferrari et Lamborghini, au goût raffiné du vinaigre balsamique et à la saveur légère du Lambrusco, le vin rouge parfait pour accompagner les plats de viande.
Mais ces trois villes ont bien plus à offrir que de simples plaisirs matériels ou sensoriels. Si vous les visitez entre le 15 et le 17 septembre, votre promenade dans les centres-villes pourrait être interrompue par des discussions existentielles, résonnant à chaque coin de rue. Et c’est à ce moment-là que vous saurez que le Festivalfilosofia a commencé.
Festivalfilosofia est un événement annuel qui rassemble des experts en philosophie, des étudiants et des citoyens curieux. Il a été créé en 2001 par la Fondazione Collegio San Carlo, une organisation privée organisant des activités culturelles au sein des communautés locales près de Modène.
« Le but du festival est d’essayer de saisir un sujet, de le décortiquer, de montrer ses différents niveaux de sens, de susciter des questions et de fournir des outils pour comprendre les enjeux contemporains », explique Daniele Francesconi, directeur du festival.
Mais qu’est-ce qui rend cet événement si spécial ?
Ramener la philosophie à agora
Ma première rencontre avec Festivalfilosofia a eu lieu à l’âge de 14 ans. C’était un samedi après-midi, et je dégustais une glace avec des amis sur la Piazza Martiri, une immense place du centre de Carpi. Nous nous promenions sous la longue arcade, lorsque nous tombâmes sur une conférence en plein air. Une femme parlait du lien entre les humains et la nature devant une foule de personnes assises sous le doux soleil de septembre. Derrière elle, l’affiche Festivalfilosofia – Natura.
Même si je ne comprenais pas grand-chose, j’étais fasciné. La philosophie n’avait jamais été un sujet de discussion dans ma maison, où les problèmes quotidiens dictaient la loi.
Ecouter le philosophe m’a fait me sentir privilégié : j’assistais à un cours compliqué, habituellement réservé aux salles universitaires, où aucun membre de ma famille n’avait eu l’occasion d’aller.
Mais au fil du temps, la philosophie m’a appris que l’événement n’était pas un privilège, mais un droit fondamental dont nous avions été privés.
Agora est le lieu public où les philosophes grecs organisaient des débats pour partager leurs connaissances et renforcer l’esprit critique de leur public.
Et même si Carpi, Modène et Sassuolo ne sont pas Athènes, elles prennent néanmoins vie pendant le festival. Des concerts, des expositions d’art et des conférences remplissent les rues, créant une atmosphère vibrante qui attire des gens de toute l’Italie.
« Ces villes ne sont pas seulement le théâtre de l’événement. Ils en sont les protagonistes », affirme Francesconi. Et rien ne semble mieux capter l’énergie du festival que cette métaphore.
Un pont entre la philosophie et les défis de notre époque
En 2016, j’ai assisté à ce que je considère comme la meilleure conférence du Festivalfilosofia. Le thème de cette année-là était agonisme, coïncidant avec les Jeux olympiques de Rio. Julio Velasco, entraîneur de volleyball de renommée internationale et possédant une formation en philosophie, a donné une leçon sur le travail d’équipe. J’ai partagé ce moment avec ma famille passionnée de sport et mon meilleur ami.
La Piazza Grande de Modène était remplie de monde. Nous n’avons pas trouvé de place pour nous asseoir, alors nous sommes restés debout pendant deux heures, transportés par les explications terre-à-terre de Velasco. À partir de ce soir-là, chaque fois que je préparais un examen de philosophie, mes parents m’encourageaient à répéter mes notes à haute voix, en m’écoutant et en me posant des questions sur des sujets philosophiques.
Chaque année, les participants ont un large éventail de choix. Dans chaque ville, il y a au moins quatre conférences gratuites par jour, des activités pour les enfants, des soirées cinéma et des menus spéciaux dans les restaurants locaux.
Les sujets sont intrigants et liés aux discussions actuelles. « Le thème de cette année est le mot, un élément central du débat philosophique du XXe siècle et de notre société. La communication est actuellement confrontée à une crise : nous nous parlons de moins en moins et nous ne pouvons pas nous écouter », déclare Daniele Francesconi.
Aux côtés des italophones, le festival étend sa portée internationale avec une programmation d’invités de marque. Eva Majer, chercheuse néerlandaise spécialisée dans la communication inter-espèces ; Anne Cheng, une éminente sinologue française ; Cass Sunstein, un universitaire américain qui parle de la communication politique à l’ère numérique et Sverker Johnsson, un chercheur suédois qui s’intéresse aux origines du langage.
Une tâche ambitieuse, mais qui vaut la peine d’être essayée
Je vis à l’étranger depuis plus de quatre ans et pourtant je fais toujours un effort pour ne pas manquer le festival. Je chéris plusieurs souvenirs qui y sont liés : les conférences auxquelles j’ai assisté avec mes camarades du secondaire, mon premier stage dans son organisation, et même les cours que j’ai sautés en raison de leur grande complexité.
Combler les écarts politiques, culturels et éducatifs est une entreprise ambitieuse et trois jours ne suffisent certainement pas pour atteindre cet objectif.
Pourtant, une chose est sûre. Ce week-end, les habitants ou les visiteurs de Carpi, Modène et Sassuolo contribueront à créer l’énergie captivante du festival. Et peut-être qu’en participant simplement à l’événement en mangeant une glace, ils finiront peut-être un jour par écrire un article à ce sujet.