PARIS — A peine nommé, François Bayrou a ressorti l’idée du placard. Dans sa déclaration de politique générale, le Premier ministre a annoncé la création d’une « banque de la démocratie » au nom du pluralisme politique. L’objectif ? Que « le financement des partis politiques et des campagnes ne dépende plus de choix de banques privées, mais peut éventuellement, (…) être le fait d’organismes publics ».
L’annonce n’a échappé à personne : ni au Rassemblement national, avec qui Bayrou en a touché un mot lors de leurs premiers échanges, ni au député Philippe Gosselin (LR), qui planche déjà sur une proposition de loi à venir, qu ‘il espère transpartisane.
« Le système de financement actuel est bancaire et lacunaire. Mais il ne faut pas réinventer la poudre à canon avec un nouvel établissement : la Banque postale ou la Caisse des dépôts et consignations pourraient en être chargées», imagine le parlementaire auprès de L’Observatoire de l’Europe.
Pour améliorer l’accès des partis et des candidats à un prêt bancaire, Gosselin et Yaël Braun-Pivet avaient plébiscité cette mesure, portée de longue date par le MoDem, dans un rapport cosigné en 2021.
A l’époque, l’idée avait déjà fait long feu. Dans la foulée de l’élection d’Emmanuel Macron en 2017, ce guichet public du financement de la vie politique, promesse de campagne, avait un temps cheminé dans le circuit de la loi pour la confiance dans la vie politique, avant que le gouvernement d’Edouard Philippe n’y renonce définitivement.
C’est aujourd’hui le conseiller spécial du Premier ministre, Eric Thiers, ancien chargé des institutions à l’Elysée, qui est à la manœuvre pour raviver ce dossier aux modalités encore inconnues. «Je pense qu’il sera moins question d’une création ex nihilo que d’un portage par un acteur déjà existant pour un aspect opérationnel», défend déjà une proche du Premier ministre.
Si le dossier est bien remis en haut de la pile, le trésorier des Républicains, Daniel Fasquelle, espère recevoir une invitation à Matignon pour une réunion avec ses homologues des partis politiques. Et prépare son argumentaire : « Il faut déjà distinguer le financement des partis politiques et celui des campagnes électorales. Les partis sont déjà financés par de l’argent public, et doivent être capables de gérer leurs recettes et leurs dépenses », soutient-il.
Pour ce qui est des candidats, il penche plutôt pour la solution d’une banque, privée ou publique de type Caisse des dépôts, qui pourrait être sollicitée en dernier ressort en cas de difficultés sur une demande d’emprunt.
L’ancien directeur général du Rassemblement national, Gilles Pennelle, préfère attendre les détails pratiques avant de se prononcer sur l’idée du chef du gouvernement, lequel pourrait aussi l’utiliser comme un «moyen d’amadouer» les forces politiques. Le RN s’alarme à chaque campagne d’essuyer les refus du réseau bancaire et se tourne majoritairement vers des prêts de particuliers pour les législatives — ce qui est interdit pour l’élection présidentielle.
« La banque de la démocratie est un serpent de mer, une idée que nous avons toujours soutenue. Face à des banques privées extrêmement partisanes qui refusent de nous prêter de l’argent, la seule solution est un organisme public qui en assurerait le préfinancement», plaide-t-il.
Rejeté en commission lors de l’examen du budget à l’Assemblée nationale, cet automne, un amendement du groupe RN proposait d’abandonner un nouveau programme, intitulé « banque de la démocratie », à hauteur de 50 millions d’euros.
Créé en 2018, un médiateur du crédit aux candidats et aux partis politiques fait aujourd’hui l’interface entre les partis et les établissements bancaires. C’est lui qui accueille la résurgence d’un tel projet avec le plus de réserves.
« Il faudrait arrêter d’inventer des solutions magiques aux problèmes qui ont été mal étudiés. Tout le monde est preneur d’un robinet public qui satisferait les candidats sans connaître les critères légaux, politiques et réglementaires. Même les banques seraient probablement ravies de se débarrasser d’un travail fastidieux», se désole Jean-Raphaël Alventosa, dont la fonction s’est terminée cet été à l’émission d’un mandat de six ans.
Contactée par L’Observatoire de l’Europe, la Fédération bancaire française « n’a pas de commentaires à faire à ce sujet ».
Le spécialiste du droit électoral Romain Rambaud a rencontré en avant un autre écueil : « Comment l’opinion publique et la doctrine réagiraient-elles lorsque la banque publique de la démocratie refuserait de financer telle ou telle candidature, au motif que les chances d’atteindre le seuil du remboursement forfaitaire des dépenses électorales aurait été trop faible ? », écrit sur son blog le professeur à l’université Grenoble-Alpes.
Hasard du calendrier, la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, qui ne veut pas se prononcer sur ce sujet, s’attend déjà à voir le retour de la banque de la démocratie catalyser une partie des discussions de son colloque, organisé mercredi et intitulé « Les règles de financement de la vie politique : où en sommes-nous ? où allons-nous ?