Accord de Paris : ce que le retrait de Trump implique réellement

Martin Goujon

Accord de Paris : ce que le retrait de Trump implique réellement

Le président Donald Trump a signé un décret lundi pour retirer une nouvelle fois les Etats-Unis de l’Accord de Paris sur le climat. Cette décision a instantanément mis le pays à l’écart de l’effort mondial visant à endiguer le réchauffement climatique.

Cette fois-ci, ce retrait pourrait avoir des conséquences plus profondes, puisqu’il prendra effet plus rapidement, et intervient à un moment où le nouveau président a plus d’alliés d’extrême droite aux Etats-Unis et à l’étranger.

Le décret indique que les Etats-Unis considèrent que le retrait prend effet “immédiatement”. Il ne mentionne pas la période de préavis d’un an prévue par le traité climatique.

Trump l’a signé en fanfare quelques heures à peine après son entrée en fonction, au moment où les catastrophes climatiques se multiplient dans le monde, notamment les feux de forêt dévastateurs de Los Angeles, et alors que l’année dernière a été la plus chaude jamais enregistrée. Cette décision marque le lancement d’un programme agressif visant à revenir sur la politique climatique des Etats-Unis, sous l’impulsion d’un président enhardi qui invite à s’opposer aux fondements scientifiques du changement climatique.

Cette sortie, annoncée depuis longtemps, annulera la promesse faite par les Etats-Unis sous Joe Biden de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 66% en l’espace d’une décennie. Elle remet également en question une série d’autres engagements américains, tels que l’octroi de milliards de dollars de soutien aux pays pauvres, victimes de vagues de chaleur, d’inondations et d’une montée des eaux inédites.

L’action de Trump augmente également les chances que, sans le leadership des Etats-Unis, le monde prenne encore plus de retard par rapport à l’objectif de l’Accord de Paris de limiter le réchauffement de la planète à 1,5°C, un seuil qui pourrait accélérer le rythme des dommages. Les Etats-Unis sont, après la Chine, les deuxièmes émetteurs de carbone, qui fait grimper les températures mondiales.

Les Etats-Unis avaient déjà pris du retard par rapport à leurs objectifs climatiques pour 2030, malgré les efforts déployés par l’ancien président Joe Biden, qui a consacré des centaines de milliards de dollars aux énergies propres. Trump a accompagné son retrait de l’Accord de Paris d’une série de décrets visant à revenir sur le travail de Biden, notamment en déclarant une urgence énergétique nationale qui, selon lui, permettrait de débloquer ce qu’il appelle “l’or liquide” de l’Amérique.

“On va forer, bébé, forer” (“drill, baby, drill”), a proclamé Trump lors de son discours d’investiture. “Nous avons quelque chose qu’aucune autre nation industrielle n’aura jamais, la plus grande quantité de pétrole et de gaz de tous les pays de la planète, et nous allons l’utiliser.”

La Maison-Blanche n’a pas perdu de temps pour annoncer le retrait de l’Accord de Paris, en le mentionnant dans un communiqué de presse moins de trente minutes après la prestation de serment de Trump.

Le nouveau président a officialisé sa décision quelques heures plus tard, devant une foule nombreuse au Capital One Arena de Washington, en signant un décret ordonnant le retrait, ainsi qu’une lettre de notification aux Nations unies. “Je me retire immédiatement de l’Accord de Paris sur le climat, qui est une escroquerie injuste et à sens unique”, a déclaré Trump devant le public, soulignant que réduire les émissions ne fonctionne que si tout le monde s’y met. “Les Etats-Unis ne saboteront pas leurs propres industries pendant que la Chine pollue en toute impunité.”

Il a ajouté — sans fondement — que le retrait de ce traité non contraignant permettrait aux Etats-Unis d’économiser “plus de 1 000 milliards” de dollars.

Au cours de son premier mandat, ses conseillers ont débattu pendant des mois de la question de savoir si les Etats-Unis devaient se retirer de l’Accord de Paris, un choix qu’il a finalement annoncé dans la roseraie de la Maison-Blanche en juin 2017. Cette décision a été rapidement condamnée par des dirigeants du monde entier et des chefs d’entreprise, dont Elon Musk, qui a tweeté à l’époque : “Le changement climatique est réel. Quitter l’Accord de Paris n’est bon ni pour l’Amérique ni pour le monde.”

Biden a immédiatement réintégré le traité dès son entrée en fonction il y a quatre ans, ce qui a permis de présenter ce retrait comme une aberration dans l’engagement des Etats-Unis à lutter contre le changement climatique.

Mais cette fois-ci, la sortie de Trump cimente l’opposition du Parti républicain à l’action climatique internationale et son rejet de décennies d’avertissements lancés par les scientifiques du monde entier. Musk, qui est aujourd’hui un soutien et un conseiller de premier plan de Trump, a occupé une place de choix lors de la cérémonie de prestation de serment du nouveau président, lundi. Et comme Trump a remporté le vote populaire en novembre, il est plus difficile d’affirmer qu’il n’a pas l’appui des électeurs américains, aussi mince soit-il, alors même qu’une grande partie du pays a vu des incendies de forêt meurtriers ravager Los Angeles.

“Lorsque les Etats-Unis se retirent de l’Accord de Paris une semaine après que des villes entières de Californie ont été détruites, cela en dit long”, estime Frances Colón, directrice senior chargée de la politique climatique internationale au Center for American Progress, un institut de centre gauche.

Pour de nombreux alliés des Etats-Unis, le retrait de Trump du traité constitue une rupture de confiance historique.

Des coalitions d’Etats, de villes et d’entreprises américaines ont réagi à la décision de Trump en affirmant qu’elles s’efforceraient d’atteindre les objectifs climatiques abandonnés par les Etats-Unis.

“En quittant l’Accord de Paris, cette administration a abdiqué sa responsabilité de protéger le peuple américain et notre sécurité nationale”, tacle Gina McCarthy, conseillère sur le climat auprès de Biden, qui copréside America Is All In, une coalition sur le climat. “Mais rassurez-vous, nos Etats, nos villes, nos entreprises et nos institutions locales sont prêts à reprendre le flambeau du leadership climatique américain et à faire tout ce qu’ils peuvent — malgré la complaisance du gouvernement fédéral — pour poursuivre le passage à une économie fondée sur les énergies propres.”

La coalition a été lancée dans le sillage du retrait de Trump de l’Accord de Paris en 2017.

Des militants et d’anciens responsables publics sous Joe Biden affirment que ce retrait nuirait aux Etats-Unis, en donnant à la Chine et à d’autres concurrents une longueur d’avance dans la course à la domination de l’industrie des énergies propres. Bien que l’Accord de Paris soit susceptible de survivre à l’ère Trump, il sera plus difficile de contenir les conséquences dangereuses du changement climatique sans la participation des Etats-Unis, affirment-ils.

Après des années de négociations, la conclusion de l’Accord de Paris en 2015 a engagé presque tous les pays de la planète, quels que soient leur taille, leur richesse ou leur niveau d’émissions de CO2, à se fixer des objectifs de plus en plus ambitieux de réduction des émissions. Le but : maintenir la hausse des températures depuis l’ère préindustrielle “bien en dessous” de 2°C et, dans l’idéal, ne pas dépasser 1,5°C.

Ces cibles ne sont pas contraignantes, mais le traité a néanmoins contribué à ralentir le réchauffement de la planète par rapport à ce qui aurait pu se produire sans, selon des analyses réalisées par des modélisateurs et par l’organe des Nations unies chargé des questions climatiques. Il a incité les pays à utiliser des formes d’énergie plus propres, avec l’aide d’initiatives nationales, telles que le programme de Biden sur l’énergie et les infrastructures propres, d’un montant de 1 600 milliards de dollars.

Les énergies renouvelables, telles que le solaire et l’éolien, devraient générer 22% de l’électricité américaine en 2024, contre environ 15% en 2017. A l’échelle mondiale, les investissements dans les énergies propres devraient être presque deux fois plus importants que ceux dans les énergies fossiles l’année dernière. Lorsque Trump a pris ses fonctions en 2017, ils étaient à peu près équivalents.

Alors que les émissions de gaz à effet de serre ont continué de croître au niveau mondial, passant d’environ 35 milliards de tonnes lors de l’adoption du traité à plus de 41 milliards de tonnes attendues en 2024, elles pourraient être sur le point d’atteindre leur pic. Cela signifie néanmoins qu’il sera pratiquement impossible de maintenir les températures en dessous de 1,5 °C à long terme : en 2024, les moyennes mondiales ont pour la première fois dépassé ce seuil pendant une année civile complète.

Les alliés de Trump soutiennent que ses mesures sont justifiées parce que le reste du monde n’a pas fait sa part, soulignant l’augmentation des émissions mondiales et la mise en service de nouvelles centrales à charbon en Chine. Ils affirment également que le retrait de l’Accord de Paris permet au nouveau gouvernement de revenir sur les allègements fiscaux accordés par Biden en faveur des énergies propres et sur d’autres politiques climatiques — même si les Etats-Unis ne sont pas légalement tenus d’atteindre les objectifs fixés par le traité et que les politiques de Joe Biden visaient tout autant à booster l’industrie et la croissance économique.

“Cela ne fait qu’enlever un autre obstacle pour défaire ce que Biden et le Congrès démocrate ont fait”, selon Myron Ebell, un critique virulent de la science du climat qui a soutenu la première sortie de Trump.

Les efforts de l’administration Biden pour stimuler les dépenses en matière d’énergie propre par le biais d’une série de réglementations, d’allègements fiscaux et d’autres mesures incitatives ont contribué à alimenter une transition verte, quand bien même les Etats-Unis sont devenus le premier producteur mondial de pétrole et de gaz naturel. Le fait d’inverser ou même d’atténuer certains de ces efforts, comme l’a promis Trump, pourrait porter un coup à l’action mondiale en faveur du climat.

Selon les termes de l’Accord de Paris, tout retrait est censé prendre effet un an après le jour où un pays notifie officiellement sa décision aux Nations unies. Il n’était pas clair lundi si l’administration Trump tentait d’abroger cette période de préavis.

Même après leur retrait effectif, les Etats-Unis pourront toujours participer aux négociations annuelles sur le climat — si Trump choisit d’envoyer une délégation —, mais ils auront probablement moins d’influence.

Dans le courant de cette année, d’autres pays achèveront leurs plans nationaux de lutte contre le changement climatique visant à réduire les émissions d’ici à 2035, thème central des négociations sur le climat de la COP30 qui se tiendront en novembre prochain au Brésil. La plupart des stratégies climatiques décennales de ces pays — qui détermineront dans quelle mesure ils peuvent freiner le réchauffement — dépendront du financement des pays riches, un processus auquel les Etats-Unis sont désormais déterminés à ne pas participer.

Les anticipations concernant les politiques de Trump ont commencé à affecter la diplomatie climatique des mois avant son entrée en fonction. Les diplomates et les activistes ont largement critiqué le fait que la conclusion des négociations climatiques de l’ONU de l’automne dernier en Azerbaïdjan ait été moins-disante.

“Le marché diplomatique l’avait pricé”, a déclaré R. David Edelman, senior fellow non résident au John L. Thornton China Center de la Brookings Institution, à propos de la sortie des Etats-Unis de l’Accord de Paris lors d’un événement organisé la semaine dernière à Washington. “Ce n’est évidemment pas une bonne chose, étant donné le signal que cela a envoyé aux projets climatiques plus vastes et en particulier aux pays indécis.”

Deux semaines après la victoire électorale de Donald Trump, les pays participant aux négociations sur le climat de la COP29 en Azerbaïdjan n’ont pas réitéré leur engagement, pris il y a un an, d’abandonner le plus rapidement possible les énergies fossiles. Les responsables des négociations ont indiqué que le retour de Trump avait revigoré les partisans du pétrole, du gaz et du charbon, tels que l’Arabie saoudite, la Russie et la Chine, affaibli la confiance dans les promesses des Etats-Unis, et rendu plus difficile pour les nations vulnérables face au réchauffement climatique de tenir bon pour obtenir un meilleur accord.

“Les décisions sont de plus en plus difficiles à prendre, notamment parce que des pays comme l’Arabie saoudite se sentent de plus en plus menacés et ne se soucient pas vraiment de ce que le reste du monde pense d’eux”, commente un diplomate d’un pays d’Europe du Nord, dont l’anonymat a été préservé parce qu’il n’était pas autorisé à s’exprimer publiquement. “Nous perdrons donc un partenaire diplomatique important mais, même avec ce partenaire, la période allait de toute façon être très difficile pour nous.”

Le retrait des Etats-Unis alimente la réticence, déjà croissante, parmi les gouvernements normalement considérés comme des leaders en matière de climat à réduire à la fois l’utilisation des énergies fossiles, et les profits des entreprises et des pays qui les produisent, poursuit le diplomate. Dans le même temps, les engagements en faveur du climat s’effritent chez certains gouvernements occidentaux qui ont adopté des politiques énergétiques vertes, avant de voir leurs électeurs basculer à droite sur le plan politique.

Certains responsables européens et britanniques craignent également qu’une guerre commerciale plus large n’entrave la transition écologique et ne nuise à la croissance économique.

“Si vous demandez quelle est la partie du monde la plus déterminée sur le climat : c’est l’Europe. Et l’Europe est aussi limitée dans le fait d’orienter toujours plus ses politiques en fonction des impératifs climatiques — et je pense que nous nous heurtons à cette limite en ce moment”, estime George David Banks, qui a dirigé la diplomatie climatique internationale lors du premier mandat de Trump.

Pourtant, le refrain de la COP29 était que l’Accord de Paris ne s’effondrerait pas si les Etats-Unis s’en retiraient. L’Argentine, dont le président, Javier Milei, est un admirateur de Trump, envisage de quitter l’accord, mais de nombreux autres pays ont promis d’y rester et ont exhorté les Etats-Unis à faire de même.

“Le leadership des Etats-Unis est essentiel pour mobiliser le financement climatique, faire progresser la transition vers les énergies propres et garantir la mise en œuvre équitable des objectifs climatiques mondiaux”, a considéré Ali Mohamed, envoyé du Kenya pour le climat et président du groupe de négociateurs africains, dans un communiqué. Il a exhorté les Etats-Unis à “travailler de manière constructive” dans le cadre des Nations unies et d’autres organisations internationales.

Alors que le gouvernement américain se retire de la scène climatique mondiale, les défenseurs des droits de l’homme ont souligné l’importance des Etats, des villes et des entreprises dans la lutte contre le changement climatique. L’Alliance pour le climat des Etats-Unis, une coalition de gouverneurs de 24 Etats représentant près de 60% de l’économie américaine, s’est engagée à atteindre le dernier objectif climatique de Biden, à savoir réduire les émissions de 66% d’ici à 2035.

Selon les analystes, ces réponses auront du mal à neutraliser les effets de la pression exercée par Trump en faveur de l’augmentation des énergies fossiles, sans compter ses mesures visant à revenir sur les réglementations climatiques et son mépris pour la coopération internationale.

Les émissions de carbone aux Etats-Unis n’ont diminué que de 0,2% l’année dernière, même si les dépenses vertes de Biden battent leur plein, et Trump a promis d’accroître la production d’énergies fossiles. Le nouveau président s’est également insurgé contre l’énergie éolienne, s’est attaqué aux programmes visant à développer les voitures électriques et a promis de démanteler les règles destinées à limiter la pollution des centrales électriques.

Des failles se forment également en dehors des Etats-Unis. Car les dirigeants politiques n’ont pas réussi à apaiser les inquiétudes liées à la sécurité de l’emploi et au coût de la vie, alors que les pays s’efforcent d’atteindre leurs objectifs climatiques, pointe Kaveh Guilanpour, vice-président chargé des stratégies internationales au think tank Center for Climate and Energy Solutions.

Cela a remis en question la promesse de l’Accord de Paris, poursuit-il.

“Le régime (de l’Accord de Paris) doit mieux s’attaquer aux causes”, plaide Guilanpour. “De mon point de vue, le problème actuel n’est pas l’Accord de Paris. Le problème, c’est l’espace politique pour faire ce qui est nécessaire.”

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