Un village de pêcheurs du Cap-Vert prie pour ceux qui sont morts lors d'un voyage perfide vers l'Europe

Jean Delaunay

Un village de pêcheurs du Cap-Vert prie pour ceux qui sont morts lors d’un voyage perfide vers l’Europe

Il y a de la tristesse et de la colère après que des dizaines de personnes qui sont parties dans un bateau à la recherche d’une nouvelle vie soient considérées comme mortes.

Le chef de la localité sénégalaise de Fass Boye a lancé son appel dans les haut-parleurs de la mosquée : « Venez assister au récital coranique pour le repos des âmes de nos fils, neveux et petits-fils », a déclaré Madiop Boye.

Plus de 60 personnes, pour la plupart des hommes de Fass Boye et des environs, sont présumées mortes en mer après avoir quitté cette petite ville de pêcheurs le 10 juillet. Il y avait 38 survivants.

Au total, 101 personnes s’étaient inscrites pour le voyage, tous sauf un sénégalais. Leur bateau a été repéré et secouru lundi au large du Cap-Vert après plusieurs semaines à la dérive, alors qu’il faut normalement une dizaine de jours pour rejoindre les îles Canaries, un territoire espagnol considéré par beaucoup comme une route vers l’Union européenne.

« Ceux qui sont partis sont partis et ne reviendront jamais. C’est notre devoir de prier pour eux », déclare Madiop Boye.

Sous un ciel nuageux, des dizaines de personnes ont convergé vers le lieu de prière de cette ville de quelque 20 000 âmes de la côte atlantique, à une centaine de kilomètres au nord de Dakar.

« Nos jeunes partent par la mer depuis cent ans, mais c’est la première fois que Fass Boye vit une situation comme celle-là », dit-il.

SEYLLOU / AFP
Parents et amis prient à Fass Boye.

Les victimes ont succombé à la soif et à la faim, selon des survivants cités par l’équipage d’un bateau de pêche espagnol qui a secouru l’embarcation en perdition au large de l’île capverdienne de Sal.

« Sur les 38 rescapés, 32 sont hébergés dans un lycée local et six sont à l’hôpital régional de l’île de Sal ; deux des six hospitalisés sont en réanimation, mais la plupart des rescapés commencent à reprendre des forces, », a déclaré Nuno Santos, un commandant local de la protection civile, à la télévision capverdienne.

« Nous demandons au gouvernement sénégalais de faire tout son possible pour rapatrier nos fils encore vivants et ramener les corps de ceux qui ont été retrouvés morts », a déclaré M. Boye.

Le ministère sénégalais des Affaires étrangères a indiqué qu’il s’employait à rapatrier ses ressortissants « dans les meilleurs délais ».

« Puisse une telle tragédie ne plus jamais arriver à notre village », a prié l’imam.

Tristesse et colère

Dans les rues étroites en terre qui bordent l’édifice religieux, les gens continuent de sortir et de se rassembler.

Mercredi soir, la tristesse a fait place à la colère. Des jeunes ont brûlé des pneus et bloqué la route principale avec des troncs d’arbres, accusant les autorités de ne pas avoir fait assez pour retrouver le bateau à temps.

Jeudi matin, des véhicules de police étaient garés à l’entrée de la ville.

« Les jeunes passent des mois en mer pour rentrer chez eux les mains vides », raconte Amedi Dieye, 53 ans, qui dit avoir perdu deux beaux-frères. « Les autorités ont bradé toutes nos ressources, elles sont donc responsables de cette tragédie. »

« Beaucoup de jeunes du village qui sont partis en Europe achètent des voitures et construisent des maisons à leur retour. Mon fils voulait aussi la même chose », raconte Abdou Aziz Sène, père d’un homme de 25 ans disparu.

« Il voulait aller en Europe parce qu’il ne pouvait plus gagner sa vie ici », confie-t-il.

Le Sénégal a subi de nombreuses tragédies migratoires ces dernières années. Seize migrants sont morts dans la nuit du 23 au 24 juillet lorsque leur bateau a coulé près de Dakar, quelques jours seulement après qu’au moins 13 Sénégalais ont perdu la vie au large du Maroc.

Fin juillet, le gouvernement sénégalais a présenté une stratégie nationale de lutte contre la migration irrégulière, axée sur la prévention, le contrôle des frontières, la répression, le retour et la réintégration des migrants. Mais les départs rythment année après année la vie des villes côtières du Sénégal.

Les habitants de Fass Boye se réuniront dimanche pour rendre un dernier hommage aux morts et aux disparus.

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